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« La défaite de la majorité » ou comment les luttes sociales sont mises en échec

Dans son dernier ouvrage, Harold Bernat interroge les raisons de l’échec des mouvements sociaux dans leur confrontation au pouvoir et analyse les luttes des « minorités fragmentées ».

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« La défaite de la majorité » ou comment les luttes sociales sont mises en échec

Harold Bernat est professeur de philosophie au Lycée Montesquieu, à Bordeaux. La défaite de la majorité est son neuvième bouquin. Un essai de critique politique, dans la logique de son blog « Critique de la critique » et des textes précédents dont la parution s’est accélérée sous le règne de Macron : Le néant et la politique : critique de l’avènement Macron (2017), Asphyxie, manuel de désenfumage pour notre temps (2020), Oraison funèbre de la classe de philosophie (2020).

La majorité dont il est ici question n’est pas celle qu’on croit, cette petite majorité étriquée issue d’élections auxquelles de moins en moins de gens participent, et dont on peut souhaiter la défaite tout en doutant qu’elle puisse se réaliser. Mais c’est celle des exclus du système démocratique, cette majorité silencieuse, comme on dit, mais qui, plus encore que sans voix, est « parlée » par les politiques et les médias.

Pas de réponse politique

Le constat établi par Bernat est radical. A partir de l’expérience qui fut la sienne des luttes menées contre la destruction programmée de l’Education nationale par son ministre Blanquer, en particulier de l’enseignement de la philosophie, (il y eut aussi les manifestations contre la réforme des retraites et, bien sûr, les Gilets jaunes) et qui n’ont mené à rien, il se demande où sont passés les partis de « gauche », les syndicats, les relais, qu’on pourrait croire nécessaires, des revendications de ceux qui ne veulent pas baisser les bras et assister à l’effondrement de l’esprit critique, à la privatisation de ce qui faisait l’ossature même de la République.

Face au mépris des décideurs, à l’obstination qui est la leur de détruire les services publics pour le plus grand bénéfice des maîtres de la finance et de l’économie, il n’y a pas, à gauche, de réponse politique à la hauteur. Bernat n’est pas tendre pour les rituels de protestation et sa description des défilés traditionnels est cruelle.

« Là où l’on attendrait une réponse politique, construite, structurée, cohérente, il faut se contenter de mots d’ordre faciles et de déambulations urbaines. »

Ce qui rend compte de la défaite de la majorité c’est le défaut de Verbe politique.

Que faire ?

Et tout le monde en prend pour son grade depuis Macron (mais les choses avaient commencé bien avant lui), le système (mais n’est-ce pas le défaut originel de la démocratie ?), ses thuriféraires, les médias jusqu’à ceux qui, par leur comportement, contribuent à ce que la vraie majorité n’ait pas conscience de la force qu’elle représente, les syndicats (tous minables), les partis (ils agonisent mais passent leur temps à se bouffer le nez entre eux) et même les associations qui, au ras du quotidien, essaient de venir en aide aux plus démunis.

Que faire ? éternelle question, pour que cette majorité sorte de la torpeur dans laquelle elle s’enlise ? Comment s’adresser à elle, par quels canaux, comment fédérer des luttes sporadiques et vouées à l’échec, comment l’éveiller de la fascination dans laquelle la société du spectacle la tient prisonnière ? On ne peut attendre quelque soulèvement spontané qui retombera vite comme un soufflé.

« Il n’existe pas d’autres façons de résister à cette réécriture permanente du social depuis les lieux de pouvoir médiatique au service d’une ultraminorité que la mise en commun majoritaire de pratiques sociales situées. »

« Nous »

Certes, c’est bien le problème mais la façon concrète d’y répondre demeure incertaine. Il faudrait que nous acceptions de « nous discipliner politiquement », il faut « une reprise en main collective des pratiques ».

« Un travail de repolitisation et d’éducation populaire aux luttes sociales et à l’histoire politique de notre pays est une condition incontournable de la reformation d’un bloc populaire que d’autres appellent ”union”. Cela pose autant la question de la souveraineté politique, celle du peuple, que notre capacité à organiser politiquement, depuis nos pratiques situées, une force de résistance au néo-libéralisme et à son management invasif, aliénant et paternaliste. »

Tout cela fait beaucoup de conditionnels et il y a urgence. Mais Bernat a raison dans le diagnostic qu’il porte et la lecture de son essai nous arrache au sommeil a-critique dans lequel on voudrait nous maintenir.

« La question de la composition d’un ”nous”, écrit Michaël Kokoroff à propos du Manifeste conspirationniste (Le Seuil) sur son blog Médiapart, est peut-être la plus brûlante aujourd’hui parce que la plus incertaine. Non pas des ”nous représentatifs” ou “attributifs”, mais basés sur l’expérience. Face au “bio-capitalisme”, à ce processus de numérisation / sanitarisation / pulvérisation du monde social, c’est un peu comme si conspirer, c’était vivre encore… »

En espérant ce toujours inattendu soulèvement dont Georges Didi Huberman nous parle dans son dernier livre (Imaginer recommencer, ce qui nous soulève, 2, Minuit).


#Harold Bernat

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