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Pour la rentrée, les accompagnants d’enfants handicapés craignent l’ « inclusion low cost »

La rentrée s’annonce tendue avec le manque d’accompagnants d’élèves en situation de handicap et la volonté d’inclusion scolaire renforcée par le gouvernement. Malgré l’annonce de 200 nouveaux postes alloués à l’Académie de Bordeaux par le ministère de l’éducation, les professionnels girondins fustigent le manque de formations et attendent toujours une revalorisation du métier avec de meilleurs salaires.

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Pour la rentrée, les accompagnants d’enfants handicapés craignent l’ « inclusion low cost »

Armelle* (* un pseudonyme) présente un trouble du spectre de l’autisme. Elle s’apprête à faire sa rentrée en classe de 4e dans un collège de Cadillac à la fin de la semaine. Cette année encore, elle change d’AESH (accompagnant d’élève en situation de handicap). Elle a cependant rencontré sa nouvelle accompagnante « une vingtaine de minutes », ce qui rassure son père :

« Début juillet, la Pial [pôles inclusifs d’accompagnement localisés] a fait connaître la répartition des différentes AESH. Ma fille a pu rencontrer la personne qui va l’accompagner pendant les vingt heures qui lui ont été notifiées. C’est une prise de contact qui évite l’angoisse de la rentrée. »

Une bonne nouvelle pour ce père qui sait déjà que sa fille aura le même accompagnement « côte-à-côte élève ». C’est à dire que c’est la même personne qui va l’assister durant ses classes pour l’inclusion scolaire. Ce n’est pas le cas de tous les « notifiés » – les élèves en situation de handicap à qui le Pial accorde des heures d’accompagnements scolaires : certains peuvent avoir jusqu’à trois AESH.

Une chance d’être accompagné

« Quand on est parent d’un enfant porteur d’un handicap, ce dont on a envie, c’est que l’accompagnement se fasse sans rupture », commente le père d’Armelle.

Et dans l’idéal trois ans, le temps du contrat (renouvelable) d’un AESH avec l’éducation national. Ce qui est rarement le cas.

« C’est une chance déjà d’avoir le même accompagnant et avoir vingt heures. Il y a des élèves qui n’ont pas le quota d’heures adapté, et peuvent aussi voir plusieurs personnes. Les enfants dans ce cas se retrouvent en souffrance, seuls dans la classe, et finissent par décrocher. Certaines familles décident de les déscolariser. »

Marion Siffre a été l’AESH d’Armelle durant l’année scolaire 2021-2022. Elle regrette de ne plus l’être pour l’année à venir, « sans aucune explications ». « On est des pions et on peut nous déplacer à tout moment » s’indigne-t-elle. Elle pointe notamment le fragile équilibre nécessaire pour le suivi d’un enfant en situation de handicap.

« Il y a des profs qui travaillent en binôme avec un AESH pour accompagner au mieux l’élève. Il y en a d’autres qui trouvent que c’est un poids supplémentaire. Et d’autres encore qui ne veulent pas adapter leurs cours et tant pis pour l’élève s’il ne suit pas, le tout est qu’il ne fasse pas de bruit. »

Création de 200 postes

Mais pour aider un élève à s’adapter à un enseignement standard, « c’est possible à partir du moment où l’équipe pédagogie s’en donne les moyens » insiste Marion Siffre. « D’autres n’y arrivent pas et les élèves finissent par “errer” dans l’établissement. »

« Rendre l’école accessible à tous » est pourtant un des objectifs affichés de Pap Ndiaye, le nouveau ministre de l’Éducation nationale et de la Jeunesse de France. Face au 430 000 élèves en situation de handicap en France scolarisés en milieu ordinaire, il a promis, outre les 300 unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis) créées à la rentrée 2022, 4000 AESH supplémentaires.

Localement, ce sont 200 postes d’AESH (équivalent temps plein) qui ont été alloués à l’Académie de Bordeaux selon les annonces d’Anne Bisagni-Faure, la rectrice de Bordeaux, lors d’un point presse ce mardi, précisant au passage que 19251 élèves bénéficient de l’accompagnement d’un AESH dans les classes ordinaires. Elle a annoncé également la création de 9 nouvelles Unités localisées pour l’inclusion scolaire (Ulis), pour atteindre les 501 unités dont bénéficient 4233 élèves. Le tout étant géré par 300 Pial.

« On a beaucoup moins d’appel dans les cellules d’accueil départementales de l’école inclusive, avance la rectrice. Globalement les 200 AESH vont nous permettre de répondre à des demandes de familles. Même si celles-ci correspondent à des périodes de notifications des Maisons départementales des personnes handicapées, donc à un moment donné, et ne sont plus les bonnes. »

Besoin de conseils et de formations

L’accueil de ces annonces est mitigé à Bordeaux. Malgré des statistiques qui font état de huit enseignants de classe ordinaire sur dix accueillant sans hésitation un élève en situation de handicap, « une partie importante d’entre eux disent avoir besoin de conseils face aux difficultés de l’élève, certains se sentent même dépassés ».

Et « la plupart des enseignants se montrent insatisfaits des opportunités de formation qui leur sont données » – essentiellement des stages validés par le ministère de l’éducation nationale. « Il y a des formations plus ou moins intéressante » témoigne un enseignant à Rue89 Bordeaux. « Ce qui pose le plus de problème, c’est les moyens matériels » précise-t-il.

« Un élève notifié avec une AESH, c’est deux personnes dans la classe. Quand il y a plus de chaise pour s’assoir ou que la salle est toute petite, comment on fait ? Nous sommes dans des salles de 50 m2 qui accueillent 25 élèves. Un élève avec une AESH, on met une table au fond, généralement devant l’autre porte de la salle. »

Précisant toutefois que la présence d’élève en situation de handicap n’a jamais « pénalisé » ses cours, cet enseignant ajoute :

« Il n’y a pas suffisamment d’AESH. Leur statut reste précaire alors qu’ils sont indispensables au fonctionnement de l’éducation nationale. Ces personnes font partie intégrante de l’enseignement et on ne peut pas s’en passer, surtout que le nombre des d’enfants notifiés augmente. Pour que ça fonctionne bien, il faut qu’il y ait un accompagnement complet. Il faut donc revoir le statut de ces accompagnants parce que dans l’état, ça ne se bouscule pas. Il y a une pénurie. »

« Inclusion low cost »

Ce sont également les termes du rapport de Claire Hédon publié ce lundi. La Défenseure des droits souligne un décalage « entre l’augmentation des moyens humains et financiers » et « le nombre grandissant d’enfants dont les besoins sont très largement non ou mal couverts ».

Citée par le journal Le Monde, Claire Hédon a déclaré :

« Ce qui nous a frappés dans les réclamations reçues ces derniers mois et qui sont en augmentation, ce sont les attributions d’AESH qui ne sont pas appliquées faute de moyens financiers et humains. Or, les conséquences sont dramatiques pour l’enfant : non-scolarisation, déscolarisation ou très peu d’heures de cours. »

Allouer 200 postes d’AESH, suppose qu’il faut encore trouver des candidats, laisse comprendre Marion Schnegg, représentante syndicale CGT. Si les accompagnants d’élèves en situation de handicap manquent à l’appel, c’est parce que le « métier est peu attractif, avec des salaires bas et un manque de reconnaissance » résume la cégétiste qui fustige également un « manque de formation ».

« L’inclusion que prône l’Etat est une inclusion low cost. Notre administration fonctionne en terme d’enveloppe, pas en terme de besoin. Les Pial jouent les pompiers et pallient les manques en répartissant les AESH parfois un pour plusieurs élèves. On mutualise. Ce qui fait qu’un AESH ne peut pas tout faire comme il faut. Les élèves en pâtissent les premiers, les profs, et ensuite les parents. »

Anne Bisagni-Faure fait au contraire le « constat qu’on est bien organisé. Il faut que l’on donne plus de pouvoir d’agir aux professeurs qui ont des idées ».

Les couteaux suisses de l’éducation nationale

Marion Schnegg fustige également le peu de places dans les établissements adaptés : les Instituts médico-éducatifs (IME) et les Instituts thérapeutiques éducatifs et pédagogique (ITEP) :

« Et on revient au principe de l’inclusion à tout prix, poursuit-elle. En attendant que certains élèves soient dans des établissements adaptés, on les met dans des établissements ordinaires. […] On se retrouve à devoir gérer des difficultés croissantes qui se révèlent perturbantes pour le bon déroulement de l’enseignement. Tout le monde est mal dans ces situations. »

Malgré une revalorisation du métier et des salaires obtenue en 2022, les nouveaux avantages ne suffisent pas de faire des AESH autre chose que « les couteaux suisses de l’éducation nationale ». Ce métier impose une grande mobilité pour intervenir dans plusieurs établissements éloignés les uns des autres, « sans que les déplacements ne soient toujours remboursés » souligne Marion Schnegg.

« On nous impose des changements d’emploi du temps, des changements d’affectation géographique, pour des salaires misérables. C’est un métier largement féminisé, souvent pratiqué par des mamans isolées. Entre la complexité de vivre dans une situation de pauvreté et le devoir d’assister correctement des élèves en situation de handicap, c’est intenable. »

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