Réduire sa consommation de viande c’est bon pour la santé et pour la planète : manger moitié moins de produits carnés ferait baisser de 36% les émissions de gaz à effet de serre dues à la production alimentaire. C’est beaucoup mieux que la baisse de 19% envisagée par la Stratégie nationale bas carbone pour 2050, sans exiger de gros sacrifices : les Français avalent actuellement 85,1 kg par an et par personne, soit 233 grammes par jour, l’équivalent d’une belle entrecôte ou de deux steaks hachés…. C’est aussi une bonne façon de faire des économies, à l’heure où le prix de la viande a augmenté de 24,5%.
Encore faut-il trouver des alternatives appétissantes, surtout pour viandards les plus récalcitrants. Il y a encore quelques années, il existait très peu de restaurants végétariens à Bordeaux, et les établissements traditionnels ne proposaient guère de plats végé dans leur carte.
De surcroît, quelques adresses historiques hautement recommandables – Rest’Ô, la Cuisine de Johanna, la Soupe au caillou, Kitchen Garden… – ont fermé ou passé la main, certaines très récemment – Munchies, connu pour ses hot-dogs vegans, et Massa pour ses falafels, sans doute les meilleurs de Bordeaux.
Près d’une centaine d’adresses végé friendly
Mais la nature a horreur du vide, et de nouvelles enseignes ont relevé le gant, étoffant les propositions disponibles. En 2017, VegOresto, site créé par l’association de défense des animaux L214, recensait seulement 22 restaurants végé, vegan (sans produit d’origine animale) ou proposant une alternative complète végane.
Selon la même appli, il y en a actuellement 95 dans la métropole, situées pour la plupart à Bordeaux. Dans plusieurs de ces restaurants, les propositions végé/végan sont aussi soignées et alléchantes que les plats carnés, notamment chez Casa Gaïa, aux Chartrons.
Bordeaux concentre aussi les 12 adresses 100% végan identifiées dans toute l’agglomération – dont certaines ne font que salon de thé ou pâtisserie. Le site Happycow, une référence internationale, en recense lui 52, dont 13 sont 100% végé et 7 végan – attention toutefois car ces sites ne sont pas réactualisés très fréquemment, Munchies y figure encore, par exemple.
« L’offre végétarienne était faible à Bordeaux quand j’ai ouvert en 2019, avant la crise sanitaire, et je trouve qu’elle est encore beaucoup moins importante que dans d’autres grandes villes, estime Laure Frances, responsable d’Ici la Terre, resto situé cours Alsace-Lorraine. Mais la Covid, dont il semblerait que l’origine soit la consommation d’animaux malsains, a eu cet effet bénéfique de pousser les gens à manger sainement, et des produits locaux, bio et sans pesticides. »
Des plats équilibrés
Après avoir fait ses armes dans de grandes maisons (le groupe Alain Ducasse, le Ritz, l’Intercontinental à Bordeaux), Laure Frances tenait à ouvrir son propre restaurant. Celui-ci, avec ses allures de snack « entièrement écoconçu avec des matériaux végétaux », propose une carte serrée mais variée avec un plat du jour (lasagnes ou couscous de légumes, curry thaï, dhâl…) ou des bowls dont les ingrédients varient au gré des saisons.
« J’ai étudié les plats avec un nutritionniste pour qu’ils ne soient pas carencés, précise la cuistot. Il y a tout ce qu’il faut dedans pour faire un repas équilibré, avec notamment des protéines végétales ».
Lors de notre passage, nous avons ainsi testé un excellent Mezze bowl – salade, falafel, houmous, poivrons rôtis, boulgour, caviar d’aubergines, pain pita, menthe-persil…. -, pour 13,50€. Le burger seul est à 11,80€.
Un bœuf, une patate
La carte d’Ici la terre est 100% végétalienne – elle ne comporte aucun produit d’origine animale (poissons, œufs, laitages…) -, même si la chef se dit elle-même flexitarienne – elle mange de tout, « mais quasiment pas de viande rouge, de volaille et de fromage, le plus compliqué à éliminer ».
« Lors d’un séjour au Québec, j’ai mangé végan pendant une semaine et j’ai senti que cette pause avec des produits animaux m’a fait beaucoup de bien. Je gagnais en énergie, je digérais mieux… Et je me suis dit wahou, c’est ça qu’il faut faire. »
La responsable du restaurant estime que 60% de ses clients ont entre 18 et 35 ans, et est majoritairement féminine :
« Comme le dit Florence Foresti, les gars sont encore très boeuf-patate, sourit Laure Frances. Mais on voit des jeunes filles qui invitent leurs copains plutôt viandards qui sont bluffés par nos burgers, dont la viande végétale vient de chez HappyVore. On voit aussi des gens qui amènent leurs grands-parents, et qui leur font découvrir le tofu, le tempe ou le shiitake… C’est génial d’observer qu’ils se rendent compte que c’est bon et qu’ils ne ressentent pas de manque au niveau du palais de ne pas avoir de viande. »
Asie-mili carné
Pour les plus accros, certains restaurants proposent des plats comportant des ingrédients simili carné, comme le pad thaï au « poulet » de la Cantine Viêtgétarienne, rue du Pas-Saint-Georges, dans le quartier Saint-Pierre. Ainsi que son nom l’indique, elle est spécialisée dans la cuisine du sud est asiatique, et c’est l’une des deux enseignes (avec une autre Cantine à Paris) 100% végé du groupe Phood, dont le siège est à Bègles et qui compte 8 restaurants.
« Dans tous nos restaurants, la majorité de la carte est adaptable pour les végétariens et vegan, souligne Mathieu Santri, responsable de la Cantine Viêtgétarienne. Mais nous voulions pousser plus loin la démarche. Nous avons un autre restaurant à Gambetta, dont on voulait se démarquer, et on constatait qu’il n’y avait pas trop d’adresse vraiment végan dans le quartier, et d’une manière générale pas beaucoup en restauration asiatique. Cela nous permettait de tester un nouveau concept qui depuis le 1er mai est très bien accueilli. »
A la carte, des plats à 11,90€ – pho, mi xao, com chiên… – un plat du moment à 10,90€ ou des « finger phood » à partager (nems aux légumes, brochettes tofu caramel…). La salle est petite et il faut commander sur un écran, ce qui dépersonnalise un peu l’endroit, mais le contenu de l’assiette ne déçoit pas. Nous avons testé le bo bun, fort bien garni et très savoureux. Sans bœuf ni porc dans les nems, donc, il est riche en légumes frais, aromates et cacahouètes.
Cohérence
Au Dis Leur, rue du Loup, Justine Gabillet et Nicolas Debout font la paire. Elle est en salle, il est en cuisine, et sont en couple dans la vie. Tous les deux issus de la restauration « traditionnelle », après quelques woofing en maraîchage, leur affaire s’est imposée à eux naturellement :
« Nous sommes tous les deux vegan au quotidien, raconte Justine. On voulait avoir un travail qui correspondait à nos valeurs, et comme on ne le trouvait pas, on l’a créé. Il nous fallait un endroit qui correspond vraiment à nos valeurs. »
Donc vegan, mais pas seulement. « Avoir un restaurant est aussi avoir une vitrine, tout doit être cohérent » surenchérit la patronne. Et la liste des choix engagés ne s’arrête pas au local et bio. L’électricité est fournie par Enercoop. Les déchets organiques vont au compost, en vélo SVP. La monnaie locale Miel est acceptée. Et en parlant de paiement, quelques centimes de l’addition vont à l’opération Ernest qui permet de financer des programmes d’aide alimentaire.
Dans l’assiette, c’est tout aussi joli. Passons sur le cadre soigné et la présentation façon « gastro », ce sont les goûts qui frappent par leur authenticité. Et le tour de force du chef, qui a roulé sa bosse dans pas mal d’adresses bordelaises, est de transformer des recettes traditionnelles en recettes végétaliennes. Le jour de notre passage, un bourguignon de seitan et ses tagliatelles (14€) en était la parfaite illustration.
« On se sert de notre expérience en cuisine traditionnelle et on la transpose au végétal. On fait donc avec ce qu’on connaît et ce qui fait le bourguignon, c’est sa sauce au vin. »
Fleuron
Voici donc pour la saison d’hiver qui, chaque mois, affiche au menu deux entrées et deux plats (dont un sans gluten), ainsi qu’un dessert (difficile de laisser passer le cream’eese cake avec son coulis à l’orange !). A noter également les fromages affinés aux noix de cajou et au lait végétal. En été, ce sont les tapas qui garnissent l’ardoise (jusqu’au 21 septembre).
Bilan, c’est une affaire qui tourne et qui ne va pas tarder à devenir un fleuron local de la discipline. Lancée en mars 2020, quelques jours avant la crise sanitaire, elle n’a connu que trois étés et un hiver (si on met de côté la vente à emporter durant les confinements).
« Nous avons des habitués qui viennent à chaque changement de carte et, en été, notre adresse attire les touristes européens de certains pays où la cuisine végétalienne est plus avancée et recherchée qu’ici. »
La France n’a donc plus qu’à rattraper son retard et, à Bordeaux, ce ne sont pas les bonnes adresses qui manquent pour créer l’émulation.
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