Son nom est évoqué lors du procès Papon, en janvier 1998. À la barre, son fils, Samuel Schinazi, témoigne du professionnalisme de son père, prêt à « toutes les interventions ». De 1921 à 1942, Sabatino Schinazi a exercé comme médecin dans le quartier Bacalan, au 199 rue Achard. C’est ici, jeudi 29 septembre, que le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, dévoilera un nouveau « pavé de la mémoire », dit Stolpersteine (voir encadré en bas de page), en souvenir de Sabatino Schinazi.
Depuis 2017, à l’initiative d’un projet de l’Université Bordeaux-Montaigne, huit « pavés » de la mémoire ont été posés à Bordeaux : sur le parvis des Droits de l’Homme où trois résistants autrichiens avaient été arrêtés, et au 4 place Saint-Pierre, où vivait la famille Baumgart.
Dans un communiqué, la mairie annonce, d’ici la fin de l’année, le scellement de sept nouveaux Stolpersteine devant les derniers lieux de vie de victimes du nazisme. Après Sabatino Schinazi, la Ville rendra successivement hommage à Berthe et André Murrate, à Ginette et Marcelle Borruel, et à Martin et Berthe Katz. Elle rappelle qu’au moins « 295 familles, dont 95 enfants » ont été déportés de Bordeaux vers les camps de la mort.
1883-1945
Sabatino Schinazi est né en Egypte le 18 juin 1883. De nationalité française, il est scolarisé à l’École française des missions africaines, étudie la médecine à Beyrouth. Passé par Marseille, il arrive à Bordeaux en 1916. À l’hôpital Pellegrin, il soigne les blessés de la Grande Guerre.
Brillant, il passe sa thèse en 1919, reçu avec les félicitations du jury. Quelques années plus tard, le jeune médecin fait le choix de s’installer à Bacalan, alors zone industrielle et quartier pauvre du nord de la ville. Père de dix enfants, il exerce souvent gratuitement, se rend disponible de jour comme de nuit. Une bienveillance et une générosité qui lui vaudront son surnom de « médecin des pauvres ».
Le 3 octobre 1940, la loi sur le statut des juifs est promulguée par le régime de Vichy, marquant le début de la collaboration de la France à l’extermination des juifs d’Europe. Le port de l’étoile jaune est imposé ainsi que le recensement. Le « fichier juif » est constitué. Le nom du docteur Sabatino Schinazi y figure malgré son mariage à une « non-juive » et « fils d’une mère catholique ».
Le médecin bordelais est arrêté en juin 1942 et emprisonné au camp de Beaudésert à Mérignac. Dans un courrier adressé à son cabinet et signé par Maurice Papon, la préfecture lui signifie l’interdiction d’exercer « en France ». Sa femme et des habitants du quartier, aux travers de pétitions et de lettres, tentent de faire plier les autorités. Sans succès.
Après 17 mois d’enfermement à Mérignac, Sabatino Schinazi est intégré au convoi numéro 64 qui prend d’abord la direction de Drancy, puis d’Auschwitz le 7 décembre 1943. À l’aune de la débâcle nazie, alors que des prisonniers sont déportés vers d’autres camps, Sabatino Schinazi décède près de Dachau, le 25 février 1945. Son corps repose au charnier de Kaufering, à l’est de Munich. À Bordeaux, aujourd’hui, une rue porte le nom du médecin. Une stèle, rue Achard, honore également sa mémoire.
L’ombre de l’Ordre des médecins
Plus de 80 ans plus tard, l’association Santé un Droit pour Tous, menée par Bernard Coadou, continue d’interpeller l’Ordre des médecins, fondé sous Vichy. Dans un communiqué, l’association salue l’hommage de la Ville au docteur Sabatino Schinazi, tout en souhaitant « témoigner de la co-responsabilité de l’Ordre des médecins dans ce destin funeste ».
En 1972, déjà, dans son ouvrage de référence, La France de Vichy, l’historien Robert Paxton soutenait la thèse d’une instrumentalisation par l’État français du Conseil de l’Ordre dans ses politiques d’exclusion ethniques et religieuses.
À Bordeaux, une motion adoptée en février 1941 par le Conseil départemental de l’Ordre donnait ainsi un avis défavorable à la poursuite de l’exercice de Sabatino Schinazi sur le sol français. Le médecin avait tenté des recours auprès du Conseil national de l’Ordre sans que l’instance ne change d’avis. En 1942, il était exclu de la liste envoyée par le Conseil départemental de l’Ordre au préfet (voir document ci-dessus) demandant la libre circulation des médecins cités.
Selon Santé un Droit pour Tous, le Conseil de l’Ordre « ne s’est jamais excusé publiquement pour sa participation à cet assassinat », face un « travail de mémoire indispensable ».
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