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Au TnBA, « Pour que les vents se lèvent » et sonnent l’heure de la révolte

Catherine Marnas et Nuno Cardoso, respectivement directrice du TnBA et directeur du théâtre national de Porto, présentent dans le cadre du Festival des arts de Bordeaux Métropole (FAB), une réécriture de la trilogie dramatique L’Orestie par l’auteur d’origine iranienne Gurshad Shaheman. Jusqu’au 8 octobre à Bordeaux.

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Au TnBA, « Pour que les vents se lèvent » et sonnent l’heure de la révolte

Imaginez la chute de Troie fêtée par une soirée techno dansante sur un dancefloor inondé de spotlights, une jeunesse dorée se trémoussant, emportée par les délires des ecstas, un feu d’artifices attendu pour célébrer le retour triomphant d’Agamemnon, « le roi des rois », après 10 ans de guerre.

Imaginez maintenant, Agamemnon, victorieux et affamé, se ruer sur le frigo en rentrant chez lui pour finir le reste d’un poulet rôti et siffler une bière après avoir enfermé dans la cave son butin de guerre, une femme d’une grande beauté, Cassandre.

Dès les premières minutes de « Pour que les vents se lèvent » sur les planches du TnBA jusqu’au 8 octobre, le spectateur comprendra que la plus ancienne tragédie grecque d’Eschyle a subi un double lifting. Le premier est la réécriture du texte par l’auteur et homme de théâtre d’origine iranienne, et qui vit désormais en France, Gurshad Shaheman. Le deuxième est la mise en scène faite à quatre main par Catherine Marnas, directrice du TnBA, et Nuno Cardoso, directeur du théâtre national de Porto.

France-Portugal

Le décor d’abord, signé par Fernando Ribeiro, est une sorte de collage imaginaire qui investit graphiquement le plateau : une portion de gradins empruntée à un amphithéâtre grec, un mur de caveaux funéraires en diagonale, et, au fond, une ligne d’arbres suspendus à l’envers qu’un simple coup de vent suffit pour animer la grande scène de la salle Vitez. Les lumières d’Arín Geada se chargent d’accompagner ces éléments mobiles avec autant de balayages et de mouvements que la musique d’Esteban Fernandez.

« Pour que les vents se lèvent » Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Douze comédiens, 6 Français et 6 Portugais, se partagent et échangent les personnages de cette trilogie des Atrides. Clytemnestre, Electre, Oreste… prendront tantôt la langue de Molière, tantôt celle de Camões. Et c’est une première performance à souligner : le jonglage entre les deux idiomes est une réussite (le portugais est sous-titré). Les comédiens, qui ne se comprennent pas pour certains, dialoguent avec une évidence bluffante sans jamais trahir le ton et le naturel des échanges.

Tout confirme l’aboutissement heureux d’une aventure théâtrale européenne. En mai 2021, Catherine Marnas a été contactée pour imaginer un projet dans le cadre de la saison France-Portugal. Nuno Cardoso, un ancien intervenant de l’Ecole supérieure de théâtre de Bordeaux Aquitaine, s’est joint à la directrice du TnBA pour réunir des élèves issus de cette école avec d’autres comédiens professionnels portugais.

Révolte

De ce texte antique, où se succèdent la barbarie des guerres, l’aveuglement des vengeances et la naissance du droit, Gurshad Shaheman déniche tout ce qui résonne avec l’actualité contemporaine. La justice et la démocratie traversent logiquement les mythes du récit, mais l’auteur fait jaillir d’autres causes à travers ce qu’il appelle « un bras de fer entre entre les dominants et les dominés ».

La guerre de Troie devient prétexte pour rappeler les génocides actuels planétaires, où s’insèrent les drames de notre quotidien, des nombreuses discriminations aux horribles féminicides. Alors que l’oppression magnifie les bourreaux et les fête en héros les lendemains de victoires, Gurshad Shaheman saisit l’occasion de revisiter le rapport des forces.

« Pour que les vents se lèvent » est un appel à la révolte, clairement engagé contre un monde qui a enfanté mensonges et propagandes (et les réseaux sociaux pour les véhiculer), dérèglement climatique et destruction massive, obscurantisme et fanatisme.

Cette invitation à la lutte est portée par la fougue et l’énergie des jeunes comédiens, à l’instar de la remarquable Iphigénie (Telma Cardoso) qui irradie la scène d’entrée avant son enlèvement et la défie lors d’un final militant « guidant le peuple ». Un appel à la réécriture de l’Histoire par les vaincus et aussi à écrire l’avenir.

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