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Le « halo de pauvreté » englobe plus d’un tiers des habitants de Nouvelle-Aquitaine

Plus de deux millions de personnes vivent au-dessous d’un niveau de vie décent dans la région selon le rapport du Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser). Cette étude bien documentée sera présentée le 20 septembre avec différentes préconisations et surtout un appel à revoir un « modèle de développement lequel contribue à entretenir les inégalités dont la pauvreté n’est qu’une partie émergée ».

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Le « halo de pauvreté » englobe plus d’un tiers des habitants de Nouvelle-Aquitaine

A l’heure où Les Restos du cœur annonce un trou de 35 millions d’euros pour boucler l’année à cause de l’inflation, où le Secours populaire fait état d’une augmentation de 20 à 40% du nombre de personnes aidées en une année, où la Croix Rouge française s’attend à un déficit de 45 à 50 millions cette année, le rapport qui sera présenté au public ce 20 septembre par le Conseil économique, social et environnemental régional (Ceser) noircit encore plus le tableau au niveau régional.

Selon un rapport intitulé « Enrayer la fabrique de la pauvreté en Nouvelle-Aquitaine », entre 2,2 et 2,3 millions de néo-aquitains vivraient au-dessous d’un niveau de vie décent. Ce chiffre comprend naturellement les 800 000 personnes sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire à 60% du niveau de vie médian de la population (1102 euros par mois pour une personne seule et 2314 euros pour un couple avec deux enfants de moins de 14 ans).

« La pauvreté comprise dans ses multiples dimensions est un phénomène qui touche 35 % à 40 % de la population plus ou moins sévèrement en Nouvelle-Aquitaine », peut-on lire dans la conclusion de ce rapport.

« Halo » de la pauvreté

Pour le réaliser, le Ceser a organisé plus d’une quarantaine de réunions entre 2019 et 2023, et auditionné des représentants de services, associations, institutions, collectivités et de l’État. Pour « considérer plus attentivement l’expression collective des personnes les plus directement concernées », il a surtout rencontré des personnes en situation de pauvreté :

Si celles-ci « sont “invisibles” ou “inaudibles”, c’est aussi et surtout parce que leur parole n’est la plupart du temps ni reconnue ni écoutée dans le débat public », estime le Ceser.

Les paroles de Claire, Christiane, Françoise, Magalie, Hussein, Parsa, Sylvain… sont mises en exergue tout au long du rapport. Elles illustrent les formes de « pauvreté moderne » de personnes qui « évoluent entre misère et galère », un « halo » touchant plus d’un tiers des habitants de Nouvelle-Aquitaine.

« La plupart des personnes ayant participé aux groupes de discussion perçoivent des prestations ou minimas sociaux, indique le Ceser. Elles disposent de faibles ou très faibles revenus (de 500€ à 1400 €par mois). Toutes expriment la nécessité de se priver de certains biens ou services devenus parfois essentiels (exemple : un abonnement internet ou un ordinateur personnel) et être contraint.es à faire des choix. »

Une autre « problématique majeure » est celle des difficultés d’accès aux droits accentuées par la dématérialisation de l’accès à divers services (ex : Pôle Emploi, CAF, CPAM…) explique le Ceser :

« Pour les personnes entendues, cette dématérialisation des démarches a non pas simplifié mais aggravé les difficultés pour les plus pauvres qui n’ont pas toujours les moyens d’acquérir les matériels numériques et/ou de payer les abonnements nécessaires. »

La « pauvreté moderne » concerne des personnes qui « évoluent entre misère et galère » Photo : WS/Rue89 Bordeaux

Accès aux droits difficile

Le rapport indique que les démarches administratives, nécessaires pour faire valoir ses droits, sont considérées comme « complexes et décourageantes » par les participants, et que certains des participants y ont parfois renoncé.

« Toutes et tous ont cette expérience de constitution laborieuse de dossiers, qu’il faut sans cesse recommencer en se justifiant de manière répétitive devant chaque service sollicité. […] Le sentiment de devoir prouver constamment que l’on est pauvre entraîne une dévalorisation de l’image de soi et certaines démarches sont perçues comme humiliantes et douloureuses. »

Conséquence : nombre d’allocataires potentiels ne font pas valoir leur droit au RSA, pour lequel le taux de non-recours reste élevé (34 %).

Mais la pauvreté ne concerne pas que les allocataires des minima sociaux.

« Près de 10 % des ménages Néo-Aquitains dont le revenu principal est tiré d’un salaire ou d’un traitement vivent sous le seuil de pauvreté. »

Quant aux demandeurs d’emplois, et malgré la baisse du chômage, leur population a progressé de 10,3% pour les catégories A, B et C en Nouvelle-Aquitaine. Parallèlement, « le nombre de demandeurs d’emploi de plus de 50 ans a augmenté de 49,5 % » en 10 ans. Les obstacles pour accéder au travail sont légion, notamment du côté de la mobilité (pas de moyen de transport personnel ou système de transport public pas adapté comme en horaires décalés).

1700 euros/mois pour un niveau de vie décent

Si « le coût de la vie a très sensiblement augmenté avec les répercussions sur les prix de la guerre en Ukraine (énergie, matières premières et alimentaires), atteignant selon l’indice de l’INSEE + 6 %, les revenus des ménages n’ont pas progressé au même rythme ». Ainsi, le budget type pour atteindre un niveau de vie décent est de 1700 € par mois et par unité de consommation (un adulte vivant seul est une unité de consommation, un couple avec deux enfants de moins de 14 ans est équivalant à deux unités de consommation).

Mais c’est surtout l’accès et le coût du logement qui est souvent déclencheur dans la spirale de l’appauvrissement.

« Dans les territoires où le marché de l’immobilier est le plus tendu, en particulier dans l’agglomération bordelaise, sur la Côte basque ou le littoral charentais, les prix d’acquisition mais aussi les niveaux de loyers sont devenus prohibitifs et dissuasifs pour les familles ou ménages les plus modestes. » Cela génère « un phénomène de ségrégation socio-spatiale », analyse le Ceser

Le logement social ne parvient pas à répondre à ce problème : fin 2021, le nombre de demandes en attente d’un logement social équivalait au tiers du parc existant (soit 105 000 hors demandes de mutation, sur 315 000 logements), nombre de communes ne respectant pas leurs obligations de construction.

Selon l’Insee, il faudrait construire 37 000 et 40 000 logements par an d’ici à 2030 en Nouvelle-Aquitaine, « dont 20 % pour loger les personnes sans logement propre (sans-abri, en hébergement social, chez un tiers) et les personnes en situation de mal-logement ». Les charges liées au logement pèsent de plus en plus sur les locataires et les propriétaires, pour finir par être en cause dans plus de 40% des dossiers de surendettement dans la région.

La difficulté d’accès au logement génère « un phénomène de ségrégation socio-spatiale » Photo : VB/Rue89 Bordeaux

Revoir le modèle social

Les témoignages nourrissent une perception commune, celle d’une société actuelle « de consommation et de gaspillage dans laquelle les personnes ou citoyen.nes sont considéré.e.s en fonction de leur pouvoir d’achat, autrement dit de leur capacité à consommer ».

Le Ceser propose des pistes de réflexions mais souligne « à la fois une ambition et ses limites dans les contours d’une action de portée régionale ». Il pointe du doigt « un effet de système et de modèle de développement lequel contribue à entretenir les inégalités dont la pauvreté n’est qu’une partie émergée ».

« Ce système repose sur un modèle de société occultant la question des besoins fondamentaux pour tous, négligeant la définition de biens communs protégés par l’intervention publique, réduisant le citoyen à une fonction de consommateur. Il est désormais plus ou moins acquis que ce modèle est profondément prédateur et inégalitaire, par la double surexploitation des ressources naturelles et du travail humain. »

« Transformer le monde de demain », le fameux « monde d’après » fantasmé durant la crise Covid, se révèle un défi qui se « heurte aujourd’hui comme hier aux mêmes résistances ». Le Ceser interpelle la Région Nouvelle-Aquitaine et l’invite, à l’occasion de la révision de sa feuille de route Néo Terra, d’intégrer « la dimension sociale dans les politiques régionales et à en évaluer l’impact en matière de lutte contre la pauvreté » :

« Le Ceser considère que la réponse aux enjeux majeurs de transition écologique, énergétique, économique et technologique doit absolument éviter d’aggraver les inégalités existantes et la relégation de toute une partie de la société, notamment de celles et ceux déjà les plus fragiles ou précaires. »

« Enrayer la fabrique de la pauvreté »

Sur le logement, le Ceser invite à « mobiliser et conventionner dans le parc locatif privé » avec le développement de l’intermédiation locative, intervention d’un tiers social pour sécuriser et simplifier la relation entre le locataire et le bailleur ; et la contribution au fonds de garantie Visale (Visa pour le Logement et l’Emploi), une caution locative gratuite accordée par Action Logement pour garantir le paiement du loyer et des charges locatives en cas de défaillance de paiement.

Concernant le travail, lequel par « l’essor des contrats courts, des emplois atypiques, du temps partiel, de la décohabitation et de la monoparentalité soulève une interrogation à plus long terme sur l’accès aux droits sociaux » –, le Ceser appelle à « une expérimentation régionale d’inclusion par le travail et pour l’emploi dans les territoires ».

Quant au transport, « harmoniser les grilles tarifaires dans les transports publics de voyageurs en région et étudier la faisabilité d’une gratuité d’accès aux transports publics » sont les deux préconisations du conseil. Tout comme « expérimenter la sécurité sociale alimentaire en Nouvelle-Aquitaine » pour lutter contre la précarité ou « développer un accueil de proximité » pour encourager l’accès aux droits.

Enfin pour enrayer la fabrique de la pauvreté en Nouvelle-Aquitaine, le Ceser insiste pour « écouter et construire les solutions avec les personnes concernées elles-mêmes ». Le conseil économique, social et environnemental de la région pourrait ainsi s’ouvrir à des personnes en situation de pauvreté en 2024.


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