Enquêtes et actualités gavé locales

Dans le Libournais, « les électeurs du RN se sentent appartenir à un territoire en déprise »

Député sortant (Renaissance) élu depuis 2012, Florent Boudié brigue un nouveau mandat lors des législatives anticipées. Mais il fait face à une rude concurrence dans sa 10e circonscription, le Libournais, que lorgne le Rassemblement national. Il analyse avec lucidité les raisons du vote à l’extrême droite, critiquant au passage la reprise par Emmanuel Macron de son terme d’immigrationniste.

Cet article est en accès libre. Pour soutenir Rue89Bordeaux, abonnez-vous.

Dans le Libournais, « les électeurs du RN se sentent appartenir à un territoire en déprise »
Florent Boudié

Comment sentez-vous ces législatives, très compliquées pour vous dans le Libournais ?

Il y a deux blocs en dynamique, le Rassemblement national et le Nouveau Front populaire. En effet, l’hypothèse d’une victoire est fragile, mais elle existe. Je suis élu depuis 12 ans j’ai essayé au delà des attaches partisanes [d’abord au Parti socialiste, puis à La République en marche, devenue Renaissance, NDLR] de prendre des responsabilités sur des textes importants, comme la loi séparatisme ou dernièrement la loi immigration dont j’étais hélas rapporteur.

Mais j’ai aussi été accompagnateur de projets pour le territoire. J’ai fait réaliser la rénovation de chaque brigade de gendarmerie. J’ai apporté à Libourne la décision de créer une base militaire de sapeurs-sauveurs, soit 600 militaires et 1500 personnes avec leurs familles, et un investissement de 400 millions d’euros sur un site de 8 hectares en cœur de ville. C’est un projet pour le siècle pour une ville comme Libourne, qui était en concurrence avec Pau ou Mont-de-Marsan.

Comment expliquez-vous donc les résultats du RN chez vous ?

C’est un grand paradoxe. Si on prend la pointe la plus éloignée de la métropole bordelaise, autour de Sainte-Foy-la-Grande, est-ce qu’il y a eu un effondrement des services publics ? Non. Il y un hôpital qu’il était question de fermer il y a 10 ans, et qui connait des difficultés de recrutement, comme le CHU de Bordeaux, ce qui génère des difficultés, notamment sur le service des urgences en été. Mais il a été maintenu, et vient d’obtenir un scanner dernier cri, ce qui n’est pas rien dans une ville de 2500 habitants.

« Un appauvrissement très fort »

En revanche, la mixité sociale s’est appauvrie. La viticulture est en appellation générique bordeaux, pas en Pomerol ou Saint-Emilion, où Macron et moi faisons des gros scores. On est dans le cœur de la surproduction de vin de bordeaux, ce différentiel entre les 5 millions d’hectolitres produits et les 3 millions vendus. Donc il y a un appauvrissement général très fort.

Par ailleurs, à Sainte-Foy les classes dites moyennes et supérieures ne vivent plus sur place, ce qui a entraîné un effondrement du commerce local et de l’immobilier. Est-ce que c’est à cause des décisions de l’Etat ? Non, c’est le résultat de la création, sans concertation avec les autres communes, de grands centres commerciaux, notamment à Pineuilh, qui ont vidé les centres-bourgs de leurs boutiques et de leurs artisans.

Les classes moyennes vivant dans des quartiers pavillonnaires, l’absence de mixité sociale se voit dans le centre où il y a beaucoup de logements sociaux, mais aussi des logements insalubres loués par des marchands de sommeil. Cela donne le sentiment d’une ville qui s’est effondrée de l’intérieur. De centre gauche, elle a basculé dans le vote protestataire.

Pourquoi à l’extrême droite ?

Selon mon analyse, le problème vient du sentiment d’appartenance à un territoire déclassé, en déprise relativement à d’autres. Si vous habitez Sainte-Foy-la Grande et allez à Bordeaux, c’est un autre monde, difficilement accessible en voiture, et inaccessible financièrement parlant pour y vivre.

Par ailleurs, quand des populations socialement défavorisées représentent un tiers de la population et demeurent le plus souvent dans le centre-bourg, cela se traduit par une présence importante de personnes issues de l’immigration, et dans les statistiques de la délinquance. Pas à cause de l’immigration, mais parce que c’est la pauvreté qui génère de la délinquance.

« Le risque d’accréditer les thèses du RN »

Des personnes se sentent ainsi mises en cause dans leur mode de vie. L’extrême droite s’est emparée d’un tract de la France insoumise appelant à une manifestation anti-RN, dont le verso était écrit en arabe. J’ai regretté ce geste, qui entretient l’idée dangereuse d’une confrontation entre cultures. Les gens ont l’impression que tous les politiques font du surplace, et le vote RN progresse partout, à Sainte-Foy ou Castillon-la-Bataille, mais aussi à Libourne, une ville qui va pourtant plutôt bien.

Vous avez été rapporteur de la loi immigration, dont le vote à l’Assemblée nationale a été vu comme une « victoire idéologique » par Marine Le Pen. Cette semaine, le président de la République a estimé que le Nouveau Front populaire était « immigrationniste ». La majorité n’a-t-elle pas fait la courte échelle au RN en reprenant ses propositions et ses termes ?

Une partie de la gauche radicale est dans une logique que j’estime naïve au regard de la réalité de l’immigration, une autre partie partage des approches communes de fermeté et d’humanité. Au début du premier quinquennat Macron, le texte de Gérard Collomb n’a pas fait l’objet d’offensive violente du PS. Quand on promeut la dérégulation de la question migratoire, on prend le risque d’accréditer les thèses de l’extrême droite qui s’en pourlèche les babines.

Mais je refuse toujours qu’on reprenne à notre compte les termes de l’adversaire. Celui d’immigrationniste habituellement employé par l’extrême droite consiste à faire croire qu’il n’y aurait pas seulement en France des gens qui seraient favorables à l’immigration, ou à une logique d’ouverture trop grande des frontières, mais qu’il y aurait des responsables politiques qui s’entendent pour favoriser l’immigration et déstabiliser la société française. C’est faux.

Que pensez-vous de votre adversaire, Sandrine Chadourne ?

Elle est plutôt l’incarnation du RN dans son époque historique, plus la version Jean-Marie Le Pen que dans la ripolinisation recherchée ces dernières années. Elle a l’expression classique du noyau le plus dur, avec une obsession permanente sur l’islam et l’immigration. Pas un de ses messages sur les réseaux sociaux qui ne comporte une référence à ces sujets.

Elle ne peut exister que par ces peurs, y compris en inventant des réalités alternatives qui ne correspondent pas à notre territoire, quand elle considère par exemple que des communes du Libournais sont devenues Chicago, ou que le grand remplacement y est en cours. On est loin de la banalisation entretenue par Marine Le Pen.


#législatives 2024

Activez les notifications pour être alerté des nouveaux articles publiés en lien avec ce sujet.

Voir tous les articles
Plus d'options