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Quel avenir pour les sans-abri du camp quai Deschamps ?

Alors que la Ville de Bordeaux a annoncé pour septembre la résorption de l’aire d’accueil solidaire, située quai Deschamps au niveau du parc aux Angéliques, les sans-abri qui y vivent s’inquiètent de retrouver des conditions d’accueil équivalentes ailleurs.

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Quel avenir pour les sans-abri du camp quai Deschamps ?
Skoss* sur l’aire d’accueil autorisé avec ses chiens Laïka et Laïko.

Skoss*, Dave* et Marc* vivent depuis environ 1 an sur l’aire d’accueil solidaire ouverte en novembre 2020, quai Deschamps, sur la rive droite bordelaise. Sous leurs tentes, chacun partage ses inquiétudes : ils devront quitter le campement avant septembre 2024.

Une annonce faite à l’occasion du conseil de quartier de Bastide, qui s’est tenu le lundi 3 juin 2024, où les riverains et riveraines du quai Deschamps ont interrogé la municipalité sur le sort de l’aire initialement située au niveau du pont Saint-Jean. En septembre 2023, une pétition de riverains avait vu le jour pour demander la fin du campement regroupant plusieurs sans-abri. 

Échéance à septembre 2024

Harmonie Lecerf-Meunier, adjointe au Maire en charge de l’accès aux droits et des solidarités et vice-présidente du Centre Communal d’Action Sociale de Bordeaux (CCAS) a indiqué que la résorption de l’aire d’accueil solidaire s’achèvera d’ici le mois de septembre 2024. En parallèle, le parc a été inscrit en prioritaire sur la plateforme ministérielle pour la résorption des bidonvilles.

Cette aire a été mise en place pendant le second confinement, en novembre 2020, par deux associations, La Maraude du Cœur et Les Gratuits Gironde Solidarité, avant d’être encadrée par la mairie et le CCAS. Cette expérimentation, qui devait durer un an, s’est finalement prolongée.

Les associations, comme les sans-abri, savent que la résorption est en cours de préparation. Un diagnostic social est en train d’être réalisé afin de trouver une solution adaptée à chacun et chacune. Mais pour Estelle Morizot, fondatrice de La Maraude du Cœur, le délai est « court » pour trouver des solutions de relogement :

« Comment on va faire pour reloger 50 personnes comme ça ? Surtout en période d’été où les services tournent au ralenti… Je ne me satisferai pas d’une solution pour seulement 60% des sans-abri. »

Inquiétudes

Elle fait référence au critère national qui permet de qualifier une résorption de bidonville réussie lorsque 60% des personnes ont trouvé une solution. Selon la militante associative, les structures d’accueil n’étant pas en capacité d’accueillir tout le monde, il est toujours nécessaire de mener une expérimentation contre le sans-abrisme à plus grande échelle.

« Ici, ils peuvent dormir sans avoir peur de la police, décrit Estelle Morizot. Ils peuvent y laisser leurs affaires et leurs chiens pendant qu’ils vont travailler, qu’ils vont faire la manche ou qu’ils ont des rendez-vous avec les assistantes sociales. » 

Pour autant, la responsable associative n’est pas « dupe » :

« Oui ce n’est pas idéal et oui le mieux serait qu’ils soient relogés. Mais en réalité, sans accueil solidaire, ils dorment rue “Sainte-Cat” sur des bouts de cartons et sans dignité. Évidemment ça n’a pas vocation à rester ad vitam aeternam, mais sans politique publique du sans-abrisme, qui est une prérogative de l’Etat, on n’a pas vraiment le choix. »

Intérim ou CDD

Dans le camp délimité par des barrières, vivent des femmes seules, des hommes, ou encore quelques couples. Certaines personnes ont un travail, à plein temps, en intérim ou en CDD. Le campement est organisé autour de plusieurs tentes et bâches qui permettent de se protéger des intempéries.

« On a une toilette sèche. On a aussi une fontaine, et ça, c’est super pratique pour laver notre linge. Pour l’hygiène y a pas photos, on est bien ici », témoigne Marc arrivé sur le camp il y a un an.

L’homme de 34 ans est à la rue depuis 3 ans. « Je me suis fait escroquer, j’étais endetté et en dépression, j’ai tout perdu », raconte t-il :

« Ici, on est en sécurité. Avant, je longeais l’autoroute et je dormais derrière un mur pour être tranquille et planter ma tente. Je risquais de mourir tous les jours. »

Marc, bénéficiaire de la Maraude du Cœur, est en cours de réinsertion. Il ne devrait pas tarder à recevoir sa pièce d’identité et souhaite devenir coursier pour s’en sortir.

« On est tous solidaires ici »

Son voisin de tente est Dave. Il a 32 ans. Il a été mis à la porte par ses parents en raison de son homosexualité. Il occupe un emploi depuis plus de 8 mois dans un restaurant du centre-ville. 

« Maintenant, je peux aller travailler tranquillement sans avoir peur de me faire voler mes affaires. Je suis déclaré, mais j’ai eu des problèmes administratifs importants. C’est long de refaire tous ses papiers et de devoir se réinsérer. Là j’ai enfin mon numéro fiscal et j’attends mon premier avis d’imposition », s’enthousiasme-t-il.

Dans le camp, l’ambiance est solidaire. « Même s’il y a des embrouilles, on s’entraide », raconte Dave, en donnant sa carte bancaire à Skoss :

« Je ne vais pas laisser mourir de faim les autres alors que j’ai un salaire. Tout à l’heure, j’ai donné aussi de la bouffe aux autres à côté, c’est normal, même si à la fin, c’est parfois moi qui me retrouve sur la paille avec mon salaire », poursuit-il.

« Installations sauvages » au niveau du quai Deschamps Photo : GF/Rue89 Bordeaux

Des « installations sauvages »

Lors des deux premières années, ce sont plus d’une soixantaine de personnes qui ont réussi à quitter la rue grâce à ce dispositif. « Preuve que ça marche et que l’expérimentation a prouvé ses bienfaits », observe Estelle Morizot :

« Maintenant, quand j’ai une nouvelle pour le dossier de Marc, je sais directement où le trouver pour le tenir au courant. Tout est beaucoup plus simple pour les démarches administratives, et donc pour les réinsérer. »

Seulement, avec le temps, le campement s’est étendu. Au côté du site initialement autorisé, « des installations sauvages » ont vu le jour, de nouvelles tentes plantées dans le parc aux Angéliques, occupé par une cinquantaine de sans-abri.

« Les SDF sont de plus en plus nombreux et se font virer du centre-ville par les flics, raconte Estelle Morizot. Ce n’est pas de notre faute si des “installations sauvages” ont pris place à côté du dispositif autorisé comme certains le disent. La faute est au gouvernement qui ne met pas en place une politique publique à la hauteur pour lutter contre le sans-abrisme ».

Pour rappel, la dernière Nuit de la Solidarité, du 26 au 27 janvier 2024, 1019 sans domicile fixe ont été recensés à Bordeaux. Un chiffre en augmentation depuis les années précédentes. 

Les riverains divisés

Non loin du parc, une habitante du quartier explique « implorer la mairie » de trouver des logements adéquats aux personnes qui vivent sur le campement :

« Je n’ai pas l’impression qu’il y ait tant de problèmes que ça, mais on ne peut pas accepter ça pour eux « , affirme-t-elle.

Dans les commentaires de la pétition, des riveraines écrivent souffrir de ne plus pouvoir se balader dans certaines parties du parc – qui fait au total plus de 3,5 kilomètres – et demandent a avoir la « priorité » car elles « payent cher pour habiter Bordeaux ». 

« On comprend qu’ils aimeraient profiter du parc, mais nous, on aimerait avoir un endroit où dormir en sécurité », lance Dave. 

« Sur les nuisances, ils abusent », estime Skoss :

« Oui, on s’embrouille parfois et ça peut gueuler, mais ils n’entendent pas aussi parfois leur voisin crier ? C’est comme tout le monde ici. En plus, on discute avec plein de riverains et beaucoup viennent pour nous donner des vêtements, à manger, et même des croquettes pour les animaux. Certains nous apprécient vraiment. » 

« Parqués »

Dave dit comprendre l’agacement de certains riverains. Cependant, pour lui comme pour les autres, ce lieu est « nécessaire » pour faciliter leur réinsertion.

« Moi, s’il faut, pour être chez moi, je leur loue le terrain. Oui écris-le ça (en notre direction), je suis prêt à louer n’importe quel terrain proche du centre pour continuer à aller travailler », renchérit-il.

La première phase du plan de résorption, qui a commencé, consiste à rassembler tous les sans-abri exclusivement dans la zone d’accueil autorisé, ce que regrettent les premiers intéressés. 

« Le fait de nous entasser ça fout la merde, on a pas le même style de vie. On leur a dit dès le départ à la mairie que c’était une idée de merde, mais ils ne proposent que ça. À être parqué, on va juste finir par s’entretuer », s’inquiète Skoss. 

Estelle Morizot , se référant au camp anciennement situé à Sainte-Croix, ajoute :

« On le sait que la promiscuité, ça génère des embrouilles. Le rassemblement a à peine commencé et il y a déjà eu une augmentation des conflits entre eux. Ce n’est pas encore fini, et ça risque de se terminer comme à l’autre camp.”

Tous publics

Une autre aire d’accueil avait en effet été créée au même moment pour accueillir des publics différents en fonction de leurs styles de vie :

« À la rue, des gens ont des chiens ou non, des personnes sont touchées par la toxicomanie ou non, ou encore des personnes travaillent ou pas. Il était alors nécessaire d’offrir des espaces différents à ces personnes à la rue. »

Seulement, en avril 2021, lors d’un rassemblement au niveau du campement de Sainte-Croix, des conflits avaient éclaté et un bénéficiaire avait fini par mettre le feu.

« Un sans-abri avait pété un plomb à cause de la trop grande promiscuité. Ils avaient voulu réduire sa taille [la taille du camp, NDLR], comme ils sont en train de le faire ici. Il risque de se passer pareil ici », se préoccupe Estelle Morizot.

Du côté de la Ville, Harmonie Lecerf-Meunier, indique travailler sur « l’ouverture d’un nouvel espace » pour les sans-abri. L’objectif serait de permettre l’accueil de personnes ne pouvant pas bénéficier des solutions déjà existantes, comme ceux ayant des chiens ou présentant des toxicomanies.

*Les prénoms ont été modifiés


#La Maraude du cœur

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