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L’arrêt de l’éolien et du solaire voulu par le Rassemblement national serait « le plus grand plan social » de France

50000 emplois en France, dont 5 à 6000 dans la région Nouvelle-Aquitaine, seraient détruits en cas d’arrêt du déploiement de l’énergie éolienne annoncé par le RN, par ailleurs flou sur le solaire, alerte les acteurs de la filière renouvelables. Une telle décision serait, selon eux, climaticide et atteindrait à la souveraineté du pays : face aux besoins croissants d’électricité, il devrait faire tourner ses centrales thermiques, et importer davantage… de gaz russe.

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L’arrêt de l’éolien et du solaire voulu par le Rassemblement national serait « le plus grand plan social » de France

Un « radeau de la Méduse des illusions », une « casse industrielle », un « vrai risque de saccage ». Le programme du Rassemblement national présenté pour ces législatives anticipées inquiète vivement les entreprises françaises des énergies renouvelables, qui se sont exprimées collectivement sur ce sujet la semaine dernière.

S’il devient Premier ministre, Jordan Bardella veut en effet un moratoire sur les nouveaux chantiers d’éoliennes, sur terre comme en mer. Il promet à la place 20 réacteurs nucléaires d’ici 2042, un objectif que le secteur de l’atome lui-même s’estime largement incapable de tenir, faute de moyens humains.

Moratoires

Alors que Marine Le Pen proposait en 2022 un moratoire sur les centrales photovoltaïques, le RN veut en outre soumettre « tout subventionnement à la structuration d’une véritable filière française ou, a minima, européenne en la protégeant avec des droits de douane au niveau européen ». Cela signifierait là aussi un coup d’arrêt brutal au solaire, l’essentiel des panneaux étant actuellement importés de Chine faute d’industries compétitives en Europe.

« Ce moratoire entraînerait le plus grand plan social jamais organisé par un gouvernement auprès d’une filière, réagit Raphaël Briot, chargé de missions territoires et urbanisme à France Renouvelables, association représentant 360 acteurs professionnels du secteur. On parle de 50000 emplois menacés en France, dont 5 à 6000 en Nouvelle-Aquitaine, pour moitié dans l’éolien et moitié dans le solaire. »

La Nouvelle-Aquitaine « reste une très grosse région pour les renouvelables », même si elle est en retard sur ses objectifs de déploiement – 1700 mégawatts (MW) en exploitation pour 4500 espérés en 2030 –, en raison des délais d’instruction des dossiers, eux-même liés au manque de personnels dans les services de l’Etat.

Dans la région, le moratoire du RN concernerait le projet de parc éolien offshore au large de l’île d’Oléron, qui en est au stade des appels d’offre, et 80 projets d’éolien terrestre en cours de développement. Dans l’attente d’une décision préfectorale, ceux-ci représentent une puissance installée de 800 mégawatts, soit l’équivalent de la production en électricité d’un réacteur nucléaire actuel.

Le démantèlement remis à plus tard

Le portrait robot de chaque projet consiste, selon France renouvelables, en des fermes de 3 à 4 mâts d’éoliennes, d’une puissance moyenne de 12 mégawatts, chacune capable de fournir en électricité propre 16000 foyers. Ce sont eux qui passeraient en priorité à la trappe, Jordan Bardella ayant renoncé à une promesse initiale du RN : le démantèlement des éoliennes existantes.

La principale entreprise impactée localement serait Valorem, dont le siège est à Bègles et qui emploie 430 personnes dans le monde. Elle vient de remporter un appel d’offre de la Commission de régulation de l’énergie pour 5 centrales (3 éoliennes, 2 photovoltaïques, dont deux en Nouvelle-Aquitaine), et un autre pour fournir en électricité verte SNCF Energie, avec la construction d’un parc éolienne permettant d’alimenter l’équivalent de la consommation de la LGV Paris-Rennes.

Des dizaines d’autres sociétés se retrouveraient aussi en difficulté, à l’instar du groupe allemand Q Energy – 400 salariés, dont 270 en France, et 35 à Bordeaux. Dans 6 départements de la région Nouvelle-Aquitaine, il a 15 projets éoliens dans les tuyaux, « à divers stade de maturité », représentant 270 MW.

« Quelle que soit la future majorité, nous devons montrer à quel point c’est un atout pour notre territoire, positive Benjamin Ploux, responsable régional éolien de Q Energy. Si l’ancienne Aquitaine ne comporte aucune éolienne pour des contraintes techniques, notamment la présence d’installations militaires, les conditions de vent offrent des possibilités de développement. »

Selon le schéma d’aménagement de la Région Nouvelle-Aquitaine, l’éolien devrait représenter d’ici 2030 10% de sa consommation énergétique. Au niveau national, la France est tenue d’atteindre 44% de renouvelables dans son mix énergétique d’ici 2030 (contre environ 13% actuellement), objectif que le gouvernement s’était refusé à chiffrer.

C’est pourtant une condition importante à la baisse de 50% de ses émissions de gaz à effet de serre à l’horizon 2035, afin de lutter contre le changement climatique. Autant d’ambitions qui seraient remises en cause après les élections de dimanche si le RN l’emporte…

L’équivalent de 11 réacteurs nucléaires en moins

Le flou demeure néanmoins sur le périmètre précis des « constructions de chantier [sic] » d’éoliennes que Jordan Bardella entend arrêter : voudra-t-il par exemple interrompre des projets dont les permis ont été déposés, ce qui entraînerait des recours ou le versement d’indemnités ? Jules Nyssen, président du Syndicat des énergies renouvelables, préfère repousser la question :

« Il n’y a aucune fatalité, les élections ne sont pas passées. Il faudra voir comment sera le gouvernement, et si ses membres assument des déclarations de campagne assez incohérentes du point de vue de la politique énergétique de la France et de sa trajectoire de décarbonation. »

Le Pacte éolien en mer, signé entre la filière et le gouvernement, prévoit l’installation, d’ici 2035, de 18GW offshore, contre 1,5 GW aujourd’hui.

« Cela veut dire qu’on multiplie par 11 la production en 11 ans, soit l’équivalent d’un réacteur nucléaire par an, en créant 20000 emplois dans 300 entreprises, et en réduisant notre dépendance énergétique », martèle Jules Nyssen.

L’ombre russe

Car actuellement 60% de l’énergie consommée en France est d’origine fossile – du pétrole pour nos carburants, du gaz pour le chauffage ou nos centrales électriques –, et totalement importée. Et Raphaël Briot, de France Renouvelables, n’hésite donc pas à voir la patte russe dans le programme du RN :

« La réflexion classique de l’extrême droite sur le mode “la terre a toujours raison”, et son jeu d’espèce de porte-parole de la campagne contre la ville et d’écologie du bon sens, ce sont les cache-nez de sa véritable boutique. Arrêter les énergies renouvelables, c’est renvoyer l’ascenseur à leurs principaux financeurs, suivez mon regard [NDLR : un prêt de 9 millions d’euros contracté auprès d’une banque russe, et officiellement remboursé depuis peu]. »

Car le nucléaire, les barrages hydroélectriques ou les centrales biomasses dont parle Jordan Bardella « n’existeront pas d’ici à 2030 », alors que la consommation d’électricité pourrrait augmenter fortement, poursuit Raphaël Briot :

« Il faudra importer massivement des hydrocarbures, donc du gaz, et il n’y a pas 50000 exportateurs sur lesquels on peut s’appuyer. Je n’ai par ailleurs pas l’impression que le RN ait envie de développer des projets de réduction de la consommation en France. Cela va nous rendre esclaves de pays exportateurs. »

Énergie la moins chère

Quand l’éolien a rapporté 9 milliards d’euros de recettes fiscales depuis 2022 aux collectivités locales, les importations d’hydrocarbures ont coûté 75 milliards d’euros à la balance commerciale française, poursuit-il. En outre, les prix des énergies fossiles, mais aussi de l’uranium importé à 100% par la France (notamment de Russie et du Niger) pour faire tourner nos réacteurs nucléaires, sont très volatiles, du fait des aléas géopolitiques.

« L’électricité est la seule énergie qui garantit un coût connu pour 20 à 40 prochaines années, renchérit Vincent Vignon, représentant régional du SER. Et les renouvelables font partie des moins chères du monde – entre 60 et 80€ le MW, soit à peut près autant que les 70€ de coût de production du nucléaire. Et contrairement à ce qui est dit, les renouvelables sont des énergies intermittentes, mais pas imprévisibles : le couple solaire-éolien garantit une production continue, l’été avec les rayons du soleil, l’hiver grâce au vent. »

Par ailleurs, si les panneaux solaires sont actuellement produits massivement en Chine, Vincent Vignon rappelle qu’ils ne représentent que 15% du prix global de l’électricité photovoltaïque :

« C’est super de se battre pour des panneaux faits en France car cela évitera d’alourdir le bilan carbone, mais il ne faut pas faire un mauvais procès aux produits chinois, qui sont de grande qualité. Le développement de l’autoconsommation chez les particuliers emploie des électriciens, des couvreurs, et d’autres artisans locaux qui irriguent toute l’économie. Et une fois installés, ces panneaux vont produire pendant 40 ou 50 ans. »

Une vraie garantie de souveraineté, elle.


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