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Après l’incendie, un avenir opaque pour le centre social Haut-Livrac de Pessac

Rien ne va plus pour Alouette animation. Après avoir perdu son agrément « centre social » dans le quartier du Haut-Livrac à Pessac, entrainant des procédures contre la mairie, l’association a vu son local incendié fin août. Les perdants sont les habitants de ce quartier, pourtant classé prioritaire.

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Après l’incendie, un avenir opaque pour le centre social Haut-Livrac de Pessac

« Elle a hurlé : Maman, maman ! Il a brûlé ! » Zilloura, une habitante du quartier du Haut-Livrac, se souvient bien de la réaction de sa fille Mannel (5 ans) devant le centre social, encore fumant le 23 août au matin.

Dans la nuit, quinze pompiers sont intervenus pour éteindre l’incendie déclenché dans le local du 45, boulevard du Haut-Livrac. Bilan : 75 m² détruits, avec un hall d’entrée ravagé. Des traces d’effraction ne laissent que peu de doutes sur la nature criminelle de l’incident – l’enquête est toujours en cours. La mairie a décidé de condamner le site jusqu’à nouvel ordre :

« Les fumées, la suie, l’eau nécessaire pour éteindre l’incendie, ainsi que les ouvertures forcées par les pompiers pour intervenir ont conduit la Ville à émettre un arrêté de mise en sécurité », a-t-elle déclaré.

Pour les équipes de l’association Alouette animation, gestionnaire du centre depuis 2006, le choc est réel.

Plus rien depuis l’incendie

La structure, fermée pour l’été, devait pourtant reprendre du service à la rentrée. « C’est vraiment arrivé à un moment charnière », regrette Frédéric Camino, membre du comité d’administration d’Alouette animation.

« Une vingtaine d’adhérents s’était même signalés avant l’été pour bénéficier de l’aide aux devoirs dès la rentrée », poursuit ce bénévole qui dispense lui-même ce service.

75 m² du centre social du Haut-Livrac, à Pessac, ont été touchés par l’incendie survenu dans la nuit du 22 au 23 août 2024. (JR/Rue89 Bordeaux)Photo : JR/Rue89 Bordeaux

Aide aux devoirs trois fois par semaine, offre de restauration, activités et sorties culturelles ou sportives hebdomadaires, le plus souvent le mercredi…. Le centre social Haut-Livrac était un « vrai point de rencontre dans le quartier », poursuit-il. Alouette animation accueillait de manière fréquente environ 460 jeunes et adultes, dont 150 familles.

« On faisait même plus qu’un centre social », renchérit Hakima Abbassi, l’une des deux co-présidentes :

« Certains venaient simplement pour boire un café. Il y avait des dames qui n’arrivaient pas à lire leur courrier, on leur lisait. D’autres nous demandaient de l’aide pour s’inscrire à Pôle Emploi, on les aidait. »

L’association tente de poursuivre ses actions. Lundi 9 septembre, elle s’est ainsi postée dès 16h devant les grilles de l’école élémentaire Jolliot-Curie pour promouvoir la « Journée Sport Santé » de l’ASCPA du quartier. Tract à la main, Zilloura salue les services d’Alouette animation.

« Récemment, Mallek [sa fille de 8 ans, NDLR] est partie au Futuroscope. Moi, j’ai pu apprendre à bien parler français grâce aux cours de théâtre. Le centre, c’était une deuxième maison pour moi et mes enfants », s’émeut la mère de famille.

« Capital » dans un quartier prioritaire

Pour Laure Curvale, élue d’opposition et représentante du Département dans le conseil d’administration d’Alouette animation, « un centre social, c’est capital pour maintenir la cohésion sociale ». A fortiori au Haut-Livrac (1525 habitants) : longtemps classé QVA (quartier de veille active), il est repassé le 1er janvier dernier QPPV (quartier prioritaire de la politique de la Ville), au même titre que Saige et la Châtaigneraie-Arago, autres QPV de Pessac.

Il est vrai qu’en 2020, une personne en âge de travailler sur 4 était au chômage, une famille sur 2 était monoparentale et 4 personnes sur 10 vivaient sous le seuil de pauvreté. Celui-ci est fixé à 60 % du niveau de vie médian annuel du quartier, lequel s’élève à 15 820€. A titre de comparaison, le niveau de vie médian français s’élevait à 24 470€.

Pour soutenir ces territoires, la Ville dit s’appuyer « sur des partenaires de terrain qui interviennent directement sur les quartiers tels les centres sociaux, les équipes des bailleurs sociaux, les associations de quartier, les associations de jeunes, etc. »

Inquiet, un membre d’une association partenaire appelle à la restructuration rapide du centre ou à la mise en place d’une offre similaire.

« Si le centre ferme, il ne faudra peut-être pas s’étonner des manifestations de colère, de violences. »

En juin 2023, de violentes émeutes avaient éclaté à la suite de la mort de Nahel, à Nanterre. Des caméras de vidéosurveillance avaient été détruites à l’aide d’un engin de chantier et le rideau de fer du tabac-presse avait été fracturé.

Des relations tendues avec la mairie

Mais face à la situation du centre d’animation, Frédéric Camino est sceptique :

« Je n’ai pas l’impression que la mairie soit pressée de réparer rapidement les lieux, puisque tant que cela ne sera pas fait, nous n’aurons pas le droit d’y retourner », développe-t-il.

Les relations entre l’équipe municipale et celle du centre social sont en effet tendues depuis deux ans. Tout est parti d’un article paru en octobre 2022 dans les colonnes de Sud-Ouest, estime Hakima Abbassi. Sa directrice, Fatima Garnier, y faisait état de nombreuses dégradations matérielles (rideau métallique qui ne ferme plus, tags sur les murs, déchets…) et de l’inaction de la mairie sur le sujet.

« La mairie nous a reproché l’article et nous a demandé de virer Fatima, ce qu’on a refusé, explique la coprésidente. Nous n’avions rien à lui reprocher, elle aurait porté plainte aux Prud’hommes. »

Frédéric Camino, Hakima Abassi et Alberte Guillemet, du centre social Haut-Livrac/Alouette.Photo : JR/Rue89 Bordeaux

Et la directrice est restée, non sans préjudice pour l’association. Au 1er janvier 2024, la Caisse d’allocations familiales (Caf) n’a pas été en mesure de renouveler l’agrément « centre social » de l’association, qui expirait.

« Il fallait d’abord signer une convention d’objectifs avec la mairie, qui a refusé. Elle n’a signé que les conventions des deux autres centres C’est malheureux, car la décision est tombée pile lorsque le quartier est redevenu QPV, ce qui voulait dire plus d’argent et plus d’éducateurs de rue », se désole-t-elle.

La Caf renouvelle normalement un agrément tous les trois ans. Exceptionnellement, la mairie n’avait accordé que pour un an sa signature aux trois centres lors du dernier renouvellement, en 2023 (exercice 2023-2024).

Un « problème de gouvernance », selon la mairie

Pas d’agrément signifiait donc la fin des subventions de la Caf (40 % des subventions octroyées) et du Département (10 %). Du « jamais vu », d’après Laure Curvale :

« La Caf a soulevé que c’était la première fois qu’un agrément n’était pas renouvelé à cause d’une non-signature de la mairie. Généralement, seuls de graves manquements conduisent à cette situation ».

Hakima Abbassi est formelle : « Aujourd’hui, tout le monde sait que ce qui cloche, c’est la directrice ».

Laure Curvale acquiesce. Pour elle, « il y a sûrement derrière des histoires de conflits personnels, mais pas vraiment d’objectivité ». Contactée, la mairie de Pessac à répondu à nos questions par un communiqué, dans lequel elle rejette fermement ces accusations :

« Nous étions face à un problème de gouvernance, plus qu’une querelle interpersonnelle, avec des conséquences sur l’offre sociale dont le symptôme le plus évident était le départ des bénéficiaires naturels – les habitants du quartier – qui étaient très nombreux à s’adresser aux deux autres centres sociaux de la Ville pour leurs activités et l’accompagnement. »

Conflits judiciaires

Alouette animation et la Ville de Pessac s’opposent désormais devant le tribunal administratif de Bordeaux. L’association y conteste le non-renouvellement de la convention d’objectifs et la fin de la mise à disposition des locaux, propriété municipale jusqu’alors louée gratuitement.

« Face au rejet du maire de notre recours gracieux, nous avons saisi le tribunal administratif pour un recours contentieux », explique Hakima Abbassi.

Jusqu’à la fermeture le 8 août, et malgré une demande d’expulsion déposée par la mairie le 10 juillet auprès du tribunal, l’association a continué d’occuper les lieux. Possible, tant que le dossier est en étude auprès du tribunal administratif.

Le tribunal judiciaire a également été saisi pour l’ouverture d’une procédure de sauvegarde, accordée le 17 mai 2024.

« Cette procédure permet à l’association d’avoir une période d’observation pendant laquelle nous recherchons des solutions fiables et nous mettons en place des mesures pour éviter une liquidation judiciaire », poursuit-elle.

Avant la perte de l’agrément, l’association comptait 7 salariés (dont la directrice Fatima Garnier) appuyés par de nombreux bénévoles, dont Hakima Abbassi.

Une situation qui « pénalise » les enfants

« C’est dommage pour les enfants, cette situation. Ça les pénalise », réagit Vanessa, croisée devant l’école élémentaire Joliot-Curie. Même son de cloche chez Mouhirati et Hikayatte. Les deux mères de famille se retrouvent aujourd’hui « sans solution ». A la maison, les bambins sont scotchés à la télé, impossible de les maintenir concentrés.

Zilloura et sa fille Mallek, aux côtés de Frédéric Camino. Devant l’école élémentaire Joliot-Curie, à Pessac, le 10 septembre 2024.Photo : JR/Rue89 Bordeaux

La mairie indique au contraire assurer « déjà la transition avec des solutions alternatives dans l’intérêt supérieur des habitants » :

Des permanences de Pessac Animation [l’accueil jeunesse de la Ville, NDLR] au foyer du collège Alouette et les mercredis après-midis à l’Orangerie, un séjour au centre de vacances l’Oasis à Saint-Lary (Hautes-Pyrénées) en avril, des ateliers de révision du brevet proposé par le 12-25 au collège Alouette et au sein de l’association Mamboko [qui ne reprendra pas en septembre, NDLR], des animations estivales.

« Ces actions pourraient être en concurrence avec celles encore proposées par Alouette », avertit toutefois le Département. Lui aussi presse les parties de trouver une solution :

« La situation sociale de quartier nécessite qu’une solution soit rapidement trouvée afin d’éviter d’autres débordements qui viendraient aggraver le climat déjà tendu ».

En exercice depuis 18 ans, Alouette animation garde espoir :

Si le tribunal nous donne raison, nous pourrions encore sauver le centre social ».

La Ville, elle, semble avoir fait une croix sur le partenariat. Prêchant pour « le retour d’un centre social dans le quartier du Haut-Livrac le plus rapidement possible », elle ne mentionne plus Alouette, sans autre précision quant à son plan B.


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