« On est là pour mettre la pression sur le gouvernement et l’Union européenne, pour qu’ils ne signent pas le traité du Mercosur en l’état. On veut aussi que le gouvernement reprenne le travail qui a été abandonné à la dissolution. Aujourd’hui, avec toutes ces tergiversations, on ne sait pas où on va, alors que l’agriculture est une production de temps long où l’on a besoin de visibilité pour se projeter dans l’avenir », déplore Jean-Samuel Eynard, président de la FNSEA de la Gironde.
Réunis sur le quai des Chartrons en ce début de soirée, une centaine d’agriculteurs ont répondu présent à l’appel de mobilisation lancé par la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les Jeunes agriculteurs (JA). Les deux organisations soulignent « ne pas être opposées aux traités de libre-échange », qui doivent être établis, selon eux, sur le principe du « gagnant-gagnant ».
« Un accord doit être équitable. Les produits qui viennent des pays du Mercosur, au niveau social, environnemental, sanitaire, présentent des pratiques qui sont interdites chez nous depuis très longtemps et qu’ils continuent à pratiquer allègrement », poursuit Jean-Samuel Eynard.
Côté FNSEA, ce sont les « clauses miroirs » qui cristallisent l’opposition du syndicat à la ratification d’un traité de libre-échange, « en l’état ». Intégrées dans un accord commercial, ces mesures sont censées imposer une réciprocité entre les normes de production des deux pays.
« Enfant on en rêve, adulte on en crève »
Près de l’arrêt de tramway CAPC, les paysans alimentent un brasier à l’aide de sarments de vigne provenant du plan d’arrachage en Gironde. Sous un barnum, une cantine de fortune permet de se restaurer, à côté d’une banderole où est inscrit le slogan : « N’importons pas l’alimentation que nous ne voulons pas ! ».
Étienne Guyot, préfet de la Gironde, est venu saluer les agriculteurs, rappelant la position de la France, qui cherche des alliés en Europe pour faire capoter le projet : « J’ai le sentiment que tout le pays est contre la signature de cet accord. Je comprends parfaitement ce raisonnement de bon sens ».
Si le projet de traité avec le Mercosur est au centre de la protestation, la mobilisation des agriculteurs en colère initiée début 2024 semble renaître de ses cendres, avec trois enjeux principaux : la question du revenu paysan, l’exigence d’une « simplification administrative » et l’allègement des réglementations en matière d’usage de produits phytosanitaires. Des problématiques exacerbées par des récoltes « exceptionnellement basses, toutes filières confondues ».
« Pas grand-chose n’a changé depuis les premières mobilisations. On a eu des fonds d’urgence, la question du GNR (carburant) qui a pu être réglée… Mais on ne s’est pas encore attaqué au revenu des agriculteurs. Il faut qu’on puisse vivre de notre production, avec un revenu décent, et ce n’est toujours pas le cas. C’est pour ça qu’on se remobilise après le vide politique de cet été, la colère ne s’est jamais éteinte », détaille Vincent Bougès, viticulteur et vice-président des Jeunes Agriculteurs de la Gironde.
« La faillite du système viticole »
La question du « lendemain » est aussi au cœur des préoccupations. Entre l’instabilité géopolitique et l’impasse économique rencontrée par nombre d’exploitations, il est difficile d’attirer « une nouvelle génération » vers les métiers de l’agriculture. En Gironde, la situation est aggravée par l’effondrement de la filière viticole, qui touche de plein fouet le troisième département producteur de vin.
« L’arrachage permet de sortir une partie de vignoble qui n’est plus productive ou des personnes qui arrivent en fin de carrière. Le vrai défi dans tout ça, c’est la déconsommation. On est obligé de remettre en question notre modèle, que ce soit sur la taille de nos exploitations ou le type de nos productions. On se dit qu’il va falloir réduire », conclut Vincent Bougès.
La Confédération paysanne, absente du rassemblement, observe la mobilisation sans y prendre part directement. Contactée par Rue89 Bordeaux, l’organisation met en avant son « opposition aux traités de libre-échange depuis une trentaine d’années » et écarte l’éventuelle ratification d’un accord avec les pays du Mercosur comme problématique « la plus urgente » au niveau local.
« Pour nous, le sujet immédiat, c’est la faillite du système viticole avec des centaines d’exploitations qui sont en cessation de paiement, pointe Dominique Técher, viticulteur et porte-parole de la Confédération paysanne en Gironde. Donc on va se mobiliser, mais on se demande dans quelles conditions vont se passer ces liquidations judiciaires… Est-ce que les vignerons ruinés vont se retrouver à la rue ? »
Mouvement de colère
Alors que la mobilisation sur le quai des Chartrons s’est déroulée sans incident, la FNSEA et les JA annoncent d’ores et déjà une poursuite du mouvement, au moins jusqu’au mois de décembre. Étienne Guyot, qui a rappelé les mesures gouvernementales engagées depuis le début de l’année, met en garde contre d’éventuelles actions de blocage :
« À ce stade, je vois qu’il y a une manifestation de colère, mais je n’ai pas entendu parler de blocages. Vous avez entendu le ministre de l’Intérieur : s’il y a des blocages, il sera demandé aux forces de sécurité de les lever. Pour l’instant, je n’en suis pas là, je reste dans l’écoute et dans l’échange », déclare Étienne Guyot, préfet de la Gironde.
Dès demain 6h, la Coordination rurale appellent ses adhérents à rallier Bordeaux depuis leurs exploitations, avec un rassemblement prévu dans le secteur de Mériadeck.
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