Le réveil fut brutal pour les 27 occupants de l’ancienne caserne militaire rue Hortense. Dans la bâtisse d’un blanc immaculé, les occupants des six appartements sont pressés par les huissiers. « Vous avez cinq minutes pour décider ce que vous gardez et ce qui part au garde meubles », prévient l’un d’entre eux. Des forces de l’ordres encadrent l’opération d’évacuation qui a démarré vers 9h.
La veille, un officier de la police judiciaire est passé les prévenir que l’expulsion allait survenir dès le lendemain. Elle fait suite à la décision de justice du 14 octobre 2024, sur demande de la société Nove, concessionnaire pour le compte du ministère des Armées, qui est le propriétaire des murs.
Alors ce vendredi matin, les affaires s’entassent sur le trottoir, tandis qu’une équipe de déménageurs remplit le premier des trois fourgons avec des meubles.
« Je suis à la rue »
Tom* (* pseudonyme) observe le ballet des déménageurs, une cigarette à la bouche. À 49 ans, il a quitté Blaye pour Bordeaux et vit seul depuis son divorce. Il est venu s’installer dans ce logement il y a trois mois, le temps de trouver mieux, et vient tout juste de signer un CDI dans la restauration.
« Ce soir je suis à la rue, glisse-t-il, la voix presque éteinte par l’émotion. Heureusement j’ai un ami qui peut me garder mon scooter et la plupart de mes affaires en attendant que je puisse m’organiser et me prendre une chambre d’hôtel ou un truc pour dépanner. »
Comme lui, d’autres avaient élu domicile dans ce squat au cours de l’année passée. Des familles, dont deux avec des enfants de 12 et 13 ans scolarisés à Bordeaux, mais aussi des personnes seules, une mère et sa fille handicapée et un couple sans enfant.

Jamal et son fils sont arrivés rue Hortense fin juin 2024. Ce vendredi matin, ils sont tombés des nues.
« Je ne pensais pas qu’ils nous expulseraient un vendredi alors qu’après il y a le week-end et qu’on ne peut rien faire », affirme Jamal.
Pour cet éducateur spécialisé, qui travaille depuis plus de 30 ans auprès des sans-abris, la procédure est d’autant plus douloureuse qu’il en connaît les rouages par cœur. Il confirme que la trêve hivernale n’y change rien, étant donné qu’elle ne s’applique pas aux squats.
Trois familles hébergées
En fin de matinée, la voisine d’en face, rentrée chez elle pour le déjeuner, découvre la scène avec stupeur. Elle s’émeut du sort réservé aux habitants de la caserne, « des gens qui ont toujours été très calmes et très respectueux », avec lesquels elle échangeait tous les jours.
Elle propose son garage pour stocker des affaires que Jamal ne peut déplacer. Un autre résident de la rue, arrivé il y a 40 ans, déplore ces expulsions récurrentes :
« Tous les quatre ou cinq ans, un squat s’installe, puis il est délogé. Ils vident le bâtiment, mais ensuite, il est laissé à l’abandon, donc ils reviennent. Qu’ils en fassent quelque chose ou qu’ils le laissent aux gens », s’indigne-t-il, soulignant par la même occasion que les personnes expulsées « ne causent aucune nuisance ».
Personne n’a pu en effet confirmer ce que le bailleur comptait faire de ces logements. Contactée par mail, la société Nove n’a pas répondu pour l’instant. De son côté, la préfecture a fait savoir que trois familles ont eu des propositions d’hébergement, sans pour autant en préciser la durée ni le nombre de personnes concernées.
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