Jacques Ellul doit se retourner dans sa tombe. L’université de Bordeaux, où le penseur de la société technicienne, précurseur de l’écologie politique, a étudié puis enseigné, vient de fermer ses portes à une chercheuse travaillant sur l’intelligence artificielle, engagée par ailleurs dans les combats écologistes.
Comme l’a révélé Mediapart le 15 mai dernier, la candidature de cette mathématicienne et sociologue avait pourtant été retenue en septembre par le Labri (laboratoire bordelais de recherche en informatique), une unité de recherche hébergée par l’université, réunissant 300 personnes. Ada (pseudonyme) devait y démarrer le 1er mars dernier son postdoctorat, une analyse des controverses scientifiques sur les impacts environnementaux de l’intelligence artificielle.
« Potentiel scientifique de la nation »
Mais alors qu’elle attendait toujours de signer son contrat à durée déterminée (de un an), l’université lui a signifié son refus d’accès au laboratoire, et donc l’impossibilité de son embauche par le Labri (piloté par le CNRS, l’université et Bordeaux INP). La décision, confirmée ce lundi 19 mai par le tribunal administratif de Bordeaux, saisi dans le cadre d’un référé-suspension par Ada, émane en fait du ministère de l’enseignement supérieur.
« Lorsque le ministre émet un avis défavorable, dont les motifs ne sont communiqués ni au demandeur, ni au président de l’université, ce dernier est alors tenu de rejeter les demandes d’autorisation d’accès à une ZRR (zones à régime restrictif). Cela a été le cas en l’espèce », explique la direction de l’université à Rue89 Bordeaux.
Plus précisément, c’est le Haut fonctionnaire de défense et de sécurité du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche qui autorise ou non les chercheurs à accéder à ces ZRR. Créées en 2011, elles concernent 931 laboratoires ou unités de recherche en France, dont la plupart de ceux travaillant sur l’informatique comme le Labri, et visent à protéger le « potentiel scientifique et technique de la nation ».
Ecoterrorisme
Ces restrictions sont relativement rares – 157 avis négatifs (soit 1,7 % des cas). « Quatre risques justifient l’interdiction de pénétrer dans une ZRR », rappelle Mediapart : « l’atteinte aux intérêts économiques de la nation ; le renforcement d’arsenaux militaires étrangers ; la prolifération d’armes de destruction massive ; le terrorisme ».
Ada, de nationalité française et au casier judiciaire vierge, rentre-t-elle dans ces catégories ? Assurément non, affirment les syndicats Sud et CGT, la Ligue des droits de l’Homme, l’Assemblée des directions de laboratoires, et l’Association française de science politique, qui la soutiennent dans sa démarche judiciaire.

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