« La santé mentale a été érigée en grande cause nationale de l’année 2025 », ouvre Bernard Muller, le vice-président de la vie étudiante et de la vie de campus de l’Université de Bordeaux, rappelant les engagements du gouvernement sur la question. Car en effet, un Français sur quatre est atteint au cours de sa vie de problèmes de santé mentale.
Des difficultés qui touchent d’autant plus la tranche des 18-24 ans : selon Santé publique France, la proportion de jeunes atteints de troubles dépressifs est passée de 11,7% en 2017 à 20,8% en 2021. Concernant le campus bordelais, le Lab santé étudiants de l’Université de Bordeaux a quant à lui estimé la proportion d’étudiants touchés par des symptômes dépressifs à près de 41% en 2024, soit des chiffres plus qu’alarmants.
« Agir avant la crise »
C’est pourquoi, dès 2019, quatre universités, dont celle de Bordeaux, ont fait le choix de participer aux formations pilotes menées par l’association Premiers secours en santé mentale (PSSM) France, avant un déploiement progressif de l’expérimentation. Ces formations, gratuites pour les étudiants, durent deux jours et sont délivrées par des professionnelles de l’Espace santé étudiant (ESE) agréées par PSSM France.
Alexia Braz Alfonso, étudiante en dernière année à Sciences Po Bordeaux, a été étudiante relais en santé mentale et bien-être pour l’ESE l’année dernière, et a reçu cette formation PSSM. Elle décrit une formation « levier », qui a su l’intéresser au sujet de la santé mentale et à toutes ses implications.
« C’est quelque chose que je déploie au quotidien maintenant, raconte-t-elle. Ça nous permet d’agir avant la crise, plutôt que pendant, avant que l’état mental ne se dégrade trop. On nous apprend surtout à écouter, à aller plus loin qu’un “oui ça va” qui est une simple réponse automatique, à remarquer des petites phrases paraissant anodines mais qui sont pourtant lourdes de sens et qui peuvent traduire des idées noires… J’ai aussi découvert tous les dispositifs et structures d’accompagnement et de soutien vers lesquelles rediriger, et il y en a bien plus que ce qu’on peut s’imaginer. »
« La santé a un coût, mais elle n’a pas de prix… »
Aujourd’hui, près de 3000 étudiants du campus bordelais ont pu être formés. Contrairement aux autres établissements, l’Université de Bordeaux a aussi fait le choix de former son personnel sur la base du volontariat, et en compte près de 500 formés à l’heure actuelle. Caroline Jeanpierre, directrice de PSSM France, remarque une dynamique propre au campus bordelais, puisqu’une personne sur trois formées à l’échelle de la France est originaire de ce dernier.
« Il y a quelque chose de précurseur à Bordeaux, on voit que l’Université réussit à inscrire ses efforts sur le temps long », admire-t-elle.
Représentant un coût de 200 000€ par an pour l’Université de Bordeaux, le dispositif bénéficie du soutien financier de l’Agence régionale de santé de Nouvelle-Aquitaine, de la Contribution de vie étudiante et de campus et a reçu pendant un temps une aide de la Région. Mais comme le rappelle Pierre Muller, « la santé a un coût, mais elle n’a pas de prix… y compris la santé mentale ».
Laëtitia Morel-Pouliquen, qui fait partie depuis avril dernier des enseignants formés aux PSSM, souligne que les professeurs sont « souvent les premiers contacts étudiants » :
« C’est pour ça qu’il est crucial que nous sachions quoi dire, quoi faire, vers quels dispositifs et structures rediriger les jeunes, et surtout quelles attitudes sont déconseillées pour ne pas empirer la situation », explique-t-elle.
Savoir quoi (ne pas) dire à ses étudiants
Elle vante également les synergies créées au sein de la communauté universitaire par ces formations, qui sont parfois mixtes entre personnels et étudiants :
« Une étudiante m’a par exemple conseillé de coller un sticker sur mon ordinateur précisant que j’étais formée aux PSSM. C’est tout simple mais ça permet à mes étudiants de savoir d’emblée qu’ils ne doivent pas hésiter à venir me parler », ajoute-t-elle.
Chloé, pour sa part, est doctorante en droit et enseignante-chercheuse chargée d’étudiants en première année de licence. Elle a effectué la formation il y a plus de deux ans, consciente qu’elle aurait plus tard face à elle des étudiants susceptibles d’être touchés par des problèmes de santé mentale.
« J’étais étudiante au moment de la pandémie. J’étais en première année de master lorsque le confinement s’est terminé, et même si le retour à l’université a été bénéfique pour beaucoup, j’ai aussi vu les problèmes de précarité, d’isolement et de mal-être s’accroitre », retrace-t-elle.
Elle poursuit :
« Avant j’avais peur de mal faire, de dire quelque chose qu’il ne faut pas dire. Maintenant je dis clairement aux étudiants en début d’année que j’ai été formée et qu’ils peuvent venir me parler s’ils le souhaitent, et ça arrive quelques fois, généralement à la fin des cours. Sur 70 étudiants, trois sont venus me parler. Ils savent que je ne suis pas psychologue, par contre je sais être à l’écoute, et j’ai reçu beaucoup de ressources vers lesquelles les ré-orienter. À chaque fois j’attends la confirmation qu’ils ont ou qu’ils vont bénéficier d’un accompagnement. Les demandes en psychiatres en psychologues sont élevées chez les étudiants, et ça prend malheureusement du temps généralement pour obtenir un rendez-vous, mais la situation a fini par s’apaiser pour chacun de ces trois étudiants. »

Une volonté de continuer et d’aller plus loin
Florence Touchard, infirmière de l’ESE et coordinatrice du projet PSSM, affirme la volonté commune à l’Université de Bordeaux et à PSSM France de continuer à former mille étudiants par an, voire davantage si possible. Anne Moreau, la directrice opérationnelle de l’ESE, espère quant à elle former 150 à 200 enseignants par an.
« Notre partenariat avec PSSM France permet de faire du lien, de donner de la visibilité et de faire rentrer progressivement dans les consciences l’attention à la santé mentale », résume-t-elle.
La signature de la convention de partenariat entre l’Université de Bordeaux et PSSM France n’est donc là que pour officialiser un partenariat déjà existant.
« C’est une manière d’acter notre confiance mutuelle », conclut Pierre Muller.
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