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4e Nuit de la solidarité à Bordeaux : 31 années d’espérance de vie en moins pour les sans-abri

À Bordeaux, la Nuit de la solidarité 2025 a recensé 761 personnes sans-abri. Derrière ce chiffre en baisse, une réalité plus complexe se dessine : précarité durable, invisibilité des femmes et vieillissement alarmant.

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4e Nuit de la solidarité à Bordeaux : 31 années d’espérance de vie en moins pour les sans-abri
Certains sans-abri disent n’avoir rencontré personne le soir de la Nuit de la solidarité

Le 23 janvier dernier, la ville de Bordeaux et son CCAS ont organisé pour la quatrième année consécutive la Nuit de la solidarité. Objectif : recenser les personnes sans-abri sur le territoire communal. Au-delà du simple comptage, cette opération vise aussi à mieux comprendre les parcours de vie et les besoins des personnes rencontrées.

Le jeudi 3 juillet, trois intervenantes ont livré une analyse détaillée de cette nuit d’enquête : Claire Philippe, urbaniste à l’agence d’urbanisme Bordeaux Aquitaine (a-urba), Sandrine Alinier, directrice dynamique habitats à la Ville, et Lisa Taoussi, chargée de mission au CCAS.

Moins de personnes recensées, mais une réalité en trompe-l’œil

En 2025, 761 personnes sans-abri ont été comptabilisées dans les rues, les campements, les squats et les bidonvilles bordelais, contre 840 en 2024. Dans le détail : 392 personnes vivent à la rue ou en campement, 245 en bidonvilles et 124 en squat. Une baisse chiffrée, certes, mais que les expertes appellent à interpréter avec prudence.

« Il ne s’agit que d’une photographie à un instant T », rappelle Claire Philippe. Le recensement, mené en une seule soirée, ne peut prétendre à l’exhaustivité. Plusieurs personnes sans-abri ont d’ailleurs témoigné n’avoir vu passer aucune équipe de bénévoles ce soir-là. Les conditions météorologiques peuvent également influer sur la visibilité des personnes dans l’espace public.

Autre élément d’explication : une mobilisation renforcée de la Ville et de l’État. Harmonie Lecerf Meunier, adjointe au maire, a notamment souligné le doublement du nombre de nuitées hôtelières financées par la Ville (de 300 à plus de 700) et l’ouverture de 205 places d’hébergement supplémentaires, contre seulement 18 l’année précédente.

Des droits mal connus, des réponses inadaptées

Derrière les chiffres, les parcours de précarité s’inscrivent dans la durée : 60 % des personnes interrogées sont sans logement depuis plus d’un an. Pourtant, seuls 43 % déclarent avoir eu un rendez-vous avec un travailleur social au cours de l’année. Une situation qui alimente la méconnaissance et le renoncement aux droits.

Le 115, numéro d’urgence sociale, a été davantage sollicité qu’en 2024, mais 62 % des appelants affirment n’avoir jamais obtenu de place suite à leurs démarches. Si les capacités d’hébergement sont insuffisantes, les structures sont aussi souvent mal adaptées à certains profils : femmes, personnes accompagnées d’animaux, ou vieillissantes.

D’où l’importance d’identifier les publics rencontrés.

Les femmes, grandes invisibles du recensement

Parmi les répondants, 92 % sont des hommes, une proportion en légère hausse par rapport aux années précédentes. Mais cette donnée ne reflète pas la réalité : les femmes, plus exposées aux violences, tendent à se cacher pour se protéger, et échappent ainsi aux dispositifs de comptage.

Lorsqu’elles acceptent de témoigner, leur situation apparaît plus critique encore. 42 % des femmes rencontrées vivent à la rue depuis plus de cinq ans (contre 26 % en moyenne), et 71 % ont subi des violences. Des chiffres alarmants qui confirment les constats des éditions précédentes et justifient la mise en place de dispositifs spécifiques pour ce public particulièrement vulnérable.

Vieillir à la rue : une urgence silencieuse

Cette année, un focus particulier a été porté sur les personnes vieillissantes. Près de 25 % des personnes sans-abri ont entre 45 et 59 ans. Une catégorie d’âge qui, dans la rue, connaît une forme de vieillissement précoce : pathologies chroniques, perte d’autonomie, isolement social…

En effet, l’espérance de vie des personnes sans-abri est inférieure de 31 ans à celle de la population générale. Dès 45 ans, beaucoup présentent les fragilités habituellement constatées chez des personnes bien plus âgées. Le CCAS de Bordeaux en a fait un axe prioritaire de son action cette année, en adaptant l’accueil et l’accompagnement dans ses structures.

Enfin, plusieurs bénévoles ont pointé un angle mort de l’enquête : la situation des demandeurs d’asile, nombreux parmi les personnes à la rue, y compris ceux qui occupent un emploi. Faute de statut administratif stable, ces personnes se retrouvent piégées dans une précarité extrême. Elles incarnent une forme nouvelle de sans-abrisme, où l’on peut travailler sans pour autant accéder à un toit, victimes d’une sorte d’ « ubérisation » de l’exclusion.


#nuit de la solidarité

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