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« Mémoire en roue libre », un livre sur la ligne de crête entre poésie et cyclisme

Dans « Mémoire en roue libre », Pierre-Nicolas Marqués mêle récit de voyage, journal intime et amour du vélo. À travers une traversée des Pyrénées, il interroge la mémoire et l’amour. Un livre sincère, hybride, qui pédale à hauteur d’homme.

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« Mémoire en roue libre », un livre sur la ligne de crête entre poésie et cyclisme
Pierre-Nicolas Marqués signe un récit amoureux de la montagne et du vélo

Combien sommes-nous, au lendemain d’un chagrin d’amour, à enfourcher un vélo pour un parcours de 1200 kilomètres ? Pierre-Nicolas Marqués n’a pas réfléchi longtemps pour se lancer dans un tel périple suite à la proposition d’un ami. Après avoir vécu son voyage en pédalant en 2021, il dit l’avoir vécu une seconde fois en écrivant son premier livre, Mémoire en roue libre.

Le projet est né d’un double élan : celui du cœur blessé par une rupture amoureuse, et celui du défi de traverser les Pyrénées de Perpignan à Biarritz. Du Pays catalan à la côte basque, l’auteur bordelais retrace l’exploit de parcourir les « géants des Pyrénées », 16 cols à franchir avec 16473 m de dénivelé positif – la somme des distances en montée –, sur fond de collecte de dons pour la recherche sur Alzheimer avec d’autres partenaires cyclistes.

Mais loin du simple récit de voyage ou du carnet sportif, Mémoire en roue libre se veut aussi journal intime, déclaration d’amour à la montagne et manifeste d’un homme en quête de sens. « Un homme normal rêve de foutre le camp », disait Jacques Brel.

Entre le corps et l’esprit

En revanche, Pierre-Nicolas Marqués n’a pas choisi de s’échapper à vélo par hasard. Sa passion pour le deux-roues se ressent à chaque ligne, ses connaissances aussi. L’intérêt qu’il y porte est à la fois technique et mystique. « Cette méditation qui s’étale sur les centaines de kilomètres est une véritable conversation entre le corps et l’esprit », écrit-t-il.

L’amour du vélo est une affaire de famille. Sa grand-mère le lui a transmis à l’âge de 8 ans en expliquant les subtilités du Tour de France diffusé sur la télévision d’un salon modeste d’une échoppe à La Bastide. Pierre-Nicolas Marqués y ajoute les bons mots et le vocabulaire juste. Son récit file avec l’aisance d’un cycliste qui semble « avoir la socquette légère ». Et jamais le lecteur ne « sort de sa roue ».

L’écriture épouse la variation des paysages et le calvaire des sommets. À la sueur d’un col succède le murmure d’un souvenir. L’un des plus forts évoque bien sûr sa grand-mère, Mamou. « Le vélo a longtemps été le sport de la classe ouvrière, de la France rurale. Les forçats de la route forcent le destin jour après jour, durant trois semaines durant le Tour, cela résume le quotidien de centaines de milliers de personnes dont ma grand-mère. »

Une traversée peuplée de voix

Chaque étape – huit au total – est prétexte à revenir sur un détail biographique : un idole – le grand Mark Cavendish –, ou un mentor – son premier président de club Monsieur Barrière. Mais aucun chapitre ne sombre dans le pathos, ni dans celui de la nostalgie, ni dans celui de l’effort. L’un des charmes du livre réside dans ces inter-récits qui éclairent ses débuts dans le cyclisme au Club Athlétique de Bègles et ses premières compétitions. C’est avec un vélo Peugeot en acier, « un véritable radiateur », que l’auteur apprend comment les cyclistes « côtoient la douleur au point d’en faire une amie intime ».

Retour au tracé : Col de Jau, col de Menté, col de Palhières, col de Peyresourde, col de Tourmalet, col d’Aubisque… A chaque col une histoire qui n’a pas son pareil. L’éprouvante montée du col de Palhières avec un chien blanc qui traverse le récit comme il traverse la route. La délirante ascension du Tourmalet avec le peloton imaginaire d’un Tour de France des années 2000.

Mais si le coureur Alejandro Valverde n’y était qu’un rêve, Dorian Foulon est une réalité. Le champion paralympique de cyclisme à Tokyo en 2021 livre, à l’invitation de l’auteur, un poignant « souvenir de vainqueur ». Tout comme Pierrick Fédrigo, vainqueur de quatre étapes de Tour de France, raconte lui aussi son propre récit de dépassement et de résilience.

Le poétiseur cycliste

On pourrait croire que toutes les étapes se ressemblent, toutes les ascensions aussi, une série besogneuse et inlassable de coups de pédales. Mais Pierre-Nicolas Marqués n’est pas qu’un amateur de vélo : il est surtout un poétiseur, comme il se définit lui-même. Cette capacité de trouver les mots ancre aussi bien dans le réel ce que l’auteur tend souvent vers la métaphore ou le poème. On retrouve le slameur qu’il est, nommé Motsdumarquis.

Mémoire en roue libre s’offre facilement au lecteur, amoureux du vélo ou pas. À 28 ans, Pierre-Nicolas Marqués s’inscrit dans une nouvelle génération d’auteurs qui brouillent les frontières entre la manière et le vécu. Il écrit à hauteur d’homme, avec les mots qu’on dit plutôt qu’on n’écrit, et cela fonctionne. Le style mise sur une sincérité qui emporte tout dans ses rayons.

Ce n’est pas un hasard si le livre s’achève sans véritable arrivée. Pas de grande apothéose à Biarritz, pas de drapeau brandi, pas de foule, ni de hourras. Juste une larme discrète d’avoir relevé le défi. « Ecrire c’est laisser une trace de soi », dit Pierre-Nicolas Marqués. Et pas seulement sur le bitume.

Mémoire en roue libre, Pierre-Nicolas Marqués, édition Cairn, 2024, 17 €.


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