« Des petits gestes urbains qui en disent plus que des grands projets sur l’attention que porte une mairie à ses administrés et visiteurs », résume Pierre Hurmic, maire de Bordeaux.
Le geste en question ? Répertorier et mettre à disposition un parc de sanitaires dense pour les usagers du centre-ville, via l’appli Ici Toilettes. Cette carte interactive et gratuite qui localise les WC disponibles, développée par la start-up Urban Services, spécialisée dans les applications citoyennes, est en service depuis le 1er juillet à Bordeaux.
Pour le maire, cette initiative s’inscrit dans une politique municipale de santé publique, d’hygiène et de bien-être.
« Que personne à Bordeaux ne doive marcher plus de 5 minutes pour un sanitaire donc à moins de 500 mètres dans l’hypercentre ».
La mairie écologiste a augmenté de 20% le nombre de toilettes publiques depuis 2020 en passant de 54 à 71 dont 2 toilettes sèches, et la ville est donc désormais dotée d’une toilette publique pour 3 000 habitants quand les standards nationaux sont d’un pour 5000.
Mais si elle est classée dans le top 3 des grandes villes françaises en matière de parc sanitaire, ce n’est pas forcément suffisant. Or la construction de nouveaux équipements est laborieuse dans l’hypercentre. Aussi, dans les villes partenaires d’Ici Toilettes, les sanitaires publics sont complétés par ceux de commerces engagés, qui laissent l’accès à leurs WC sans obligation de consommation.
« Un dispositif écologique, économique et social »
« Je pense qu’on s’est tous retrouvés au moins une fois dans notre vie avec une envie pressante », résume Thomas Herquin, à l’origine du projet et fondateur d’Ici Toilettes et d’URBAN Services, une start-up de l’ESS (économie sociale et solidaire), basée à Nantes.
Pour répondre à ce besoin universel, nécessitant de savoir où trouver les sanitaires les plus proches, son application est selon lui une solution de « bon sens » à la fois sociale, écologique et économique.
Sociale, d’abord, car selon ses chiffres, « 98% des femmes sont aujourd’hui réfractaires à utiliser les toilettes publiques ». La conséquence ? Elles se retiennent à l’excès ou consomment dans des commerces pour accéder à des sanitaires.
Protections périodiques et tables à langer
Pour alléger cette charge mentale et physique genrée, l’application identifie et indique les lieux qui ouvre leurs toilettes gratuitement sans impératif de consommation. Et cela se ressent dans les chiffres de l’application :
« 60% des utilisateurs sont des utilisatrices », souligne Thomas Herquin.
Des fonctionnalités sont pensées pour répondre aux besoins divers et variés des usagers : installer un distributeur de protections périodiques et en livrer régulièrement aux commerces partenaires, rendre disponible l’audiodescription sur l’application, indiquer les commerces partenaires où les toilettes sont accessibles aux personnes à mobilité réduite et où il y a des tables à langer pour les familles …
En cas de désagrément, l’application propose également de laisser des commentaires ou recommandations sur la qualité du service (propreté, disponibilité…) qui remonteront par la suite aux services de Bordeaux Métropole.
Impossible dans un tissu associatif local
à ce jour, 15 commerces partenaires bordelais ont déjà rejoint le dispositif. Un maillage rendu possible par l’association La Cloche et son programme Le Carillon, qui répertoriait déjà les commerçants engagés contre l’exclusion des plus précaires. Dans ces commerces, des services gratuits comme l’accès aux toilettes, des verres d’eaux, des prises et chargeur pour charger le téléphone ou tout simplement du contact humain, sont proposés.
Mais désormais, grâce au financement par la ville de Bordeaux, chaque commerçant est indemnisé à hauteur de 100€ par mois pour leurs services rendus. Et ils sont régulièrement réapprovisionnés en protections périodiques par des livreurs bordelais à vélo.
Malgré tout, Ici toilettes reste une source d’économies pour la mairie : les coûts engagés jusqu’à présent pour ce dispositif équivalent à ceux de la construction d’une toilette publique et demie. Par ailleurs, les toilettes dites privées, se révèlent aussi plus écologiques et moins gourmandes en eau. Comptez environ six litres d’eau pour une chasse d’eau classique contre 17 litres d’eau pour les toilettes publiques et leur auto nettoyage.
Bordeaux huitième ville Ici Toilettes
Ce système, qui prête souvent à sourire et interroge, existe déjà depuis 15 ans en Allemagne, Suisse et en Autriche. Beaucoup plus répandu il est implanté dans 200 villes et répertorie 2200 commerçants. En France aussi, Ici Toilettes n’est pas nouvelle. Bordeaux rejoint les villes pionnières qui se sont engagées depuis 2019 avec la start-up en commençant par Nantes puis Grenoble, Angoulême, Avignon, Montreuil, La Rochelle … et Paris, depuis les Jeux Olympiques 2024.
Du côté des commerçants, l’accueil semble encore timide, mais prometteur. Chez Difintel, magasin de jeux vidéos, rue Judaïque, Lucas Franceschini n’a vu personne pousser la porte de son établissement pour ses toilettes depuis le 1er juillet.
Près de la place Fernand Lafargue, plus passante et touristique, la boutique de vêtements, L’armoire Poéthique, a elle, été sollicitée par une passante guidée par Ici Toilettes. Un peu plus loin, c’est trois duos que Nicolas Pays, le responsable d’Anti Café, a vu arriver depuis le début du mois, eux aussi grâce à l’appli.
Déjà des habitués
Mais cet établissement, qui est aussi un tiers-lieu de coworking, est depuis longtemps engagé dans une démarche d’ouverture :
« Nos toilettes étaient déjà ouvertes aux personnes en situation de vulnérabilité avant le dispositif Ici Toilettes. On a des habitués – sans abris, réfugiés ou personnes en situation de précarité- qui viennent recharger leur téléphone, emprunter les toilettes, se servir un café solidaire et parfois rester quelques heures », sourit-il.
Lors du paiement de leur consommation, les clients peuvent rajouter un euro à leur addition. Un geste qui permettra aux personnes en situation de précarité de récupérer un ticket et bénéficier d’une boisson chaude gratuite.
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