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Brûlé en service, sous pression de l’institution : Romain Boyer, ex-gendarme en Gironde, témoigne après sa démission

Ancien gendarme à La Réole, en Gironde, Romain a démissionné après quatre ans marqués par le harcèlement, la violence de sa hiérarchie et une grave brûlure causée par un cocktail Molotov lors d’une manifestation contre la réforme des retraites en 2023. Pour Rue89 Bordeaux, il revient sur son parcours et livre un témoignage lucide sur son métier.

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Brûlé en service, sous pression de l’institution : Romain Boyer, ex-gendarme en Gironde, témoigne après sa démission
Le 1er mai 2023, Romain Boyer est victime d’un jet de cocktail Molotov.

En octobre 2024, Romain Boyer, 26 ans, démissionne de la Gendarmerie nationale. Quelques mois plus tard, il prend position publiquement dans une vidéo TikTok, un geste rarissime dans la Grande Muette (l’armée). Une tribune de deux minutes, directement adressée au président de la République.

« Je n’ai pas été brûlé pour mes idées, mais pour défendre les vôtres », y clame l’ancien militaire, racontant le jour où il fut gravement brûlé par un cocktail Molotov lors d’une manifestation contre la réforme des retraites, le 1er mai 2023, à Nantes.

« C’était une vocation pour moi, le métier de gendarme, c’est ce que je voulais faire depuis que je suis gamin », explique-t-il d’une voix posée, non sans nostalgie. Nous retrouvons l’ex-gendarme à la terrasse d’un café de Montpellier, dans cette région du sud où il a grandi.

De La Réole (Gironde) à Lodève (Hérault), du maintien de l’ordre en manifestation aux opérations de contrôle de l’immigration aux frontières, jusqu’à sa démission : il veut aujourd’hui sensibiliser le public pour panser ses plaies, en posant un regard critique sur l’institution, sans vouloir « descendre » le travail des forces de l’ordre, tient-il à préciser.

Depuis sa démission de la gendarmerie nationale, Romain Boyer est retourné s’installer dans son département natal, l’Hérault. Photo : SC/Rue89 Bordeaux

« Si tu ne rentres pas dans le moule, tu te fais broyer »

Très tôt, la gendarmerie apparait comme une évidence. Après une enfance passée dans le petit village d’Aniane, au nord de Montpellier, le jeune homme obtient son baccalauréat général et enchaîne les petits boulots dans la logistique. Gendarme réserviste en 2017 adjoint volontaire en 2019, il entre à l’école de sous-officier de Châteaulin, en 2020.

« J’ai raté le concours une première fois : je n’étais pas très bon en orthographe, alors j’ai pris des cours pour y arriver. Je voulais être gendarme, rien d’autre ! Protéger la population, le côté carré, respectueux… Ça correspondait à mes valeurs. »

Après son passage à Châteaulin, Romain Boyer est affecté à l’escadron de gendarmerie mobile de La Réole, en Gironde. En parallèle des missions de maintien de l’ordre, il effectue aussi du renfort en brigade. « Au début, je me régalais : le boulot, c’était des patrouilles à Langon et dans les communes voisines… » Et les manifs ? « C’était génial aussi : à la gendarmerie mobile, c’est surtout pour ça qu’on signe », souligne-t-il, avouant rechercher « l’adrénaline » que l’on retrouve dans la gestion des violences urbaines. Une période pleine de « sens », avec le sentiment « d’être utile, à sa place ».

Blessure et pressions de la hiérarchie

Tout semble filer, jusqu’à ce 1er mai 2023. Le mouvement contre la réforme des retraites, imposée au forceps par le gouvernement d’Élisabeth Borne, bat alors son plein. En maintien de l’ordre, Romain Boyer les a « toutes faites », ces manifs. Déployé avec l’escadron de La Réole à Nantes, il fait face à une centaine de manifestants qui forment un black bloc. Les projectiles fusent. Il est gravement brûlé à la jambe par les flammes d’un cocktail Molotov.

« Ça a duré 17 secondes, je sentais les flammes qui montaient sur moi », se remémore-t-il, louant la réaction de ses camarades : « Ils m’ont éteint avec une couverture anti-feu, tous étaient choqués. »

À peine le temps de reprendre ses esprits, il rapporte avoir été maintenu en opération jusqu’en début de soirée.

« On est de la chair à canon. Tu crèves ou t’es blessé : c’est pas grave. Aucune reconnaissance. T’es juste un pion, qu’on place où qu’on enlève »

Débute alors ce que l’ancien agent de sécurité décrit comme un « enfer ». La douleur physique causée par la brûlure l’empêche de se déplacer : « Dès que je me levais, j’avais les jambes qui gonflaient, j’étais en état de choc », explique-t-il. Soutenu par ses parents, le gendarme demande alors sa mutation à Lodève, dans l’Hérault, où il arrive fin 2023. Il affirme y avoir été laissé sans soutien par sa hiérarchie, qui aurait exercé à son encontre « des pressions répétées », allant, selon lui, du « lynchage verbal avec insultes » à des « bousculades physiques ».

« Élément dérangeant »

Les arrêts maladie s’enchaînent. D’abord quinze jours, puis six mois. Vient ensuite la reprise, pas vraiment de son plein gré.

« Ils m’ont mis la pression. J’ai fini par accepter, parce que sinon je perdais mon logement de fonction, précise Romain Boyer. Ils sentaient qu’avec moi, ils avaient mis la main sur un ‘élément dérangeant’, vu mon état. Et là, si tu ne rentres pas dans le moule, tu te fais broyer ».

Les visites médicales sont expédiées, la reconnaissance officielle de ses blessures tarde à venir. Il raconte avoir été décoré à deux reprises pour ses états de service, mais ses supérieurs ne l’en ont jamais informé — il rapporte que c’est un camarade de son escadron qui lui apprend l’existence de ces distinctions.

En 2022, plus de 15 000 gendarmes ont démissionné de leur poste, « soit une hausse de 25 % en quatre ans » relève un rapport de la Cour des comptes, publié en avril 2023. Photo : SC/Rue89 Bordeaux

« Les supérieurs voulaient me renvoyer en maintien de l’ordre, mais je ne pouvais plus à ce moment-là… Ils me hurlaient dessus, m’insultaient pour que j’y retourne », confie-t-il. Peu à peu, le jeune gendarme se sent déconnecté, de plus en plus isolé. Il s’interroge alors sur le sens de ses missions, notamment lors d’opérations de contrôle de l’immigration à Menton, à la frontière franco-italienne :

« Tu les arrêtes, tu les contrôles et tu les ramènes à la frontière. […] J’ai été marqué par un jeune guinéen, une fois. Il avait 14 ans, il parlait super bien français. Il a eu un discours… Un discours qui m’a noué le ventre. Il a tourné la tête vers la mer, en pleurs, et il me disait qu’il ne pouvait plus voir l’eau. Il avait pris le bateau pour venir en France. Des personnes de sa famille sont mortes noyées en tombant à la mer. »

C’est dans les cités populaires que ses missions lui semblent encore avoir un véritable sens. Envoyé dans les quartiers « sensibles » de Perpignan, de Saint-Jacques au Bas-Vernet, l’agent voit une véritable utilité dans les opérations de contrôle des points de trafic de stupéfiants. « Les habitants étaient contents de nous voir, ils nous le disaient », se souvient-il. Mais là aussi, il finit par être désabusé, et pose finalement sa démission en juillet 2024.

IGGN et plainte au pénal

En octobre, Romain Boyer est définitivement libéré de la gendarmerie. Une « délivrance », après plusieurs mois de pressions exercées par sa hiérarchie, allant de violences physiques (poussettes, gestes d’intimidation) aux pressions psychologiques (humiliations, isolement de ses collègues). « Ils m’ont lynché plusieurs fois verbalement », explique-t-il, évoquant un signalement adressé à l’Inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN).

« J’ai été entendu pendant huit heures », témoigne Romain Boyer, qui rapporte le classement sans suite de son dossier. « Maintenant, j’ai déposé plainte au pénal, avec mon avocat, » pour des faits de violences physiques, de harcèlement moral et d’humiliations répétées.

Il est désormais assisté par l’avocat bordelais Thibault Laforcade, qui défend également les quatre anciens militaires du 8e RPIMa de Castres ayant porté plainte pour harcèlement moral et violences :

« Ce qui est assez fou, c’est de se dire qu’on est dans une administration où, même après ce type d’agression en opération, les mécanismes sont tellement ancrés qu’on n’est même pas capable de laisser un militaire récupérer. Le mécanisme d’humiliation, de brutalisation, de discipline se remet à battre sur lui comme si rien ne s’était passé. […] C’est une succession de brutalité, d’humiliation, comme lui avoir caché qu’il avait été décoré. »

Depuis, Romain est revenu dans son village natal, Aniane. « Ici, je reprends goût à la vie », relève-t-il, expliquant avoir retrouvé sa famille, ressentir moins de stress et la joie d’être sorti d’une « spirale infernale ».

Avant de nous quitter, l’ancien gendarme fait défiler les publications du groupe Facebook privé « GIE Côté Démission » dans lequel il partage son récit. « Il rassemble 28 000 personnes, que des gendarmes qui ont besoin de parler », indique Romain, avant de conclure : « Ça permet au moins de soulager… Je suis loin d’être le seul à avoir vécu ça, c’est une hémorragie totale dans la gendarmerie. »


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