La conso a son nouveau temple à Bordeaux, la promenade Sainte-Catherine, et même son totem – c’est l’expression consacrée pour son bâtiment « iconique », le Lego Store. Après 4 ans de travaux, ce « shopping mall » a été inauguré ce jeudi par Alain Juppé, le maire de Bordeaux, et Thierry Cahierre, directeur général de Redevco Centre, la société spécialisée dans l’immobilier commercial qui a conçu et va exploiter le lieu. Il sera ouvert au public dès ce vendredi, 10h, puis tous les jours jusqu’à 20h (22h pour les restaurants, 19h pour tout le monde le dimanche).
Bâtie en plein centre-ville de Bordeaux, sur le site des anciennes imprimerie du journal Sud Ouest, la Promenade Sainte-Catherine est présentée comme un nouveau quartier (privé : des grilles le fermeront la nuit, au grand dam de l’élu écologiste Pierre Hurmic, qui dénonce un « morceau de ville à l’américaine, bien éloigné selon nous du vivre ensemble et de ses exigences de mixité »).
La « greffe urbaine » de l’îlot Cheverus a ses rues traversantes (dont le passage Sainte-Catherine, qui la relie à la rue éponyme), ses logements (94, dont 26 sociaux, construits par Nexity) et sa place centrale. Celle-ci est pourvue de son mini-miroir d’eau – une fontaine évoquant la Devèze, la rivière canalisée qui traverse Bordeaux, et qui produit une vague rappelant le mascaret.
Marchands du temple
Voila pour le rappel au terroir, auquel doit aussi faire référence les murs en pierre de taille. Pour le reste, on pourrait très bien se trouver dans une autre cité occidentale, avec son Mac Do, son Starbuck, et même son écran géant, so Piccadilly Circus (qui, outre des publicités, diffusera des infos sur la ville).
Au « niveau haut » (entrée par la rue de la porte Dijeaux), se trouvent les franchises d’enseignes internationales : de mode (l’anglaise JD Sport, Follow Me, la « marque française dédiée aux jeunes filles connectées »…), de cosmétique (Durance, Lush), de bijoux (Swarowski), un opticien (La fabrique des lunettes). Et donc le fameux magasin Légo de 400 m2, le plus grand de France après celui de Disneyland…
En tout, la promenade affiche complet, avec 35 nouvelles enseignes pour Bordeaux – ce qui était une condition du succès de Redevco pour un investissement de 120 millions d’euros. Le site devrait générer 500 emplois
« Le commerce est le premier employeur à Bordeaux (27000 équivalent temps plein, NDLR), souligne Alain Juppé. Avec un chiffre d’affaires de 1,2 milliard d’euros chaque année, il se porte bien car la ville est redevenue attractive. Et la qualité des commerces profite à l’attractivité de la ville. »
La promenade épate la galerie
C’est aussi le constat fait par Christian Baulme. Le président de la Ronde des quartiers, l’association des commerçants bordelais, ne s’inquiète pas de la concurrence potentielle faite par la Promenade Sainte-Catherine aux boutiques du centre, au contraire :
« Cela va être une nouveauté fantastique, dont tout le monde va parler pendant des mois. Or les commerces indépendants ne vivent que de l’attractivité d’un lieu, et profitent indirectement des énormes moyens de communications des grandes enseignes, qu’ils n’ont pas. Avant, la rue Sainte-Catherine était incontournable, mais il ne se passait rien ailleurs. Aujourd’hui, beaucoup de commerces indépendants se sont installés rue Saint-James ou rue du Pas-Saint-Georges, car les gens s’y promènent aussi. Je préfère l’arrivée de grandes enseignes à Sainte-Catherine qu’à la gare, car les gens ne seront pas incités à venir dans le centre s’ils ont deux heures à tuer. »
Responsable du pôle études-observatoires de la CCI (Chambre de commerce et d’industrie) de Bordeaux, Laurent Putz voit aussi dans la Promenade Sainte-Catherine « un vrai plus » :
« C’est un centre commercial nouvelle génération, ouvert sur l’extérieur, qui va apporter du dynamisme au centre de Bordeaux, et lui permettre de se renforcer face aux pôles commerciaux de périphérie qui ont beaucoup investi ces dernières années. Les Rives d’Arcins (Bègles) et Mérignac Soleil ont ainsi accueilli des enseignes qu’on avait en centre-ville. Nous aurons désormais certaines locomotives comme Lego ou Starbucks, même si on aurait aimé avoir davantage d’enseignes vraiment nouvelles. »
Suréquipement
Près de 14000 m2 de surface commerciale pour la Promenade Sainte-Catherine, 5950 m2 d’extension du Carrefour Mérignac Soleil (passé à 202 000 m2), 3882 m2 pour le transfert (à deux pas) et l’agrandissement du Leclerc Saint-Louis, à Bordeaux… Les dernières opérations réalisées dans la métropole ont en effet accru une offre déjà abondante.
En 2011, l’ex Communauté urbaine de Bordeaux adoptait pourtant une charte de l’urbanisme commercial, prévoyant un moratoire sur tout nouveau pôle commercial de plus de 20 000m2, et une « maîtrise » des pôles de taille inférieure. La CUB constatait alors sur son territoire « un suréquipement en grandes et moyennes surfaces de l’ordre de +15% par rapport à d’autres grandes agglomérations comparables ou à la moyenne nationale » – la densité commerciale était de 1200 m2 pour 1000 habitants, contre 1000 m2 à Toulouse et Nantes, et le seuil de saturation atteint.
Aujourd’hui, force est de constater que loin d’être sous contrôle, la croissance s’est emballée : l’agglomération bordelaise compte 1397 m2 de grandes et moyennes surface pour 1000 habitants.
92% des demandes accordées en CDAC
Pourquoi ? Dans une agglomération se rêvant millionnaire, la charte n’avait pas vocation « à tout figer », selon Nicolas Florian, alors élu communautaire en charge du dossier. Anticipant « la création d’une offre nouvelle adaptée de pôles commerciaux liés au développement d’importantes concentrations de logements et d’emplois », la CUB autorisait par avance 15 nouveaux projets pour un total de 160 000 m2, dont la promenade Sainte-Catherine et 20 000 m2 de commerces à Ginko.
Certaines de ces galeries marchandes sont donc sorties de terre avant l’arrivée des habitants. Et ce n’est pas fini : à Ginko, toujours, un centre commercial de 22 000m2, piloté par Bouygues, sera livré en 2018. Il a été validé l’an dernier par la CDAC (commission départementale d’aménagement commercial), toujours très accommodante. En 2014, cette instance, où siège notamment un élu de la commune concernée, a en effet autorisé pour le Grand Bordeaux 92% des surfaces demandées (33 000 m² accordés sur près de 36000).
« Le prochain tour de CDAC, on espère que ce sera pour nous », a d’ailleurs déclaré à Sud-Ouest (accès payant) Pierre Sabouret, responsable pour le Sud-Ouest d’Immochan, filiale immobilière d’Auchan. Pour court-circuiter son voisin Bouygues et répliquer à ses concurrents de Mérignac Soleil (Carrefour et Klépierre, gestionnaire de la galerie marchande), le groupe nordiste souhaite en effet agrandir sa galerie de Bordeaux-Lac.
« Nous avons plusieurs projets dans les tiroirs, il y a des enseignes qui tapent à la porte, dont certaines qui ne sont pas encore présentes à Bordeaux, mais on doit avoir les autorisations », poursuit Pierre Sabouret.
« Tout ne se fera pas »
Et des commerces, il y en aura dans tous les nouveaux quartiers de Bordeaux Métropole. Soit une centaine de milliers de m2 supplémentaires entre Euratlantique, Brazza Bastide, les Bassins à flot… estime Laurent Putz, de la CCI :
« Ça fait beaucoup et il va falloir réfléchir à la quantité de m2 qui vont être proposés dans les différents programmes et à quelle échéance ils sortiront. Notre difficulté, c’est que les projets sur des nouveaux quartiers ont tous une teinte assez similaire. C’est du commerce de proximité, pas de quoi remplir les dizaines de milliers de m2 annoncés. Peut-être que tout ne se fera pas : pour les Bassins à flot, la jauge des commerces a ainsi été revue à la baisse. »
Et pas qu’un peu : le projet est passé de 57 000 m2 de surfaces commerciales à 30 000 m2 , soit quasiment moitié moins !
« On ne voulait pas en faire une nouvelle polarité avec le lac, justifie Maribel Bernard, élue en charge du commerce à la mairie de Bordeaux. On doit être attentif à ce que les enseignes ne se cannibalisent pas entre elles. Or nous avons déjà dans ce secteur Auchan, Leader Price et Leclerc Saint-Louis. Pas besoin de plus… »
C’est à dire qu’il n’y aura de grande surface alimentaire d’au moins 2500 m2, taille que Christian Baulme juge nécessaire pour attirer de petites enseignes dans son sillage.
« Je ne suis pas inquiète, répond Maribel Bernard. Les commerces viendront parce qu’il y aura un cinéma, des écoles, la Cité des civilisations du vin… »
Friches commerciales
Aux Bassins à flot comme ailleurs, l’élue ne craint donc pas le danger de se retrouver avec des friches commerciales sur les bras :
« Ce ne serait pas beau à voir, mais on n’en est pas là. Si des gens décident d’ouvrir des commerces, c’est qu’ils estiment que le potentiel pour le faire est là, et que leurs études préliminaires sont concluantes. Mais il faut rester attentifs. »
Malgré la vacance de quelques commerces le centre commercial de Saint-Christoly (géré comme Mérignac Soleil par Klépierre), voisin de la promenade Sainte-Catherine, Christian Baulme ne se fait pas non plus de bile – « un coup de frais et une ou deux nouvelles enseignes, et ça peut repartir » –, ni pour le Quai des marques (propriété d’Affine), qui devrait finir par bénéficier de l’arrivée d’habitants aux Bassins à flot.
Des friches commerciales, on en trouve, selon Laurent Putz, « surtout dans les centres villes de sous préfectures, comme Lesparre, Blaye, La Réole (plus de 25% de vacance) » :
« Leurs habitants, très motorisés, vont à Langon ou à Marmande. La métropole reste attractive et l’urbanisme commercial relativement bien maitrisé par le SCOT (schéma de cohérence territoriale), même si certains pôles souffrent, comme celui de Lormont. Nous constations ainsi une baisse du nombre de m2 demandés en CDAC. A l’inverse, le bassin d’Arcachon s’est extrêmement développé, ce qui pourrait avoir un impact sur l’attractivité des centres commerciaux de la métropole. »
Anarchy in the bassin
Le développement commercial du bassin est lui assez anarchique, à l’image de l’ouverture du Leclerc de la Teste-de-Buch, invalidée par le Conseil d’Etat suite aux recours d’une association de commerçants, et finalement autorisée par la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC).
Cela contribue à la saturation en grandes surfaces de la Gironde : dans le département le nombre de m2 demandés a augmenté l’an dernier de 63%, pour atteindre près de 72 000 m2. Dont 93% autorisés, avec la bénédiction des maires membres des CDAC qui, souvent, préfèrent éviter qu’un projet potentiellement créateur d’emplois (même s’il en détruit par ailleurs) file dans la commune voisine.
A cause de cette réglementation, le conseil général de la Gironde estimait il y a deux ans que « 150 000 m² de surfaces commerciales autorisées ne trouveront pas le potentiel de clientèle avant 2020 ». La Gironde aurait même 320 000 m² de commerces en trop.
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