Un « ghost bike » sera déposé ce jeudi sur l’avenue de Beaudésert, à Mérignac. A l’instar des silhouettes de victimes de la route, il rendra hommage au cycliste tué en mai dernier par un camion sur cet axe qui longe l’aéroport.
L’action symbolique sera le point d’orgue de la manifestation à deux-roues, à l’appel des associations Vélo-Cité et Léon à vélo, ainsi que des « vélotaffeurs » de la zone aéroportuaire. Afin de prévenir de nouveaux drames, ils réclament des aménagements rapides sur l’avenue de Beaudésert, bientôt rebaptisée boulevard Technologique : création d’une bande cyclable, baisse des limites de vitesse à 50km/h (au lieu de 70 actuellement) avec radars dissuasifs, comblement du dénivelé entre la chaussée et le bas côté…
« L’opération d’intérêt métropolitain (OIM) qui pilote l’aménagement de l’Aéroparc, a déjà prévu de refaire toutes les infrastructures routières et notamment ce boulevard Technologique, qui va du terminal du tramway au Haillan jusqu’à l’aéroport, explique Benoît Maury, de Léon à vélo. On va ainsi passer à terme de 42 à 100 kilomètres d’aménagements cyclables. Mais l’échéance des travaux, d’ici 4 à 5 ans, nous parait trop lointaine vu l’augmentation exponentielle de la pratique du vélo sur la métropole. »
Car le nombre de cyclistes augmente même sur l’aéroparc, malgré la circulation automobile écrasante – 86% des trajets se font en voiture, représentant près de 2000000 déplacements par jour -, et à cause de celle-ci, indique Benoît Maury :
« Du fait de l’accroissement de la congestion automobile, le report modal se fait automatiquement car on arrive aux limites en termes de stress et de temps passé en voiture. Moi-même, lorsque je suis revenu à Bordeaux, en 2015, pour travailler comme ingénieur au Cesnac, un centre de la direction générale de l’aviation civile (DGAC), j’ai lâché ma voiture au bout d’un mois. Plutôt que de passer 2 heures dans les bouchons pour faire sept kilomètres, je me suis mis au vélo. »
Quand t’es dans Beaudésert
Il est vrai que la desserte en transports en commun laisse à désirer – la Liane 1+ est saturée, et le prolongement de la ligne A du tram n’est pas attendu avant 2021, notamment. Aussi, Benoît Maury assure n’être pas le seul à pédaler :
« Beaucoup de cadres supérieurs qui travaillent dans les entreprises de la zone (Thalès, Dassault…) ont ce profil type : des jeunes arrivant de la région parisienne qui se rendent vite compte que la ville est à échelle humaine, et que tout est accessible et faisable à vélo. D’après un sondage, entre 5 et 13% des 1000 salariés de la DGAC viennent au travail à vélo. Et si on estime la part modale du vélo entre 3 et 6%, cela représente 1000 à 2000 personnes, sur les 35000 salariés de l’aéroparc. Les politiques doivent comprendre que mécaniquement, cela représente plus de risques pour tout le monde. »
Depuis un an, trois cyclistes ont été tués dans la métropole, dont deux à Mérignac, et une à Bordeaux – mais elle était en stage à Thales. Les élus semblent avoir entendu l’urgence, et le symbole qui se noue ici, dans la zone d’activité la plus dynamique de la région. Alain Anziani, maire de Mérignac et premier vice-président de Bordeaux Métropole, promet ainsi de répondre aux attentes des cyclistes :
« On a aujourd’hui un danger mortel sur l’avenue de Beaudésert, où il est presque suicidaire de s’aventurer. Des solutions provisoires vont sans doute être dégagées d’ici la fin de l’année, avec une réduction de la vitesse des véhicules pour pacifier tous les croisements. La métropole prévoit ensuite des aménagements plus lourds, qui nécessitent encore des études, notamment pour savoir si nous ferons une piste cyclable à double sens ou des pistes des deux côtés de la voirie. »
Les chiffres de M. Seguin
La métropole va ainsi consacrer 6 à 7 millions d’euros aux pistes cyclables, sur un budget d’aménagement (essentiellement routier) de l’OIM Bordeaux Aéroparc de 57 millions d’euros. On est donc très loin des 16 millions d’euros consacrés au vélo annoncés par Patrick Seguin, le président de la CCI (actionnaire principal de l’aéroport de Bordeaux Mérignac). Ce chiffre fantaisiste, cité par Sud Ouest du 13 octobre, permet au patron de la chambre de commerce et d’industrie de se dire « en désaccord sur les investissements qui se font dans ce secteur » :
« Nous sommes bien sûrs ravis que le tramway desserve l’aéroport, même si on parle maintenant de 2021 plutôt que de 2019. Mais tout le monde ne viendra pas en tramway à l’aéroport, ni via les pistes cyclables qui sont envisagées dans le programme (…). Jusqu’à preuve du contraire, je n’ai pas vu beaucoup de voyageurs venant prendre l’avion mettre leur grosse valise sur le porte-bagage de leur vélo. 82 % des passagers y viennent en voiture. »
Ces voyageurs ne représentent toutefois que 15000 déplacements par jour (en moyenne annuelle, avec des pics en été, et des périodes plus creuses le reste du temps), sur 200000 trajets. Mais Patrick Seguin et le Medef réclament d’autres investissements routiers afin de rallier plus vite l’aéroport depuis la rocade. Ils plaident pour un tunnel ou un autopont permettant de shunter le rond-point René-Cassin. Coût de cette infrastructure : 9,5 millions d’euros (par dessus) ou 12,5 millions d’euros (par dessous), selon des estimations faites par Bordeaux Métropole lors de la concertation sur la desserte de la zone.
Un chouia supérieur aux 7 ou 9 millions avancés par la CCI, et pour un résultat proche du néant, puisque, souligne Alain Anziani, malgré un « coût significatif, un tunnel n’améliorerait pas la circulation ». Il indique que trois barreaux routiers prévus dans l’aménagement du quartier, permettront de désengorger ce rond-point.
« Les propos de Patrick Seguin sont excessifs, réagit donc plus globalement le maire de Mérignac. Avec la métropole et le président Juppé, nous veillons à ce qu’on puisse faire des investissements sur la voirie car on a un risque d’asphyxie réel et à court terme dans une zone où 10000 salariés supplémentaires sont attendus d’ici 2030. Dans ces conditions, les entreprises iront peut-être s’installer ailleurs. Je ne crois pas à la fin de la voiture dans les prochaines années, mais il faut qu’on propose des alternatives pour désenclaver l’aéroport. »
Bordeaux Métropole table sur une baisse de la part modale de l’auto-solisme de 86% à 74% en 2030. A priori pas très ambitieux comparé l’objectif, peut-être trop optimiste pour le coup, de 33% pour l’ensemble de l’agglomération. Mais la raison est simple : 38% des employés de la zone aéroportuaire viennent de l’extérieur de la métropole, et risquent d’avoir du mal à renoncer à leur voiture.
« La voiture, on en a marre »
Ils pourraient recourir davantage au covoiturage, si les applications dédiées se développent ou si les expérimentations comme la voie de bus ouverte aux covoitureurs près de Thales, jusqu’à présent peu pratiquée, se multiplient. L’arrivée du tramway, mais aussi d’un bus à haut niveau de service (BHNS) entre Pessac Bersol et le Haillan, sont également attendus. Mais aucun calendrier n’est encore avancé pour ce dernier projet, au grand dam des syndicats de salariés de l’Aéroparc.
« Depuis 2013 et notre courrier à la communauté urbaine de Bordeaux signé par cinq syndicats, nos demandes sont toujours les mêmes, affirme Marc Fernandes, de la CFDT Thales. La voiture, on en a marre. Nous voulons des transports collectifs, et à des horaires adaptés pour les salariés. Il y a bien un bus (la liane 11) jusqu’à 5 Chemins, mais on nous dit que personne ne le prend, et on réduit les fréquences, alors qu’il faudrait les augmenter aux heures d’embauche et de débauche, et les espacer le reste du temps. »
La mise en place d’un plan de déplacement inter-entreprises (PDEI) de l’Aéroparc a d’ailleurs permis de connaître plus finement les besoins des employés, et de proposer des solutions aux collectivités, poursuit Marc Fernandes :
« Cela a servi à la réflexion de la métropole, qui a installé des parkings-relais à Martignas et Saint-Jean-d’Illac pour les salariés qui viennent de l’ouest de l’agglo et du Bassin d’Arcachon, et peuvent ensuite prendre des bus affrétés pour Thales et Dassault ».
Les syndicats ont d’ailleurs interpellé Alain Rousset à ce sujet, la région étant désormais aux commandes des transports interurbains. Entre les polémiques picrocholines et la réalité du stress vécu quotidiennement par des travailleurs captifs de leur voiture, une question fondamentale se pose à l’Aéroparc : la métropole pourra-t-elle mener des expériences audacieuses ailleurs que sur le pont de pierre, capables d’améliorer le bien-être de ses employés périurbain, et pas seulement des Bordelais et des touristes, tout en répondant aux défis écologiques ? Voila un challenge de la mobilité, un vrai.
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