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États des lieux des extrêmes du premier tour en Gironde

Une nouvelle analyse, signée par l’historien Hubert Bonin, fait le point sur les voies empruntées par les voix déçues des deux blocs dominants, PS et UMP. Ces électeurs s’écartent jusqu’aux extrêmes à la recherche de nouvelles alternatives.

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États des lieux des extrêmes du premier tour en Gironde

Dans l'isoloir des bureaux de vote (WS/Rue89 Bordeaux)
Dans l’isoloir des bureaux de vote (WS/Rue89 Bordeaux)

Quelques remarques sont nécessaires pour mieux approfondir l’analyse des résultats au premier tour des élections municipales et se rendre compte de la force éventuelle des « recours » aux deux blocs dominants de gauche-centre gauche et droite-centre droit. Bref, est-ce que les électeurs et citoyens « déçus » par la politique de François Hollande et rebutés par l’offre de droite ont voulu trouver des substituts valables, fiables, crédibles à leurs yeux ?

Les limites de l’extrême droite à Bordeaux

Si l’on considère d’abord le Front national, et au premier chef Bordeaux, on peut prétendre que le parti stagne quelque peu, malgré les deux sièges obtenus au conseil municipal, dont un pour son leader Jacques Colombier. Certes, par rapport aux résultats du premier tour des municipales de 2008, on peut arguer d’un doublement, de 2,59 à 6,06 % ; et les citoyens qui ont choisi démocratiquement de voter pour ce parti sont au nombre de 4 626, soit un tiers de plus que ceux qui ont voté pour les listes d’extrême gauche.

Pourtant, une certaine désillusion pourrait sourdre : si l’on compare les résultats du 23 mars 2014 à ceux du premier tour des présidentielles en 2012, le recul est partout sensible dans les huit cantons bordelais. La chute est même presque de moitié dans les quartiers à dominante populaire du nord-ouest (rue Achard, Bacalan, Les Aubiers) et d’un tiers dans les quartiers similaires du nord (rue Nuyens, La Benauge). Non, « le peuple » n’a pas voté à l’extrême droite cette fois !

Est-ce que la liste Juppé de droite ferme mais républicaine l’aurait plus séduit ? Ou est-ce la résistance de l’extrême gauche qui aurait permis de « fixer » des électeurs rétifs au glissement de la gauche vers le centre ? Cette extrême gauche (Lutte ouvrière, NPA, Front de gauche) a mobilisé 7,6% des voix, avec même 9% dans le 1er canton et presque 8% dans le 6e (quartier de la gare) et 6,3% dans le 7e. Des noyaux populaires maintiennent ainsi le flambeau (rouge ?) de la contestation du « système », du « capitalisme ».

On est loin de la splendeur du PCF des années 1960/70, mais l’esprit en est tout de même maintenu.

C’est le cas aussi, bien entendu, de Bègles, où la mainmise de la majorité de Noël Mamère n’aura pas réussi à « éradiquer » (démocratiquement) un fort électorat d’extrême gauche (un gros cinquième des voix).

Des bastions du Front national ?

Hors de Bordeaux, est-il possible de repérer des « bastions » d’extrême droite ?

Malheureusement, contrairement aux élections présidentielles et législatives de 2012, on manque d’éléments de comparaison, puisque, dans nombre de bourgades rurales ou rurbaines qui avaient surpris par les hauts scores du Front national, celui-ci n’est pas parvenu à constituer des listes de candidats (Pauillac, Saint-André-de-Cubzac)…

Aussi notre tableau manque-t-il d’éléments par rapport aux bases de notre chapitre 12 « L’extrême droite électoraliste », dans notre livre Les tabous de l’extrême droite à Bordeaux (Le Festin, décembre 2012) (chiffres : pp. 196-197).

Les résultats dans plusieurs communes de proche banlieue expriment le sentiment partagé par les analystes journalistes et politistes que l’enracinement populaire/populiste est bien effectué par le parti : Lormont tient la tête et bat le record en Gironde, avec un gros cinquième des votants en faveur du Front national (trois fois plus qu’en 2012 !), juste devant Floirac et Ambarès (un petit cinquième) – et peut-être y inclura-t-on Libourne, riche de classes populaires tertiaires peut-être tentées par l’extrême droite (12,3 %, soit un quart de plus par rapport à 2012 : 8,3%).

Mais des communes gérées par la gauche, avec de « bonnes » politiques municipales, entretiennent un solide noyau frontiste (un gros ou un petit dixième des votants), dont Bègles, peut-être à cause de « l’insécurité », mais aussi trois communes à profil « petites/moyennes-bourgeoises » comme Mérignac, Pessac et Saint-Médard, comme quoi le « ressentiment » contre les élites en place peut pénétrer des terroirs apparemment préservés ex ante de telles prises de position.

Que penser des communes si fortement menacées par les « hordes de barbares » qui se pressent à leurs frontières, comme Arcachon, La Teste, voire Andernos ?

Ma foi, nous avons expliqué dans notre livre Les tabous de l’extrême droite comment une tradition de « droite dure », voire de « droite extrême » a pu s’y cristalliser et garde sa vivacité, au cœur de communes plutôt « riches » !

 Y a-t-il encore une extrême gauche en Gironde ?

Evidemment, avec la floraison ici et là de plusieurs listes d’extrême gauche (LO, NPA, Front de gauche), il est délicat d’effectuer une synthèse en amalgamant leurs résultats. Par ailleurs, les élections locales ne sont guère propices aux votes contestataires, depuis le déclin du « communisme municipal ».

Pourtant, à Bordeaux, le rejet de la liste Feltesse explique certainement le progrès des voix d’extrême gauche (presque 3 000), d’où une progression de 4,48 à 7,6% entre 2008 et 2014.

Des communes restent des bastions d’extrême gauche, comme Bègles (encore 22%, après les 31% du PCF en 2008. Une tradition de « banlieue rouge » est préservée vaillamment, mais avec des scores modestes, avec 11% à Floirac, 7% à Lormont et au Bouscat (qui fut socialiste jadis…).

Des noyaux durs persistent, parfois grâce au NPA (Pessac, peut-être avec le vote des étudiants et autres professions intellectuelles), entre 5 et 6%. Mais, dans toutes ces communes, c’est bel et bien à un recul sensible de l’extrême gauche auquel on assiste : le désenchantement, le scepticisme, le manque de foi dans les déclarations populistes de J.-L. Mélenchon, de LO et du NPA pourraient constituer des pistes d’explication.

Heureusement pour ce courant de pensée, des bastions « rouges » (ou « noirs » ?) émergent, ultimes îlots de la contestation des partis « du système ». Le bec d’Ambès maintient la flamme de l’extrême gauche, évidemment à cause de son « petit peuple » : Saint-Louis-de-Montferrand (30% !) et Ambès tranchent ainsi en Gironde, et elles ont résisté aux infiltrations et au risque de submersion par l’extrême droite, sinon aux inondations récentes…

Sur la rive droite, malgré la force du PS (Cenon) ou la progression de la droite (Carbon-Blanc), les militants d’extrême gauche maintiennent l’héritage historique du populisme « révolutionnaire ».

De façon étonnante, des communes à dominante « bourgeoise » comme Mérignac, Talence (grâce à l’universitaire africaniste Bernard Comte, farouche et tenace contestataire anti-impérialiste et anticapitaliste), Cestas, Le Bouscat et Villenave-d’Ornon entretiennent en leur sein des foyers de contestation, car des « bourgeois » y restent nostalgiques de la « grande gauche » et rétifs au socialisme de l’économie de marché libérale, et, n’en doutons-pas, le petit peuple tertiaire et celui des ateliers spécialisés ou des entrepôts peuvent y rester fidèles à quelque « ouvriérisme ».

Reste entier le mystère de Parempuyre, avec ses 17% d’électeurs d’extrême gauche : sont-ce des petits bourgeois réticents à accompagner quelque « dérive » socialiste vers le centre ? Des membres du « petit peuple » résidant dans cette commune de forte mixité sociale et travaillant plus au sud à Bordeaux-Nord ? Il faudrait une enquête d’opinion pour dissiper ce mystère !

Ne doutons pas que des experts vont apporter des compléments, des suggestions et des critiques à ces esquisses d’analyses, en attendant les travaux plus sérieux des politistes, telle notre collègue Magali della Suda, à Sciences Po Bordeaux !

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