L’événement est le plus important en nombre de visiteurs pour la ville de Bordeaux. Tous les deux ans, les stands de Bordeaux fête le vin, installés sur les quais face aux Quinconces, attirent un peu plus de visiteurs. Pour l’édition 2014, qui se tiendra entre aujourd’hui et dimanche, près de 50 000 tickets ont été vendus. Au total, en cumulant les parties gratuites et payantes de la fête, 500 000 visiteurs sont attendus. Le chiffre, mis en balance avec les 760 000 habitants de la CUB, donne le tournis. L’événement attire de nombreux habitants du département mais aussi de l’étranger. 80 organes de presse originaires de partout dans le monde sont accrédités pour couvrir la fête. Ce succès est indissociable de celui fulgurant de l’œnotourisme.
Depuis une dizaine d’années, le nombre de visiteurs pratiquant cette forme de tourisme orientée vers le vin ne cesse de progresser. L’office de tourisme de Bordeaux a vendu l’an dernier 28 000 prestations en lien avec l’univers viticole. Ce chiffre représente la moitié de son activité totale alors même que la majorité des touristes se passent des offices de tourisme pour organiser leur séjour dans le vignoble. L’image de Bordeaux séduit une clientèle majoritairement étrangère en provenance de Belgique, d’Allemagne, des Pays-Bas, de Grande-Bretagne mais aussi des État-Unis, du Canada ou d’Australie.
« Il y a deux grands profils d’œnotouristes. Pour les néophytes le vin n’est qu’une partie d’un séjour où il visite aussi le patrimoine historique et naturel de la région. Ils sont généralement moins motorisés et profitent des excursions à la journée ou à la demi-journée organisées en mini-bus. A l’inverse, des spécialistes dont le séjour est avant tout motivé par le vignoble. Ils sont moins nombreux mais logent au sein du terroir viticole et sont généralement motorisés afin de pouvoir acheter et transporter autant de bouteilles qu’ils le souhaitent », explique-t-on à la Maison du tourisme et du vin de Pauillac.
Où l’on découvre que Bordeaux est une ville
De la simple visite d’un château accompagnée d’une dégustation à des offres plus complètes mêlant vin et patrimoine culinaire ou même croisière fluviale, tous les goûts et les budgets sont représentés. Les vignobles du Médoc et de Saint-Émilion, dont la notoriété dépassent largement les frontières, sont les plus demandés. En 2009, ils représentaient la moitié des séjours de visiteurs de vignobles en Aquitaine.
« L’atout de Bordeaux en la matière est de proposer des offres d’une grande diversité dont la plupart sur des sites de production toujours en activité mais aménagés pour accueillir les touristes. Nous travaillons avec environ 200 châteaux répartis dans les différentes appellations », explique Nicolas Martin, le directeur de l’office de tourisme de Bordeaux.
Cet essor exceptionnel et sa rapidité sont à relier directement à l’évolution de la ville. Au début des années 2000, Bordeaux perd sa robe noire. La rénovation urbaine, puis le classement UNESCO en 2007, redonnent tout son attrait à la cité. Les touristes reviennent et, une fois présents à Bordeaux, se tournent naturellement vers le vin.
L’impact économique de l’oenotourisme est encore difficile à cerner mais son importance fait peu de doute. L’office de tourisme de Bordeaux estime que le vin est le principal attrait de la ville avec la proximité de la côte. Les campagnes de promotion pour la région bordelaise à l’étranger mettent systématiquement en avant les grands crus.
« L’image de Bordeaux est si attachée au vin que certain touristes étrangers ne savent même pas qu’il s’agit avant tout d’une ville avant de planifier leur voyage », s’amuse Nicolas Martin.
Une ouverture récente
Les portes de nombreux châteaux sont longtemps restées closes. Contrairement à d’autres régions viticoles, comme par exemple en Alsace, où le tourisme a toujours pesé dans l’activité des domaines, la ventes des vins de Bordeaux reposent à 70% sur le négoce. Seule une poignée de chais étaient ouverts aux visiteurs. La situation a évolué au milieu des années 2000 avec une demande touristique de plus en plus pressante et des politiques d’incitation mises en place par le Conseil régional et le Conseil général. Le mouvement part d’abord des crus intermédiaires. Ces châteaux cherchent à gagner en notoriété et ont les moyens financiers d’adapter leur structure à l’accueil du public. Ils sont les premiers à se lancer.
« L’étape clé a été le recrutement d’une personne spécialement dédiée au développement de l’activité touristique au château. Aujourd’hui, nous prenons même une deuxième personne chaque été pour renforcer notre dispositif », explique Juliette Pareau, chargée de l’œnotourisme au château Lafon-Rochet à Saint-Estèphe.
Se professionnaliser pour se développer
La professionnalisation de l’accueil, entamée il y a environ cinq ans, touche aujourd’hui la plupart des établissements proposant des prestations touristiques. Les employés dédiés permettent d’augmenter la fréquence des visites. Au château Castera de Saint-Germain-d’Esteuil, par exemple, 2500 personnes sont venus découvrir les chais entre mai et septembre 2013. Si le gain financier commence à devenir « intéressant » pour le château, il y recherche surtout une meilleure image et une plus grande visibilité. Le château Desmirail à Margaux fait le même constat. En l’espace de quelques années le nombre de visiteurs est passé de 1000 à 6000 par an :
« Les revenus dégagés sont assez conséquents néanmoins l’activité n’est pas encore rentable compte tenu des importants travaux que nous avons réalisés pour accueillir au mieux les touristes. L’activité rapporte environ 130 000 € par an. C’est un bon chiffre mais certains châteaux réalisent des performances encore meilleures », souligne Sarah Deprez, la responsable commerciale.
Une Route des vins encore en rodage
Au Sud de Bordeaux, plus d’une centaine de châteaux se sont regroupés avec des structures d’hébergement et de restauration au sein de la Route des Vins en Graves et Sauternes, lancée l’an dernier. L’association propose la première route des vins dans le bordelais, sur le modèle de ce qui existe déjà en Alsace. Johanna Renaux a été recrutée spécialement pour assurer la promotion de ces vignobles :
« La Route des vins a vocation à promouvoir les appellations Pessac-Léognan, Graves, Sauternes et Barsac au sein d’une seule structure. Elle vise à réunir l’ensemble des acteurs du territoire autour d’une identité Graves et Sauternes et, d’autre part, à rassembler une offre diffuse afin de créer une destination visible pour les touristes. »
L’augmentation du nombre de touristes est exponentielle mais elle est freinée par les structures touristiques existantes. Le développement de l’offre hôtelière et de restauration peine à suivre la cadence et « des efforts restent à faire ». Dans le Médoc, Sarah Deprez fait un constat similaire :
« Les moyens de transports, notamment entre Bordeaux et le vignoble, font cruellement défaut. Comme les lits disponibles et les restaurants. De plus, presque tout est fermé le dimanche du coup les touristes se retrouvent à errer dans l’appellation sans vraiment savoir quoi faire. »
Réseau touristique
Pour réussir dans l’œnotourisme, une seule recette : multiplier les partenaires. Le château Desmirail en compte aujourd’hui une vingtaine et ne cesse d’en rechercher de nouveaux. Ils sont chargés de conduire les touristes jusqu’au château. Parmi eux, les offices de tourisme et les maisons du vin. Ils s’associent au domaine viticole pour proposer des prestations. Le viticulteur reçoit ensuite une rémunération au prorata de son classement et du nombre de visiteurs.
Une myriade de prestataires privés, attirés par le potentiel de l’œnotourisme, sont aussi venus s’ajouter à ces structures de base depuis 2010 et la création de Bordovino, le pionnier. De l’excursion groupée à la visite individuelle avec chauffeur, l’offre est large. Pour l’instant tous parviennent à conquérir leur part du marché mais, à l’avenir, la concurrence accrue pourrait laisser moins de place aux nouveaux venus.
Aujourd’hui la Garonne est devenue l’axe de développement majeur de ces produits. Depuis les pontons bordelais, trois croisiéristes proposent déjà des excursions fluviales vers tous les vignobles grâce aux ports de Pauillac, Blaye, Cadillac et Libourne. Trois autres doivent les rejoindre l’année prochaine.
Une nouvelle impulsion
La Cité des civilisations du vin, dont l’aboutissement du chantier est prévu pour mars 2016, doit devenir une vitrine internationale pour l’œnotourisme girondins et un symbole de Bordeaux comme la tour Eiffel l’est pour Paris. La structure de 10 000 m², nichée en bord de Garonne à proximité des bassins à flot, proposera une visite à la découverte du vin. Une salle de dégustation multisensorielle avec projections de vidéos et d’odeurs mais aussi une partie plus technique décryptant la fabrication du vin et le processus chimique de la vinification sont également au programme.
L’objectif, à terme, est de séduire 400 000 visiteurs par an. Le projet a été mis sur pieds en collaboration avec plusieurs grands châteaux et avec les offices de tourisme. Pourtant, l’arrivée de cette nouvelle concurrence bordelaise laisse parfois perplexe dans le vignoble :
« Nous espérons que la Cité ne fera que renforcer l’afflux des visiteurs mais elle pourrait aussi avoir l’effet inverse. La plupart de nos touristes sont présents dans la région pour des courts séjours, parfois seulement pour un week-end. Si ils réservent une journée ou une demi-journée pour la Cité des civilisations du vin, il leur en reste forcément moins pour venir à la propriété. La Cité pourrait contribuer à les fixer encore davantage à Bordeaux au détriment du vignoble », craint Sarah Deprez du château Desmirail.
Un sentiment partagé par beaucoup d’autres vignerons, particulièrement dans les vignobles moins sollicités par les touristes comme le Blayais ou les Graves. Beaucoup craignent que de nombreux œnotouristes renoncent à faire 50 km pour se rendre dans le Médoc ou 60km pour rallier Saint-Émilion.
« La Cité n’est pas un musée »
Pour résister, la solution passe peut-être par une structuration plus étroite. La Route des vins en Graves et Sauternes pourrait être un modèle à suivre :
« Il est vrai que la Cité n’a pas pour vocation première de renvoyer les touristes dans les vignes. Le risque que les touristes restent davantage à Bordeaux existe. Mais c’est bien pour cette raison que nous devons nous regrouper pour devenir incontournable en démontrant l’intérêt de notre territoire », explique Johanna Renaux.
L’office de tourisme de Bordeaux, associé au projet, se veut lui encore plus rassurant :
« La cité du vin est un outil de rayonnement. Elle produira un effet d’image mais tous les visiteurs n’iront pas la visiter. La plupart tiennent à se rendre dans le vignoble pour le voir de leurs propres yeux. Les activités qui existent sur bordeaux autour du vin sont d’ailleurs peu demandées. La Cité est une scénographie, pas un musée du vin. Elle doit donner au visiteur l’envie de prolonger sa visite dans le vignoble », précise Nicolas Martin.
Au sein même du bâtiment sera installé un bureau de l’office de tourisme entièrement dédié aux prestations œnotouristiques. Un ponton doit aussi être construit pour permettre des croisières vers les vignobles au départ de la Cité. Des arguments suffisants pour rassurer les viticulteurs ?
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