On le croise dans la rue harnaché d’un porte-bébé, dans les cours de préparation à l’accouchement, à la sortie de l’école… Pourtant, pour la justice et de nombreux professionnels de la petite enfance, la mère reste la référence et le père semble relégué au rang d’accessoires. « Maltraitance », « injustice », « lésés »… sont les mots qui reviennent dans la bouche de ces pères privés de leurs enfants.
« J’ai déménagé deux fois pour me rapprocher de l’école, j’ai choisi une résidence avec piscine, je prends un mercredi sur deux en congé payé pour mes filles, je n’ai plus de vacances pour moi et j’aménage mes horaires de travail ».
Malgré ses efforts, Hervé essuie son troisième refus au tribunal pour la garde alternée de ces deux filles, âgées de 6 ans et demi et 8 ans. Et il ne se sent absolument pas soutenu dans son combat.
« Pour la justice, l’intérêt de l’enfant, c’est d’être avec la mère. »
12% des enfants de couples divorcés vivent chez leur père
Même si le nombre de résidences alternées s’accroît, selon une étude réalisée en 2012 par le ministère de la Justice, elle n’a lieu que dans 17% des séparations (10% en 2003).
« Je voulais demander la résidence principale, relate Hervé (le prénom a été changé), mon avocat m’a dit que cela n’arriverait jamais. Pour la justice, l’intérêt de l’enfant c’est d’être avec la mère. On m’a même déconseillé de faire appel pour ne pas perdre ce que j’avais déjà acquis. »
A savoir un week-end sur deux, un mercredi sur deux et la moitié des vacances. Seuls 12% des enfants de couples divorcés résident chez leur père.
Stéphane, lui, séparé de sa compagne avant la naissance de leur fille, a rencontré plusieurs avocats qui ont refusé de le défendre s’il demandait la garde alternée.
Antoine se bat depuis sept ans pour avoir son fils plus d’un week-end sur deux, persuadé que cette relation en pointillés n’est pas structurante pour l’enfant. Les pères sont-ils des accessoires qui facilitent la logistique de la vie du couple, mais dont on peut se passer pour l’éducation des enfants en cas de séparation ?
Bordeaux fait de la place aux pères
« Lors des ateliers destinés à élaborer la ville sociale, explique Brigitte Collet, adjointe au maire de Bordeaux chargée de la famille, la place du père revenait très souvent. »
La mairie a alors cherché à lui en faire une dans la ville. Par des détails d’abord, comme ajouter une chaise dans les bureaux des directeurs d’école ou déplacer les salles d’allaitement à l’arrière des crèches plutôt qu’à l’entrée pour dissiper le malaise. En 2010, la mairie et la CAF leur attribuent même un espace d’expression, de décompression, le Café des Pères. Une petite dizaine de pères séparés s’y retrouvent chaque semaine pour discuter durant deux heures. Une centaine de participants poussent la porte de ce lieu anonyme et gratuit chaque année.
« Ce qui revient le plus dans les discussions, rapporte le psychologue Charles Ingles, l’intervenant du Café des pères, c’est ce sentiment d’une société à deux vitesses et d’une justice en faveur des mères, le non-respect des décisions de justice et la peur de ne pas être là, de se faire prendre sa place. »
A l’écoute
Charles Ingles rencontre des pères qui n’ont pas vu leur enfant depuis six mois ou plus, qui vivent des situations de grande détresse, « de l’ordre de l’invivable ». Lundi, à l’issue de la séance, les nerfs se relâchent, les quatre pères présents sortent fumer une cigarette. L’air vidé. Durant l’heure qui suit, au comptoir du bar associatif qui les accueille, les discussions se poursuivent, sans les psychologues cette fois. Ils se conseillent, se soutiennent.
Arthur, 29 ans, est un nouveau venu, il est ici car il s’interroge sur sa place de père, ce qu’il doit faire, le mieux pour ses deux filles. Il semble perdu. « Mon ex-femme dit qu’un père c’est très important, mais elle refuse que les filles passent plus d’une journée chez moi… » A quelques jours de son audience auprès du juge aux affaires familiales, il est persuadé d’une chose : « La mère a plus que la moitié de l’autorité parentale, mais pour l’intérêt de mes enfants, j’accepterai la décision du juge, même si je ne vois mes filles qu’un week-end sur deux. »
Pedro, père de deux filles adultes et même grand-père fréquente le Café des pères depuis un an, 15 ans après sa séparation. « Cela me fait du bien de venir, je me sens écouté ». Un sentiment qu’ils n’ont pas au quotidien.
Relégués en « papa du dimanche »
Les pères bordelais se sentent encouragés et saluent ces initiatives. Pourtant, leur situation au moment de la séparation évolue peu. La vie avec leurs enfants se traduit la plupart du temps par l’expression « un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires ». Dans 71% des cas, l’enfant est domicilié chez la mère avec l’accord des deux parents dans 80% des séparations. Parfois, la décision se fait au détriment du père car si le juge constate un désaccord entre les parents, il favorisera la mère.
« On devient un spectateur éloigné de leur vie et on essaie perpétuellement de raccrocher les wagons avec la maîtresse, les copains… », se désole Hervé, un des fondateurs de l’association Barbapapas destinée à réunir des papas du week-end avec leurs enfants autour d’activités.
Certains ont plus de mal à tenir, 30% d’entre eux disparaissent totalement de l’éducation de leurs enfants. « L’idée de partir m’a effleuré… » reconnaît Hervé quand il se remémore les moments difficiles. L’adoption de la loi Famille qui prévoit la double domiciliation de l’enfant et appuie sur la notion de co-parentalité pourrait légitimer leur combat. Mais cette mesure reste symbolique puisqu’elle n’implique pas la mise en place systématique d’une garde alternée.
Une mesure sur laquelle les avis divergent : les mères ne sont pas prêtes à lâcher leurs enfants plus d’un week-end, les hommes ne veulent pas être relégués au rang de « papa du dimanche », les spécialistes de la petite enfance y sont plutôt opposés et les avocats restent prudents sur ce type de demandes. Estellia Araez, présidente de la section bordelaise du syndicat des avocats de France, estime que certains parents réfléchissent plus à l’importance d’une répartition égalitaire qu’à l’intérêt de l’enfant. « On considère l’enfant comme quelque chose qu’on a le droit de se partager. »
Un père doit voir ses enfants 30% du temps
« L’intérêt de l’enfant » est le terme que tous les pères qui n’ont pas eu la garde de leur enfant, malgré leurs demandes, doivent encaisser. L’intérêt de l’enfant serait donc de ne pas être avec son père ?
« Les petits ont besoin de leur mère, les parents sont complémentaires, mais pas interchangeables », reconnaît le pédopsychiatre Xavier Pommereau, chef du pôle aquitain de l’adolescent au CHU de Bordeaux.
« C’est justement parce que les parents ne sont pas interchangeables, que le père est aussi essentiel que la mère, insiste Elodie Cingal, psychothérapeute à Paris. Il doit être présent dans la sphère de l’enfant pour connaître ses copains d’école, par exemple. Pour maintenir le lien, un père doit voir ses enfants un tiers du temps, soit au moins dix jours au cours d’un mois. »
Quel que soit le planning choisi par les parents.
« Un adulte à l’aise dans l’organisation et qui ne sent pas lésé communiquera le bon message à son enfant, assure-t-elle, les critères les plus importants sont la disponibilité et le fait d’être bien dans sa peau. »
Se voir resterait donc l’unique garantie de maintenir le lien. Céline, jeune mère de deux enfants a pu l’observer. Lors de la séparation, le père de ses enfants a fait une demande de résidence alternée après s’être installé dans la même rue qu’elle. Elle s’y est opposée :
« Ça leur faisait deux emplois du temps différents, je trouvais ça compliqué pour eux et je ne le sentais pas capable de gérer tout seul au quotidien. »
Son ex-conjoint s’est donc vu attribué le régime paternel d’un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires. Le juge a cependant offert au père de venir chercher l’aîné dans la semaine pour une soirée cinéma ou restaurant.
« Ça a duré un temps et puis il n’est plus venu, reconnaît Céline, et régulièrement mon fils l’appelait, mais comme il n’était pas joignable, il l’a moins réclamé. Le lien se distend. »
Pourtant, la jeune mère considérait avec bienveillance ces relations père-fils jusqu’à accepter l’idée qu’à l’adolescence son fils puisse vouloir vivre avec son père. A l’inverse, Jérôme et son ex-femme sont parvenus à s’entendre sur la garde de leur fille. Il s’occupe de Lise deux soirs par semaine et le mercredi.
« On gère en fonction des semaines de chacun : parfois je vais chercher ma fille à l’école et sa mère vient la récupérer chez moi en rentrant du travail. Nous agissons dans son intérêt et pour nous, l’essentiel c’est qu’elle vive avec l’image de parents qui vivent en paix. »
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