Des tracts diffusés aux passants devant la délégation du CNRS, puis sur la place Pey Berland, des doléances notées à la craie devant le Palais Rohan, une manifestation à vélo sur les quais : les Bordelais tentent de prendre la roue de Sciences en marche, un mouvement né à Montpellier et qui mobilise de plus en plus les communautés universitaires.
« La situation des jeunes chercheurs est dramatique, affirme Henri Bertin, directeur de recherche à l’I2M (Institut de mécanique et d’ingénierie). Sur 350 personnes dans notre laboratoire, une trentaine sont en contrats précaires, des CDDs qui travaillent un ou deux ans mais qu’on ne pourra pas embaucher. Or la recherche est un processus long, si on veut de l’innovation il faut laisser du temps. »
Les scientifiques indignés font valoir que l’argent n’est pas un problème : ils demandent que 15% des 6 milliards d’euros du Crédit impôt recherche, dont bénéficient toutes les entreprises pour leur recherche et développement, basculent vers la recherche publique.
« Le CIR avait été créé pour les PME, mais un déséquilibre est en train de s’installer car tous les grands groupes et leurs filiales peuvent en profiter, sans contrôle sur l’utilisation des fonds, poursuit Henri Bertin. Cela devient une niche fiscale, alors que c’est un outil intéressant. Il faut un rééquilibrage ».
1% du CIR créerait 1000 emplois, de quoi compenser l’austérité en vigueur dans les universités. Selon Bruno Maureille, directeur de recherche en anthropologie biologique, le non renouvellement des départs à la retraite entraîne la perte de 10% de postes tous les deux ans. Sciences en marche demande un financement pluriannuel de la recherche publique. Le mouvement a adressé ses proposition à la ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, Geneviève Fioraso, sans succès pour l’instant.
Difficile dans tous les domaines scientifiques, le problème est particulièrement criant dans les sciences humaines et sociales, où une majorité des doctorats seraient réalisée sans bourses. Et ne garantissent nullement un emploi à l’arrivée…
« J’ai fait ma thèse en anthropologie sociale il y a 6 ans, puis un post-doc, et depuis j’enchaîne les contrats de vacataire à Sciences Po Bordeaux, témoigne Sophie Moulard, anthropologue à l’origine de Sciences en marche à Bordeaux. C’est extrêmement précaire, et on ne paye que les heures cours effectués, pas leur préparation ni les congés. Et puis l’anthropologie est sinistrée en France, il n’y a pratiquement plus de recrutements, alors que dans les pays anglo-saxons, cette compétence est très recherchée pour accompagner la mise en place de politiques publiques . Je travaille par exemple sur l’usage de l’eau, qui est un bien culturel autant qu’une ressource. Mais j’envisage de me reconvertir si rien ne bouge ».
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