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Yannis Youlountas à Alternatiba : « Le constat critique ne suffit plus »

Le réalisateur franco-grec du film « Ne vivons plus comme des esclaves », Yannis Youlountas, était à Bordeaux pour le week-end Alternatiba Gironde où il a présenté son documentaire. Pour Rue89 Bordeaux, il aborde les questions de l’austérité, du racisme, de l’extrême-droite et des discours simplistes qui sèment la confusion et font miroiter des mondes meilleurs.

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Yannis Youlountas à Alternatiba : « Le constat critique ne suffit plus »

Yannis Youlountas présent à Alternatiba Gironde pour son film "Ne vivons plus comme des esclaves" (WS/Rue89 Bordeaux)
Yannis Youlountas présent à Alternatiba Gironde pour son film « Ne vivons plus comme des esclaves » (WS/Rue89 Bordeaux)

L'affiche du film (DR)
L’affiche du film (DR)

Yannis Youlountas est né en France d’un père ouvrier grec et d’une mère française enseignante en philosophie. Âgé de quatorze ans, il assiste à l’agression raciste subie par son père sur le parking d’un supermarché des Bouches-du-Rhône. Philosophe, poète, écrivain et réalisateur, son parcours est nourri de révoltes et de luttes.

En 1991, il est exclu de son service militaire français pour insoumission. En 2000, il participe aux premiers fauchages de maïs transgéniques avec des membres de la Confédération paysanne. Il coordonne des actions anti McDonalds et devient plus tard l’un des portes paroles de José Bové pour la présidentielle de 2007. Il est l’auteur de plusieurs tribunes dans Politis, Le Monde Libertaire, Libération et L’Humanité – notamment contre la multiplication des interdictions de distribuer des tracts sur les marchés.

En 2013, il prend conscience de quelques dérives dans des idées simplistes exposées par certains penseurs en vogue et affiche son désaccord entre les protagonistes sur le fascisme et l’antifascisme, parmi eux, Étienne Chouard, à qui il reproche un discours infondé et des liens avec des personnalités et des organisations de l’extrême droite.

Le racisme est le grand paradoxe français

Rue89 Bordeaux : Yannis Youlountas, vous avez été confronté à une certaine forme de racisme en France dès votre jeune âge. Plus de vingt ans après, quel constat on peut dresser ? Où en est le rapport avec l’étranger, la peur et le rejet de l’autre ?

Yannis Youlountas : Le racisme est le grand paradoxe français. La France est quand même un pays qui a travaillé sur la citoyenneté universelle, sur l’ouverture à l’autre, sur l’accueil de migrants, y compris politiques, qui avaient le désir positif, non seulement de fuir des situations difficiles dans leurs pays mais aussi de participer à une nouvelle société, annoncée par la Révolution Française notamment. La France du XIXe siècle a ouvert ses portes à des intellectuels en Europe, persécutés pour leurs idées et leurs positions…

De par son histoire, la France devrait être en avance sur ces questions. Paradoxalement, depuis la fin du XXe siècle, on a l’impression qu’elle devient un pays tenté par le repli sur soi.

N’est ce pas le cas de tous les pays dans le contexte économique actuel, y compris la Grèce que vous connaissez bien ?

La Grèce est un pays qui a aussi la tentation de se fermer. Au niveau politique, l’extrême droite grecque est passé de 7 à 9% ces dernières années alors qu’en France elle était en pôle position lors des dernières élections européennes. La société grecque a été très surprise de ces résultats.

Pour identifier le problème, notre hypothèse, évoquée dans le film « Ne vivons plus comme des esclaves », est qu’en Grèce, comme en Espagne ou au Portugal, on a une expérience très récente du fascisme, qui a touché toutes les populations. De ce fait, on est plus attentif à cette question, on sait que la parole publique est déjà un acte.

Or, la France, plus proche de l’Europe du Nord et donc plus proche des théories anglaises ou américaines qui concernent la liberté d’expression, laisse dire n’importe quoi sur la place publique sous prétexte que c’est nécessaire au débat. En oubliant que, s’il faut protéger l’opinion, il faut aussi protéger les personnes de certaines opinions. L’opinion est un moyen, mais l’humain est la fin. En ouvrant la possibilité de tout dire sur la place publique, on met en danger directement ou indirectement des personnes. En faisant cela, les Français commettent une énorme erreur.

Il faut éviter toute forme de passerelle avec l’extrême droite. C’est une précaution qui s’impose. Cette fermeté est nécessaire. Ce que j’appelle passerelle, ce sont des propos qui génèrent de la confusion par rapport à des personnes et des idées ; des propos qui conduisent des personnes à traverser ces passerelles et basculer vers l’extrême droite. Il y a des personnalités qui émergent de la gauche bien pensante aujourd’hui et qui affichent des liens avec des personnes et des organisations fascistes en toute impunité.

Étienne Chouard en est l’exemple. Son discours séduit des personnes et on laisse faire. Il se repose même sur des modèles grecs complètement déformés, sur des théories de penseurs d’origine grecque comme Cornelius Castoriadis qu’il transforme et dénature pour nourrir ses idées. Toutes ses références sont fausses et son discours simpliste comme c’est souvent le cas avec l’extrême droite.

Pour vivre vraiment, il faut vivre debout

Vous combattez dans la société grecque et aussi en France sur des luttes écologistes et sociales, notamment, avec le fauchage des champs de maïs transgénique et votre soutien à José Bové. Quel est le fil conducteur de toutes ces causes ?

Disons que j’ai envie de m’impliquer dans le monde que je laisse à mes enfants. Sinon, j’avais une autre solution : ne pas avoir d’enfants et laisser faire, me mettre au soleil tranquille, à la grecque, et boire de l’ouzo toute la journée au bord de l’eau en se disant qu’il est impossible de changer les choses.

Donc j’ai choisi d’agir, et même si ça ne change peut-être pas grand chose pour l’instant, même si l’avenir est incertain, je pourrai dire que j’ai essayé en reprenant à mon compte la devise de Victor Hugo : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. »

Pour vivre vraiment, il faut vivre debout et contribuer au cours des événements. Même s’il n y a pas de perspective de résultats, nous ne sommes pas des spéculateurs, nous ne faisons pas cela pour que ça paye, nous faisons cela pour des valeurs éthiques et politiques, même si elles vont à l’encontre de la loi, mais tant qu’elles vont dans le sens de la justice et, bien souvent, de l’opinion publique. Je rappelle que lors du fauchage du maïs transgénique, 86 % des Français étaient contre ce maïs.

Vous pensez donc qu’un mouvement comme Alternatiba a toute sa raison d’être et peut faire le poids dans le débat ?

La grande qualité d’Alternatiba est de travailler sur le plan de l’imaginaire, en montrant que des alternatives sont possibles. Depuis la fameuse phrase de Margaret Thatcher : « There is no alternative », l’époque est à la résignation face à un modèle dominant qui s’affirme être le seul. Les personnes qui n’adhèrent pas aux luttes actuelles ne sont pas forcément dépourvues de constat critique, mais elles sont résignées. Le constat critique ne suffit pas, il doit être suivi d’une recherche de solutions.

Dans mon film, le constat critique prend un quart d’heure, l’heure qui suit est consacrée à la recherche de solutions, à apporter la preuve qu’un autre monde est possible, que plusieurs monde sont possibles et que certains sont déjà en marche. On est en fin de cycle et à la veille d’un nouveau monde. L’utopie est déjà présente et il faut simplement la rendre visible. La volonté se construit sur la base de désir et du projet, ce qui revient à la même chose, sans désir, il n’y a pas de projet. Pour avoir de la volonté, il faut désirer quelque chose, c’est le désir qui donne ensuite le courage. Pour cela, il faut « décoloniser l’imaginaire » comme disait Serge Latouche, il faut libérer l’imaginaire.

Extraits du film « Ne vivons plus comme des esclaves » de Yannis Youlountas


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