7h30, la petite équipe CGT comprenant des salariés et licenciés de l’hôtel F1 se répartit les tracts sur lesquels on peut lire « Marre d’être exploités, exprimons nous ! » La direction de l’hôtel, qui fait partie de la chaîne low-cost propriété du groupe Accor, a eu vent de la visite : un huissier attend les syndiqués sur le perron et interdit l’entrée dans l’enceinte du bâtiment.
À travers son action, la CGT souhaite pointer la dégradation de la santé physique et mentale de certains salariés de l’hôtel. Plutôt que les méthodes des hôtels low-cost, les griefs visent la direction. « Polyvalence poussée à l’extrême, augmentation des charges de travail, pression constante », les conditions de travail à l’hôtel F1 auraient occasionné plusieurs arrêts maladie et départs de salariés, pour cause de dépression nerveuse voire de burn-out.
Suite à la distribution de tracs aux automobilistes à proximité de l’hôtel, la mobilisation s’est poursuivie par une tournée des autres établissements bordelais afin d’y sensibiliser le personnel.
« L’important, c’est de faire passer l’information », explique Olivier Boisset, ancien directeur de l’Hôtel F1, licencié en août 2014 suite à un burn-out (ou syndrome d’épuisement personnel).
« Il faut que les clients sachent où ils dorment », poursuit Olga, femme de ménage de l’hôtel.
Des conditions de travail usantes
Le matin même, Olga embauche à 9h dans cet hôtel F1. Elle devra nettoyer 18 chambres en trois heures.
« Avec 6 chambres à l’heure, on ne peut pas changer toutes les alaises, c’est de l’exploitation. Les clients sont encore dans les chambres parfois, on ne finit jamais dans les temps, à moins de le faire mal », s’insurge Olga.
Pour chaque chambre, et en dix minutes, elle doit nettoyer le lavabo, la glace, la poubelle. Deux petits lits sont à faire (les draps sont à changer seulement quand le client n’est pas le même), aspirer et laver le sol. Un exercice fatiguant qui doit être répété avec précision et efficacité sous la pression du chrono.
« Dix minutes, c’est rien. Il suffit qu’une chambre soit vraiment sale, on perd du temps pour les autres chambres, on met 15 ou 20 minutes, mais ça la direction s’en fiche », poursuit Olga.
Tensions au sein de l’hôtel
Les femmes de ménage sont payées au SMIC hôtelier, soit 9,61 l’heure brut. Olga fait 15heures par semaine à l’hôtel F1 et travaille en parallèle dans un autre hôtel. Elle doit partir à midi pour embaucher un peu plus tard dans un autre établissement. Si son travail n’est pas achevé, cela se répercute sur les autres employées.
« Quand j’ai commencé ici, je n’arrivais pas à terminer deux ou trois chambres dans le temps imparti. Du coup, on donnait le travail que je laissais à mes collègues en plus de leurs chambres. Elles le font parce qu’elles ont peur de perdre leur travail. »
De quoi alimenter les tensions au sein de l’hôtel. Un autre salarié, participant lui aussi à la mobilisation de la CGT, parle de réunions mensuelles tendues où les salariés sont divisés : « Pas de solidarité, pas de soutien » affirme-t-il.
Malgré le sentiment d’isolement, Olga a décidé de tenir tête à sa direction, qui a recouru à des sanctions disciplinaires, et a engagé des procédures judiciaires.
« J’ai pris un avocat. Au début c’est dur parce qu’on est tout seuls, là je suis heureuse qu’on soit plusieurs. J’ai 20 ans de boîte, mais il y a des employées qui ne disent rien parce qu’elle n’ont que ça pour vivre, et qu’il y a de la pression derrière. Psychologiquement, ça nous atteint. »
« Les effectifs ne sont pas suffisants »
L’hôtel comporte 73 chambres au total, pour un personnel d’une dizaine de personnes : 4 femmes de ménage, 3 réceptionnistes et 2 responsables de nuit. Cette dernière fonction s’occupe de la réception, du petit-déjeuner, vide les chariots, nettoie les douches et les toilettes, gère la sécurité intérieure et extérieure.
« Ils ont tout l’hôtel sur les épaules. Les effectifs ne sont pas suffisants, c’est très fatiguant et moralement c’est usant », commente un ancien salarié de l’hôtel, depuis déclaré inapte à tout poste suite à un accident du travail.
Celui-ci souligne également l’exigence de flexibilité.
« Vous faites des remplacements au pied levé. On vous appelle, vous devez être là, ce sont des surcharges de travail de nuit qui sont intenables. »
Le matériel défectueux est aussi au centre des revendications, notamment les portes d’entrée et les téléphones.
« On doit appeler avec nos propres portables. Les alarmes se déclenchent de temps à autre aussi pour diverses raisons, ça réveille tout le monde, ensuite il faut gérer les clients qui ne sont pas contents » précise l’un des salariés.
Depuis septembre 2014, les salariés de l’hôtel F1 membres de la CGT Commerce et services multiplient les actions. Le 9 avril, ils avaient participé, aux côtés d’autres organisations syndicales, à la manifestation contre l’austérité et les reculs sociaux.
Leur tract du mardi 11 juin énonce deux revendications principales : « un vrai dialogue social avec la reconnaissance et le respect de chaque individu » et » des salaires qui permettent de vivre normalement ». Les recours s’intensifient pour obtenir des réponses du patronat.
« On a parlé avec l’inspection du travail qui ne peut pas faire grand chose, juste rappeler à l’ordre les dirigeants au niveau de la loi. Avec la CGT on va jusqu’au bout de cette dynamique dans l’intérêt de tous, maintenant il faut que les prud’hommes réagissent », conclut l’ancien responsable de nuit.
Contacté par Rue89 Bordeaux, le directeur du Formule 1 en question n’a pas souhaité s’exprimer à propos des actions ses salariés.
Difficile reconnaissance du burn-out
Olivier Boisset, ancien directeur du F1, a été licencié en août 2014. Accor, détenteur de la chaîne low-cost Hôtel F1, a déclaré à Rue89 Bordeaux avoir pris cette décision pour cause de « faute grave ». L’ancien employé dit, lui, avoir alerté sa direction quant à son mal-être et milite pour la reconnaissance de son burn-out. Or le syndrome d’épuisement personnel est encore mal connu, complexe et la législation actuelle ne facilite pas sa reconnaissance.
« Je suis aux prud’hommes, j’ai fait un dossier pour qu’on reconnaisse le burn-out comme maladie professionnelle dans mon cas. Mes anciens collègues tombent les uns après les autres. Il y a beaucoup de souffrance à l’hôtel F1 et dans les hôtels Accor. »
Olivier est suivi par un psychologue une à deux fois par semaine et dit souffrir de séquelles comme des troubles importants de la concentration. Il décrit une arrivée progressive du burn-out.
« J’ai commencé par de forts maux de ventre, puis ça a été le dos. Après, tant qu’on est dans le système on fait la politique de l’autruche, mais le corps parle. La pression venait de la hiérarchie, en réunion ça se passait mal avec les directeurs régionaux, on me disait de virer des personnes, moi je ne voulais pas. L’addiction aux médicaments devient progressive aussi. Puis je n’arrivais pas à décrocher, le week-end, en vacances, c’était téléphone et mails. En janvier 2014 j’ai pris conscience que ça n’allait plus, j’avais des idées comme donner un coup de volant ou des choses comme ça. »
Le députe PS Benoît Hamon, a récemment fait adopter par l’Assemblée nationale un amendement projet de loi sur le dialogue social, reconnaissant le burn-out et les pathologies psychiques comme maladie professionnelle. Le syndrome n’est donc pas (encore) inscrit au tableau des 98 maladies professionnelles reconnues par les experts, qui ne compte d’ailleurs aucune maladie d’ordre psychologique. Reste à savoir si le texte aurait des effets rétroactif, notamment sur le cas d’Olivier Boisset.
La direction d’Accor Hôtels affirme qu’un examen de son dossier est en cours. Sans donner de plus amples explications sur la situation à l’Hôtel F1 de Bordeaux.
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