Vendredi 19h, place de la Bourse à Bordeaux, une petite fille demande à son père :
« Papa, c’est quoi tout ça ?
– Une manifestation ma chérie.
– C’est quoi une manifestation ? »
Si l’association franco-kurde de Bordeaux, regroupant plusieurs partis politiques de gauche réunis, manifeste environ une fois par mois, il est rare d’en entendre parler, même un agent de police présent sur place le déplore :
« Vous êtes le seul média ? C’est dommage qu’ils ne viennent pas. »
Association franco-kurde, NPA (nouveau parti anticapitaliste), Union syndicale Solidaire et autres se rassemblent derrière une banderole avec les 32 visages des tués lors de l’attaque de Suruç. Le cortège se rend au consulat turc pour y déposer une couronne et termine sa marche devant le Grand Théâtre où bougies et peluches sont posées près de la banderole.
Une manifestation familiale, même les enfants portent haut les drapeaux des combattants kurdes, hommes et femmes. Cévin, une jeune manifestante explique :
« Les femmes kurdes combattent et jouent un grand rôle, Abdullah Öcalan, le leader du PKK (parti des travailleurs du kurdistan), et symbole du mouvement pour la libération kurde, dit que la liberté des peuples passe par celle des femmes. »
Sauver une culture
Cette dernière est très impliquée dans le mouvement qui lui permet de renouer avec ses racines :
« C’est un combat pour notre culture, on cherche à nous assimiler au système turc. Je ne parle que très peu le kurde car mes parents avaient peur de me le transmettre, ils ont vu des enfants de 5 ans se faire tabasser pour l’avoir parlé. »
C’est elle qui prend la parole et lance les slogans au micro :
« A bas régime fasciste en Turquie ! » « Erdogan assassin ! » « Solution politique pour le Kurdistan ! » « Solidarité internationale ! » « Daesh terroriste, Turquie complice ! »
Dénoncer le gouvernement turc
Ozer, président de l’association franco-kurde, à l’origine de la manifestation explique vouloir rendre hommage aux 32 personnes décédées et aux nombreux blessés, dont un jeune bordelais actuellement soigné sur place, durant l’attentat-suicide de Suruç.
Ces membres de la Fédération des associations de jeunes socialistes de divers pays venaient amener jouets et fournitures scolaires pour reconstruire Kobané et aider femmes et enfants rescapés de guerre :
« Ils ont pu passer tous les barrages de Turquie avec leurs camions escortés par des services de sécurité locaux, et alors qu’ils se réunissaient tous à Suruç pour déclarer à la presse qu’ils avaient enfin obtenu l’autorisation de passer à Kobané, aucune mesure de sécurité n’était mise en place, et comme par hasard un kamikaze de Daesh a commis un attentat-suicide. »
En effet, plus que soutenir les familles des victimes, il s’agissait aussi d’épingler le gouvernement turc et d’en appeler à la communauté internationale, l’Union européenne et l’Etat français pour faire pression sur l’Etat turc face à leurs suspicions de complicité avec l’Etat Islamique. Volkan, du MLKP, le parti marxiste léniniste communiste turc, en est persuadé :
« Ce matin (vendredi) encore, des jihadistes de Syrie ont tiré sur des militaires turcs, l’un d’eux est mort et après autopsie on s’est rendu compte que la balle était turque ! L’Etat leur donne des armes ! »
Concernant les raids aériens lancés contre l’Etat Islamique par Tayyip Erdogan, président turc, se montrant enfin offensif envers Daesh, Ozer n’y croit pas :
« Il faut savoir qu’on sort juste des élections, qu’il a obtenu de mauvais résultats, le gouvernement n’est pas encore formé, il essaie juste de reconquérir le peuple dans ce sens, c’est uniquement politique. Même en France ils savent que la Turquie est impliquée. »
Poursuivre le combat
Cévin explique alors que l’association franco-kurde a décidé de reprendre le combat de la Fédération des associations des jeunes socialistes :
« On avait déjà pour projet de construire un centre d’aide à Kobané pour aider les femmes et enfants rescapés de guerre, désormais on se sent obligés de continuer ça, personne ne pourra nous arrêter, on sait que nous ne sommes pas les terroristes. »
En effet, le PKK formé en 1978 par Abdullah Öcallan est toujours placé sur la liste officielle des organisations terroristes de l’Union européenne, des Etats-Unis et de la Turquie notamment. Ce parti dans lequel se retrouvent les Kurdes qui érigent Abullah Öcallan comme leader de leur peuple, détenu et isolé sur l’île-prison d’Imrali depuis 1999, ils ne cessent de réclamer sa libération et la reprise des pourparlers avec l’Etat turc. Ici encore ils en appellent à l’Union Européenne et au gouvernement français pour faire retirer le PKK de cette liste et faire pression sur la Turquie quant à la libération de leur leader.
D’autres manifestations pour condamner l’attentat de Suruc ont eu lieu vendredi à Paris alors que dans la province d’Urfa, au Sud-Est de la Turquie, toutes marches et protestations restent interdites.
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