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Paroles d’élèves : « Ils vont venir nous tuer à Bordeaux ? »

Ce lundi était un jour particulier pour beaucoup d’élèves, mais aussi pour les enseignants, le personnel éducatif et les psychologues en charge de jeunes adolescents. Les attentats sont encore dans l’esprit de tous, et en parler pouvait prendre diverses tournures. Témoignages.

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Paroles d’élèves : « Ils vont venir nous tuer à Bordeaux ? »

Une salle de classe (DR)
Une salle de classe (DR)

Sortis de leurs cocons familiaux, les enfants allaient retrouver le monde extérieur, le quotidien. Après un week-end difficile pour beaucoup, suite aux attentats survenus à Paris et Saint-Denis vendredi soir, les esprits étaient brouillés par les souvenirs et les images d’une mort si proche.

Samedi et dimanche, certains sont restés cloîtrés avec leurs familles devant les informations en continu à la radio et les télévision, entendant le nombre des victimes, visualisant des visages, des impacts de balles et du sang dans les rues de Paris.

Lundi, ces enfants sont tous retournés en classe. Les enseignants les attendaient tout aussi bouleversés. Certains sont armés d’une première expérience Charlie, les autres de consignes envoyées la veille par la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem.

A l’issue de cette journée ponctuée par une minutes de silence, trois témoignages recueillis auprès d’enseignants et d’une psychologue d’enfants en difficulté, traduisent l’angoisse et l’inquiétude de leurs élèves.

« Pourquoi on fait pas une piqure aux terroristes pour qu’ils ne soient plus malades ? »

Magali Lefrançois est enseignante dans une école primaire de la région bordelaise depuis 20 ans. Elle préparait depuis plusieurs mois un voyage scolaire à Paris avec ses classes de CM2, les 24 et 25 mars prochain. Elle a du annuler ce voyage. Elle raconte sa journée avec les élèves :

J’ai d’abord remarqué, étonnée, un de mes élèves dans le rang qui répétait le mot « attentat, attentat, attentat, attentat » avec insistance à une de ses camarades. Il avait le sourire aux lèvres et faisait cela pour l’embêter. Il jouait. Ce mot ne représentait juste qu’une occasion pour enquiquiner sa copine.

En classe, les réactions des enfants ont été assez diverses lorsque je leur ai dit qu’on parlerait de ce qu ils avaient compris, de ce qui les a inquiétés ou choqués. J’apprends alors qu’une des élèves ne savait rien des événements, alors qu’un autre était très bien renseigné et connaissait l’historique du terrorisme jusqu’à Al Qaida. Il pouvait en parlait sans trop d’émotion.

Les enfants de CM2 ne peuvent pas tout entendre

Cependant, durant nos échanges, il y eut beaucoup de questions : « Pourquoi cela arrivait soudainement ? Est-ce que ça peut arriver à Bordeaux ? Est ce qu’ils vont venir nous tuer à Bordeaux ? Est ce que nous sommes en guerre ? » Certains ont même proposé des solutions ; une élève imaginait le terrorisme comme une maladie qu’on pouvait soigner : « Maîtresse, tu vois les vétérinaires ? Quand ils soignent des animaux malades, ils leur font une piqure, pourquoi on fait pas une piqure aux terroristes pour qu’ils ne soient plus malades ? »

Globalement, tous avaient peur d’une situation qu’ils ne pouvaient pas vraiment saisir. Une fille s’inquiétait déjà qu’un terroriste puisse prendre le même avion lors de son prochain voyage. Une autre avoue : « Je n’avais pas peur avant d’arriver à l’école mais maintenant, avec le discours du directeur et la minute de silence, je comprends que c’est grave et j’ai peur. »

Mon propos était de rassurer les enfants, de les protéger et de ne pas leur en dire « trop ». Les enfants de CM2 ne peuvent pas tout entendre. Un enfant a besoin, pour faire face, de se sentir en sécurité. Celle-ci a été malmenée ce vendredi. Selon moi, notre rôle est de rassurer les enfants en leur faisant comprendre que nous, adultes, tout comme l’État, nous allons les protéger.

« Est-ce qu’on peut vivre comme ça ? »

Nadine Coussy-Clavaud est professeur d’art plastique à Clisthène, annexe du collège du Grand Parc. Voici son récit de la journée :

Dès samedi sur twitter, un groupe s’est formé avec tout un réseau de professeurs et d’enseignants. Un « padlet » (outil collaboratif en ligne) a été mis en place. Chacun a envoyé des ressources pour aider à savoir comment on allait en parler à nos élèves. Les contributions ont été nombreuses. Par ailleurs, nous avions eu des concertations avec les enseignants du collège du Grand Parc.

Le mail de la ministre ne nous apporté rien de nouveau sur le fond, mais il nous a confortés dans notre démarche. Avec nos échanges entre profs, on était déjà prêts, on était déjà déterminés.

À l’arrivée des enfants le lundi matin, certains s’efforçaient péniblement d’en rire. L’enseignante Florence Fau était présente à l’ouverture du collège et a évoqué des choses entendues : « Il faut bien mourir de quelque chose », plaisante une élève.

En parler le temps qu’il faut

Ensuite, chaque enseignant en a parlé le temps que les élèves le voulaient. On n’avait fixé aucune limite dans le temps. Les questions fusent : « Est-ce qu’il faut avoir peur ? Est-ce que c’est vraiment la guerre ? Est-ce qu’on peut vivre comme ça ? » Même dans la journée, on pouvait revenir sur ce sujet autant de fois que c’était nécessaire. A la pause, alors que je regardais un dessin de presse dans un journal, des élèves m’ont demandé discrètement : « Vous n’avez pas peur vous ? »

Une chose est sûre, les élèves s’expriment ouvertement. Ils ont peur que ça vienne jusqu’ici, à Bordeaux, et même partout en France. Une élève m’a demandé : « Oui mais Clisthène, on parle de nous dans les journaux. Ils vont nous repérer ! »

A midi, la minute de silence a été respectée, on est même allé au-delà d’une minute. Tout comme pour Charlie, nous n’avons eu aucun problème. Mais là, on a senti qu’ils ont saisi autre chose. Ils avaient l’idée que tout le monde a été visé.

« Il faut qu’on parte ailleurs »

Psychologue thérapeute auprès d’enfants présentant des troubles du comportement, elle a voulu garder l’anonymat par respect pour ces enfants :

En arrivant ce lundi à l’ITEP de Bordeaux (Institut thérapeutique éducatif et pédagogique, NDLR) qui accueille des enfants de 6 à 16 ans, le chef de service m’a prévenu que j’aurai deux groupes sur les trois habituels. La minute de silence étant prévue à midi, il fallait réunir les enfants à 11h30 pour parler des attentats, en débattre et leur expliquer.

J’ai donc eu un premier groupe de 8 à 10 ans et un deuxième groupe de 12 à 14 ans.

Les enfants traduisent l’inquiétude de leur entourage

J’ai eu le sentiment que les enfants du premier groupe répétaient ce qu’ils avaient entendu de la bouche des parents. Ils sortaient d’un bain familial : « Hollande est nul. C’est la faute à Hollande. » Une petite fille disait les choses avec une drôle de voix, en faisant des mimiques, comme si elle imitait quelqu’un. Ce qui donnait l’impression que ce n’était pas elle qui parlait, que c’est surtout son entourage qui était inquiet.

Les enfants du deuxième groupe étaient plus angoissés. Ils disaient : « Ça ne va pas s’arrêter à Paris, ça va venir à Bordeaux. On va tous crever. » Pour la plupart, la seule solution était de partir, de quitter la France. Je n’ai pas cherché à dire le contraire. Je n’ai pas voulu réagir à leurs avis et je pouvais approuver parfois que tout ça faisait en effet peur. J’ai essayé de les aider à mettre des mots à leur angoisse et traduire cet « ailleurs » où on serait mieux.

Après en avoir parlé une dizaine de minute, nous avons fait un jeu avec chaque groupe. Le deuxième groupe a inventé un jeu en lien avec les événements. L’histoire était similaire : un groupe de jeune assiste à un concert de David Bowie. Un élève, qui jouait le terroriste, a menacé tout le monde (une élève m’a ensuite avoué qu’elle avait eu peur). Un autre élève avait le rôle d’un policier qui a finalement neutralisé le terroriste et évité le carnage. L’histoire se termine bien.


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