Les études se suivent et ne se ressemblent pas ! Après le classement de Bordeaux comme ville la plus « gastronomique au monde » par le site new-yorkais Thrillist, c’est une étude du site strasbourgeois My-Pharma qui place la capitale girondine au premier rang des villes où on trouve la plus forte concentration de points de vente en restauration rapide.
L’étude porte un regard critique sur ce classement et n’hésite pas dans son intitulé d’évoquer la « malbouffe ». Ce constat est motivé par le choix des établissements recensés : MacDonald, Subway, Quick, Domino’s Pizza, Starbucks, Pizza Hut, La Mie Câline, KFC, Pomme de Pain et Burger King.
« Pour cette étude, nous avons sélectionné les vingt principales villes françaises (agglomération municipale), et relevé le nombre des plus grosses chaînes de restauration rapide dans l’Hexagone, précise Kévin Jourdan, initiateur de l’étude. Il faut reconnaître que dans ces enseignes, il n’y a pas la volonté de faire de la qualité ! »
Mais alors ? Best et Etchebest…
Bordeaux capitale française de la malbouffe ? On a du mal à l’avaler. Ce n’est quand même pas pour rien que la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Bordeaux a lancé son Best (Bordeaux école supérieur de la table) en coopération avec la prestigieuse école Ferrandi. Un autre signe qui ne trompe pas est l’impressionnant nombre de chefs, étoilés ou pas, qui ont choisi de poser leur toque à Bordeaux.
De Joël Robuchon, le chef aux 25 étoiles (La Grande maison), à Philippe Lagraula, plus jeune étoilé de France en 2006 (Une cuisine en ville), en passant par Philippe Etchebest (Le Quatrième mur), Gordon Ramsay (Le pressoir d’argent), et toute une nouvelle génération de jeunes prodiges tout juste trentenaires comme Tanguy Lavial (Garopapilles), Ayako Ota, Laura Eyrin, Gil Elad et Arnaud Lahaut (Miles), Maxime Rosselin et Mary Henchley (Le Chien de Pavlov), Jean-Luc Beaufils (Air de famille), Jérôme Billot (Le Dan)… la liste est longue pour limite croire à une mauvaise blague quand on voit le palmarès de My-Pharma.
Et pourtant, avec une population de 241 287 habitants et les 35 établissements des enseignes citées plus haut, Bordeaux se retrouve avec 0,116 point de vente pour 1000 habitants, devant Lyon (2e avec 0,1148 – 61 établissements pour 496343 habitants) et Paris (3e avec 0,1093 – 294 établissements pour 2240621 habitants). Les chiffres sont relevés au 1er décembre 2015 précise Kévin Jourdan. Et même si le Burger King de la rue Sainte-Catherine n’est pas ouvert (annoncé pour fin 2015), avec ou sans, le classement ne bouge pas.
Deux fois plus d’établissements en dix ans
Soit ! Que disent les chiffres officiels si on se fie au code APE de la restauration rapide ? Les statistiques de la CCI tranchent : En dix ans, le nombre d’établissements a doublé ; 518 en 2015 contre 262 en 2005. A noter que le code APE 5610C prévoit large : il englobe aussi bien la vente de crème glacée dans des chariots mobiles que les repas vendus sur les marchés. Ainsi Les Capucins/La Victoire et Hôtel de Ville/Quinconces sont les deux secteurs les plus denses avec respectivement 124 et 150 établissements. Mais avec la réévaluation, tous les quartiers de Bordeaux, à l’instar de La Bastide, ont tous connu un vrai boom.
Cependant l’explication ne se trouve pas que dans la rénovation de la ville et la redynamisation de ses quartiers. Bordeaux gagne aussi en attraction pour la population d’étudiants vu sa 4e place sur le palmarès du site l’Étudiant qui précise :
« Avec une place gagnée par rapport à 2014, Bordeaux continue de grimper dans notre palmarès et se hisse à la 4e place. […] Son nombre d’étudiants déjà conséquent ne cesse de croître tant en valeur absolue qu’en valeur relative (+18% environ entre 2003-2004 et 2013-2014). »
Nathalie, la directrice d’une grande enseigne de restauration rapide sur l’avenue Thiers, le confirme (sous pseudonyme, elle a préféré garder l’anonymat « pour respecter les consignes du groupe »). Depuis six ans et l’ouverture du Pôle universitaire de sciences de gestion (PUSG) de Bordeaux 4 et de sa résidence du Crous, les étudiants font partie des nouveaux habitants du quartier :
« L’essentiel de mes clients sont des étudiants. Et c’est clair qu’ils viennent chez nous parce que c’est moins cher. Pour 5€, ils peuvent avoir une formule avec Hamburger/dessert/boisson. »
Mais – surprise ! – être une ville d’étudiants ne suffit pas à faire exploser le compteur des fast-foods. Toulouse, 1ère de la liste de L’Étudiant, occupe la 14e place du classement de My-Pharma.
Restauration rapide ou petits prix ?
À écouter la patronne installée rive droite, l’appellation restauration rapide porte parfois mal son nom. Dans son établissement, la clientèle s’installe, discute, passe des après-midis entiers. Comparé à des restaurants traditionnels, « pas sûr qu’on puisse passer des heures avec un coka/frites ».
Franck Winum est directeur de l’enseigne O saveurs di Pasta, « restaurant rapide » de pâtes installé dans le centre commercial des Rives d’Arcins. Dans son établissement, il voit surtout défiler des employés des boutiques voisines venus pour la pause de midi mais surtout des familles :
« Le soir, il y a ceux qui viennent faire quelques courses et il est tard pour rentrer faire un dîner. Le week end, il y a ceux qui viennent déjeuner en famille avant de faire leurs courses. Dans les deux cas, ils mangent pour pas cher, des formules de 7 à 9€ qui restent dans leurs moyens. »
Est-ce que les petits prix sont à l’origine du succès et donc de la multiplication des enseignes de restauration rapide à Bordeaux ? Pas forcément ! Certaines grandes enseignes ne peuvent pas faire l’impasse d’une adresse bordelaise. C’est le cas de Burger King comme l’explique le responsable des relations presse du groupe, Mathieu Morel, interrogé par Rue89 Bordeaux :
« La marque a décidé d’un développement rapide sur toute la France. Bordeaux est une ville en plein essor et fait partie des grandes villes françaises connues dans le monde. Burger King ne pouvait pas envisager de ne pas y être. »
Il faut comprendre par là qu’il ne s’agit pas d’une étude de marché qui dévoile un besoin, mais surtout d’un plan marketing global de la marque qui se soucie peu de savoir si le marché est saturé ou non. Face à cette concurrence, Nathalie s’efforce continuellement de « renouveler les offres, soigner l’accueil et améliorer le service ». Sa hantise est d’entendre « les clients se plaindre parce que c’est long ».
La restauration rapide en quête de renouveau
Franck Winum approuve et souligne en plus des effets de mode :
« Les modes s’enchainent. Hier c’était les kebabs ou les hamburgers, aujourd’hui c’est la cuisine asiatique et les Bagels. Il y a sept huit ans les pâtes avaient du succès, mais cette mode s’essouffle. Il faut trouver des nouvelles idées. »
Le nouveau se fait aussi avec du vieux. Ce n’est pas le retour en force du hamburger qui démontre le contraire. Le chouchou de la restauration rapide fait des Français les plus gros consommateurs d’Europe avec 14 burgers par an et par personne, derrière les Anglais avec 17 burgers par an. Au total, on consomme chaque année 780 millions de burgers, soit près de 25 par seconde.
« Oui mais attention, anticipe un responsable bordelais de l’Union des métiers de l’industrie hôtelière Région Aquitaine (UMIHRA), on ne parle pas du steak haché à l’américaine. Aujourd’hui, beaucoup de chefs français veulent revisiter le burger. La restauration rapide est entrain d’évoluer, alors avant de parler de malbouffe, il faut faire attention à ne pas tuer la restauration rapide qui fait des efforts. »
Chargement des commentaires…