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30/04/2024 date de fin
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Vents contraires aux extrêmes gauche et droite en Gironde

Après le premier tour des élections régionales, Hubert Bonin analyse le déclin de l’extrême gauche « dans une Gironde meurtrie par cette dépopularisation d’un combat historique ». Au contraire, le Front national devient « solidement girondin », et poursuit son « enracinement périurbain et rural ».

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Vents contraires aux extrêmes gauche et droite en Gironde

Meeting de Marine Le Pen à Bègles lors des municipales (Anne Chaput/rue89 Bordeaux)
Meeting de Marine Le Pen à Bègles lors des municipales (Anne Chaput/rue89 Bordeaux)

1. Adieu l’extrême gauche ?

On pourrait se réjouir que le Parti communiste ait su renouveler ses dirigeants et ainsi proposer la candidature d’Olivier Dartigolles. Toutefois, les frustrations ont été vives avant même le scrutin. Une course à ce que j’appellerais « le purisme », comme gauche pure et dure, a même été esquissée.

Des « antis » ou « alters » ont monté une liste « jeune », voire jeuniste (celle de Joseph Bouisson, La Vague citoyenne, avec Marie Bové), drainant 8 743 votes, soit plus que la liste « révolutionnaire » de Lutte ouvrière (5 324), soit 2,8 points à elles deux.

Les puristes se retrouvent ensuite au sein du Front de gauche (FdG) lui-même, comme me l’a indiqué une élue :

« Dartigolles n’a pas été choisi par les militants : il s’est d’abord autoproclamé tête de liste lorsqu’il n’était que chef de file, et il n’y a jamais pu y avoir le moindre débat interne sur ce “choix” imposé. Seuls les coordonnateurs FdG ont négocié, mis de toute façon devant le fait accompli. Et quand le PCF kidnappe le FdG, le score du FdG redevient quasiment celui du PCF… De nombreux militants FdG étaient sans voix et sans voie, et, tout en étant sincèrement FdG, n’ont pas voté pour ce mouvement en raison du manque de cohérence politique de la tête de liste régionale et de certaines têtes de liste départementales. »

D’où ce que cette source appelle « l’affront de gauche », ce qui a pu renforcer le vote blanc, voire l’abstention.

Seul Bègles entretient la flamme

Avec 20 659 voix en Gironde, ce Front de gauche a tout de même bien brandi l’étendard « rouge » – avec « L’humain d’abord ! » comme slogan humaniste ? –, mais elles ne pèsent que 4 % du total ! En y ajoutant le score des deux autres listes d’extrême gauche, on ne parvient donc qu’à moins de 7 %.

Le filet a tenu notamment dans les Portes du Médoc (6,2 %), dans le district industrieux de Lormont-Bassens (6,4 %), en amont de Bordeaux (autour de Cadillac et Langoiran : 9,77 %). Mais la proche banlieue s’avère décevante (autour de Mérignac : 6,37 et 6,05 % ; autour de Pessac : 5,85 et 6,51 %) ; et seul le pôle historique de Bègles entretient la flamme (8,93 et 11,2 % sur Bègles, Talence et Villenave-d’Ornon).

Bref, l’assise populaire de l’extrême gauche s’est fortement amenuisée dans une Gironde où ses composantes se sont divisées plutôt âprement et où, comme partout, les composantes sociologiques du « peuple » se sont disloquées et recomposées selon des processus qui ne conduisent peut-être pas ces couches populaires, désormais plus précaires, intérimaires et tertiarisées, à se constituer en nouveau « peuple de gauche ».

2. Jacques Colombier continue à forer

On avait assisté à la progression régulière du Front national aux élections nationales et européennes, en écho de la percée à l’échelle du pays, puis aux départementales, comme je l’ai analysé dans l’article « Les trois paradoxes girondins ».

On aurait pu penser que les régionales ne constitueraient pas un tremplin, étant donné le mode de scrutin départemental et surtout des champs de responsabilités fort éloignés des thèmes chers au parti d’extrême droite. Politiser la gestion des lycées, des trains ou de l’innovation de proximité paraissait sans espoir.

Or la liste Colombier a continué à forer les fondations d’un mouvement puissant, sans pour autant parvenir en Gironde à égaler le Lot-et-Garonne voisin, où les Frontistes ont terminé en tête.

En Gironde, le Front national a tout de même mobilisé 113 895 votants, soit 22,32 %, à cinq points de la droite et à dix points de la gauche. C’est bel et bien un courant qu’on peut qualifier « de masse » et, en tout cas, c’est presque trois fois plus qu’en 2010 (8,09 %).

La banlieue de Bordeaux « polluée »

Sur Bordeaux même, la progression a néanmoins été enrayée, bien qu’elle ait abouti à un doublement de sa position (11,76 % contre 6,48 % en 2010 ; 7 642 voix au lieu de 3 732). La métropole apparaît ainsi moins « polluée » que sa proche banlieue, puisqu’une cité comme Mérignac, pourtant fer de lance de la troisième révolution industrielle et de la prospérité, a vu 17,28 % de ses votants afficher leur attirance pour l’extrême droite (soit 3 729 citoyens, presque cinq fois plus que le Front de gauche…).

Pessac (avec 13,65 %) et Talence (avec 12,74 %), ces deux villes densément universitaires et dont la population peut revendiquer un niveau de QI exceptionnel, se sont elles aussi laissées aller à exprimer de tels relents frontistes. On s’attendait à ce que les banlieues dites populaires confirment leur glissement de l’extrême gauche à l’extrême droite, comme partout dans le pays : cela a bien été le cas à Lormont (25,3 %) ou Cenon (21,73 %).

Un socle minimal de dix à quinze pour cent, un « ordinaire électoral », semble donc s’être cimenté désormais dans l’agglomération. Y convergent probablement la « vieille » droite extrême chrétienne-sociale, foncière, voire aristocratique – symbolisée à mon sens par les candidates Valérie Denoix de Saint-Marc (d’une dynastie déjà impliquée dans l’antigaullisme au tournant des années 1960, comme nous l’avions indiqué dans notre livre « Les tabous de l’extrême droite à Bordeaux », au Festin), Brigitte Tourvielle de Labronne et Colette de la Conception, sans compter le conseiller départemental Grégoire de Fournas – et la nouvelle extrême droite populiste.

Le Bassin, un « pôle Bleu Marine »

A l’échelle de la Gironde, Jacques Colombier a séduit 113 895 électeurs, soit 23,23 %, contre 12 % en 2004 et 9 % en 2010. Tout d’abord, là aussi loin des « barbares menaçants », le Bassin d’Arcachon confirme la cristallisation d’un pôle « Bleu Marine » dont les eaux sont brassées au rythme des relents d’ « exaspération » fiscale et de craintes indicibles.

Mais les sarcasmes d’un intellectuel sont bien vains quand il doit constater que 23,77 % des votants du canton de La Teste sont frontistes, dont 25,53 % à La Teste même. Ce sont 3 579 habitants ou votants qui sur ces rives pacifiques, rêvent de « pacification » contre quelque « ennemi de l’intérieur » !

Plus au sud-est, en amont, le Val de l’Eyre a vu couler 27,74 % de votes frontistes. Notons que même les communes les plus à gauche et populaires, comme Le Teich, Biganos, Mios et Marcheprime, sont marquées par une bonne emprise frontiste. Les bourgeois, sur la côte Sud, ou même à Lège-Cap Ferret, et le peuple et les petits bourgeois, plus au Nord, sont ainsi réunis dans une même dérive extrémiste.

J’avais déjà analysé sur Rue89Bordeaux les fondations creusées par le Front dans les campagnes girondines. La carte des votes aux régionales confirme bel et bien la persévérance de ce travail de taupe : la fameuse « banane » du Nord-Gironde, depuis le Lesparrais jusqu’aux franges du Lot-et-Garonne s’est encore épaissie, durcie.

Le Front en tête dans les « campagnes profondes »

Les campagnes et districts rurbains du Libournais (Saint-Seurin-sur-L’Isle, Abzac, Saint-Sulpice-de-Faleyrens, Lalande-de-Pomerol, en particulier) sont conquises par le Bleu Marine : leur peuple viticole souvent en difficulté, les salariés, parfois précaires, des services logistiques de l’agglomération libournaise, et surtout les transhumants quotidiens vers l’agglomération bordelaise, piégés dans les transports, constituent un vivier propice. De tels votes expriment la crise de la solidarité et de l’intégration territoriales à l’échelle de la Gironde elle-même.

Dans 34 des 65 communes de la Haute-Gironde, du Blayais et du Cubzaguais, le Front national arrive en tête, dans les « campagnes profondes » donc, représentatives de la « France des petits » (artisans, patrons, viticulteurs, transporteurs). On est bien loin par conséquent de l’image de campagne de François Mitterrand en 1981 vantant « La force tranquille ». La commune charmante de Marcillac comporte 38 % d’électeurs frontistes !

Remugles et tsunami

Des propos de râleurs de « café du commerce », on a ainsi glissé aux anathèmes politisés. La journaliste de Sud Ouest Catherine Dowmont a déjà relevé (7 décembre) la différence entre des bourgades d’envergure (Léognan, La Brède), où la raison l’emporte sur les remugles, et les zones villageoises du Sud et du Sud-Est de la Gironde, séduites par le vote extrémiste (Réolais, Entre-deux-Mers). Trois cantons voient prospérer les électeurs frontistes, avec presque 30 % : Landes des Graves (27,59 %), Entre-deux-Mers (26,18 %) et Réolais & Bastides (29,49 %), terroirs de « la poussée bleu marine » (Stella Dubourg, Sud Ouest, 7 décembre).

Après tant de constats désabusés, rappeler que des districts girondins sont devenus des fiefs durables du Front national peut paraître répétitif, puisqu’il suffit de reprendre l’analyse développée pour les départementales ou les municipales. Julien Lestage (Sud Ouest, 7 décembre) et les médias confirment que « Le Médoc, terre d’extrême droite », aura permis à Jacques Colombier d’obtenir 33,66 % des voix dans ces contrées, devant une gauche médusée (29,25 %) et loin devant une droite quasiment atone et tout au moins « inaudible », comme tout le monde l’a conclu (23,21 %). Lesparre (42,02 %) et Pauillac (39,16 %) affichent une fois de plus leur position de « capitales » d’extrême droite en Gironde.

Mes articles, rédigés « à chaud » par un universitaire en chambre, n’entendent pas fournir la clé magique de l’explication de ces votes. Par chance, la Gironde a été moins bouleversée par le tsunami frontiste que bien d’autres départements. Mais elle constitue un bon levier de réflexion sur la volatilité de l’électorat, sur ses divisions à la fois historiques et classiques d’un côté, ou nouvelles de l’autre, et enfin sur les limites en-deçà desquelles la raison politique doit cantonner sa force de conviction dans une République en crise de transition idéologique et citoyenne.


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