Contre la loi Travail et l’usage du 49-3, les opposants sont venus nombreux, à l’appel de l’intersyndicale, pour manifester à Bordeaux ce jeudi 19 mai. Une partie des manifestants a été bloquée par la police sous le tunnel de la rue du Château-d’Eau à Mériadeck. La tension est montée d’un cran et a conduit à une arrestation plus tard dans l’après-midi, place Saint-Michel.
Corinne Versigny a eu le nez creux. Voyant le nombre important de personnes au rendez-vous de départ de la manifestation contre la loi Travail, elle a demandé de rallonger le parcours de la marche. Un représentant de la police a d’abord refusé lui demandant de « maintenir les consignes » :
« Je n’ai jamais vu ça, confie la secrétaire de la CGT33. Quand il y a autant de monde, on a l’habitude de faire ça. Mais ils ne font rien pour que ça se passe bien et, après, il veulent nous faire porter le chapeau si ça dégénère. »
Les « jeunes » bloqués sous le tunnel de Mériadeck
Avec une demi-heure de retard, les manifestants – 10000 selon l’organisation, 3300 selon la préfecture – se mettent en route vers la place Gambetta. Des cheminots de la SNCF, des personnels d’Air France, des ouvriers dockers de Bordeaux et du Verdon, des employés de la centrale du Blayais, des services publics et d’autres entreprises en grève ont défilé en tête sous les bannières de la CGT, FO, FSU, Solidaires et l’Unef. Derrière, « la partie jeune » ferme la marche avec des militants de la CNT, de la CIP, de Nuit Debout et de #OnVautMieuxQueÇa, ainsi que des étudiants et des lycéens.
Après avoir fait le tour de la place Gambetta, la marche est finalement rallongée pour, avant de rejoindre la préfecture, faire le tour de la patinoire de Mériadeck. Alors que la tête du cortège est au niveau de celle-ci, la police bloque les groupes de jeunes qui ferment la marche sous le tunnel de la rue du Château-d’Eau. Il est alors 13h quand deux cordons de CRS se forment et coincent environ 500 personnes, faisant plusieurs fois usage des grenades et des gaz lacrymogènes.
Interrogé sur la raison de ce blocage, un représentant de la police n’a pas voulu répondre à nos questions, précisant que la Préfecture communiquera sur le sujet si nécessaire.
Des réactions indignées
Le blocage sous le tunnel a duré plus de 30 minutes. Des œufs et des poches de peintures ont été lancés sur les forces de l’ordre. Pendant ce temps plusieurs manifestants à l’extérieur ont arrêté la marche et grâce à la pression de divers syndicats, notamment de Sud Solidaires et la FSU, les policiers ont laissé repartir les manifestants bloqués. Ils ont été contraints de se diriger vers la place de la République, le point de départ.
Plus tard, cet épisode n’a pas manqué de faire réagir. La Coordination lycéenne de Bordeaux a dénoncé « des interventions policières illégitimes et inutiles, puisque la manifestation était déclarée et pacifique ». Elle a également accusé « les autorités d’attiser les violences pour décrédibiliser le mouvement social contre la loi travail ». Elle a annoncé sa volonté de saisir l’Inspection général de la police nationale (IGPN) et a demandé qu’une délégation de lycéens soit reçue par le Préfet de police.
De son côté, NPA33 a qualifié cette intervention de « provocation totalement gratuite [qui] était une tentative pour diviser le mouvement, isoler une partie du cortège en cherchant l’incident, voire l’accident, dans une manifestation légale et déclarée ». Revenue de la tête de la manifestation, Corinne Versigny a déploré « une intervention de provocation ».
Interpellation place Saint-Michel
Au coin de la place de la République et de la rue Maréchal-Joffre, un face-à-face entre les lycéens et les CRS a eu lieu vers 14h provoquant un nouveau moment de tension. Plusieurs jeunes lycéens derrière la banderole #OnVautMieuxQueÇa ont été immobilisés. Une jeune femme s’adresse à eux :
« Les copains, il y a des cars de CRS qui arrivent, à quoi ça sert de rester là ? On va se faire gazer et se faire massacrer ! »
Ce qui n’a pas empêché une situation de bras de fer. Pris à partie, un policier en civil entame un dialogue avec des personnes expliquant que le but est de disperser la foule et d’éviter qu’elle se dirige vers des « lieux sensibles » comme le tribunal à côté. Cette stratégie finit par payer et se solde par le départ d’une partie des manifestants alors que l’autre partie a improvisé une danse avec des slogans : « On n’arrête pas un peuple qui danse… »
Pour libérer la voie, la police repousse le groupe. Ce dernier se dirige, vers 14h30, vers la place de la Victoire encadré par des policiers en civil. Une heure plus tard, la situation dégénère à nouveau place Saint-Michel pour des raisons inconnues. Ce qui a conduit à une interpellation musclée filmée par un riverain et visible ci-dessous.
Pour le moment, nous n’avons aucune précision sur cette interpellation.
au lieu de passer leur temps à manifester "contre", que ces énergies-là se rassemblent et inventent quelque chose d'autre, un manifeste, une charte, un projet qui les tiennent, les unissent, et qui représente un idéal. Apprenez à manifester "pour", c'est beaucoup plus efficace !!!
ah ben oui, c'est plus de boulot que de se mettre une capuche et gueuler dans la rue... mais il y a des résultats au bout et pas de coups de matraque !
il faut être cohérent : tant qu'il y aura des gens pour se pâmer devant Cyril Hanounah ou the Voice, pour bouffer la m... des grandes surfaces, pour se précipiter sur les lowcosts et faire la queue devant un nouveau Starbucks, ce ne sont pas quelques petits sit-in qui feront quoi que ce soit
s'il y avait une majeure partie de la population qui se syndiquait, qui donnait du temps aux associations ou qui construisait des partis politiques nouveaux... le Système n'abuserait pas ainsi...
on a déjà tous les outils pour "faire" et inventer une autre société : faisons-le !
Sens 1 : Embuscade préparée contre quelqu’un pour l’assassiner ou exercer sur lui des actes de violence : Attirer quelqu’un dans un guet-apens.
Sens 2 : Dessein prémédité ou sournois de nuire à quelqu’un ou de le mettre en difficulté »
Larousse
J’étais à la manifestation ce matin, à Bordeaux. Rien ne s’applique mieux que cette définition que ce qu’il s’y est produit.
12h10 : les premiers policiers en civils nous encadrent. Discrets comme une meute de loups encerclant un troupeau de moutons. Nous ? Un groupe de gens non encartés, derrière les bannières « On vaut mieux que ça », symboliques depuis le début du mouvement contre la loi -détruisant le code du – travail. Rassemblés par notre non-appartenance à des syndicats, par notre volonté d’imposer un autre monde que le capitalisme. Il est important de préciser qu’ils ne sont pas présents sur les flancs des syndicats. Ils ne pressent que les gens qui ne sont pas canalisés, qui n’ont aucune autre direction que leur libre arbitre…oh combien plus dangereux. La tension monte.
Il est 12h32 quand le premier œuf empli de peinture s’étale en délicatesse sur un mur du Crédit agricole. Deux autres le suivent de près. Jolies coulées rouges…et noires qui soulignent l’énervement populaire. Et encore. Je suis gentille. Ils le sont aussi…
La tension descend légèrement, le cortège continue son chemin, passe devant la banque postale, trop loin pour être atteinte, et approche du quartier Mériadeck. Une autre banque se voit décorée d’aussi délicate manière que la précédente. Deux œufs seulement volent, noir et violet.
12h40 : Nous approchons du tunnel proche de l’arrêt de tram « palais de justice ». Les policiers en civil ne descendent pas dans le tunnel avec nous. Ils se massent avec leurs collègues au-dessus de la foule. Je me penche vers ma voisine : « ils ne veulent pas être gazés… ». On avance. On chante. Incroyable, l’écho nous prend aux tripes, fait résonner notre colère comme un roulement de tambour. Les syndicats Sud et Solidaires sortent du tunnel, nous suivons de près.
12h48 : Alors que le bout du tunnel approche, une quinzaine de CRS se placent en ligne devant nous. Ils nous interdissent la sortie du tunnel. Colère. Énervement. Agitation. Quelques œufs sont lancés sur eux, un élection libre arrive avec un extincteur et les arrose. Nous réclamons d’avancer.
Devant, la CGT a fui. Sud et Solidaires sont restés. Ils crient « Solidarité », « Libérez nos camarades ». Ils font pression de l’autre côté des flics, qui se divisent pour les maintenir hors du tunnel, et nous maintenir dans le tunnel. A l’autre bout, hors du tunnel également, CNT s’est arrêté, et ne nous rejoindra pas.
Ça fait pression derrière les banderoles. Après la vague de panique qui a suivi le placement des policiers, nous sommes encore au bas mot 150 à tenir bon, face à eux. Les mains en l’air, en criant « Non-violence », « CRS avec nous, « Etat d’urgence, état policier ! Liberté de manifester ! ». Nous faisons quelques pas en avant, ils nous gazent. Donnent des coups de matraque à ceux qui tiennent les banderoles. Mon cœur se serre. Tambourine. Quelques pas en arrière. Retour vers l’avant protéger les yeux et la bouche de ceux qui tiennent les pancartes. Distribution gratuite de sérum physiologique, partage d’écharpes.
Ceux qui ont eu le courage de lancer des œufs…se terrent maintenant derrière leurs camarades non violents qui prennent les coups pour eux. Messieurs, ayez le courage de votre audace.
Des journalistes font des aller-retour. Excités qu’il y ait de l’animation. Photos gros plans des manifestants aux yeux rouges, des policiers couverts de mousse d’extincteur, de peinture.
On interpelle les hommes qui tiennent, le regard vide, face à nous : « Pourquoi nous maintenez-vous ici ? », l’un d’eux me répond : « je ne sais pas ». Il n’avait visiblement pas prévu de se retrouvé peint en jaune ce matin.
Un contingent tout beau, tout neuf de sept ou huit policiers s’approche et vient renforcer leurs lignes. Des huées côté manifestants, des deux côtés, nous scandons « Tous ensembles ! Tous ensembles ! ». Nous exigeons d’être libérés. Messes basses entre eux, les ordres ont changé.
13h08 : les policiers se retirent sur un des trottoirs, et nous laissent passer. Applaudissement des deux côtés des manifestants maintenant réunis, tapes dans le dos des camarades qui nous ont attendus. Propos haineux sur le cynisme de la CGT qui a organisé le trajet, et s’est enfuie nous sachant pris au piège. Nous continuons la manifestation, fébriles, et nous réunissons place de la République. C’est long, 20 minutes, surtout gazés dans un tunnel.
Porterons-nous plainte collectivement pour « guet-apens » ? Je le souhaite. Les policiers ont reçu les ordres de répondre à des jets d’œufs et de pétards par des gaz et des coups de matraques. Ils nous ont maintenus sous pression sans exiger quoi que ce soit, sans entamer de dialogue, sans revendication aucune. Il s’agit d’une provocation. Et nous pouvons être fiers d’avoir gardé notre calme malgré leur acharnement à nous faire monter en pression.
Bordeaux, 15h30, 19/05/2016
Alors arrête tes insultes de merde et tes tentatives de division. On a des stratégies et des pratiques éventuellementdifférentes, mais on marche dans le même sens. Et ça débat bcp là dessus, notamment au sein de la CGT.
Si j'osais, je te dirai que ça, ce sont des pratiques de flics infiltrés!
J'étais vers la fin du cortège CGT, un peu avant FO. Nous n'avons eu connaissance de ce traquenard policier que lorsque nous arrivion vers la médiathèque. On était tous d'accord pour se dire qu'il fallait faire quelque chose, qu'on pouvait pas laisser d'autres manifestants se faire attaquer de cette manière. mais nous aussi étions hésitants et perdus sur la façon d'agir, comment y aller, comment passer le message... Le temps de réagir et de s'avancer pour voir ce qu'ils e passait et avoir des infos, nous arrivions à la Pref.
Oui, l'erreur au niveau syndical a été de s'arrêter là. La tête du cortège aurait dû continuer, avec son SO, pour aller porter sa solidarité avec les manifestants bloqués. Une partie du SO et des manifestants CGT y sont allés.
Qu'on analyse les décisions et les erreurs des uns et des autres, et les déaccords stratégiques, y compris au sein des organisations syndicales, mais ne tombons pas dans la division. C'est le piège que nous tend le gouvernement (voir notament en ce sens la grossière manipulation du communiqué de presse de la Préfecture de Police de Paris avant la manif du 12 mai, qui a eu pour conséquence des affrontements entre manifestants)
Les vrais responsables, les vrais casseurs, c'est ce gouvernement
Ayant également commencé la manifestation à l'arrière et coupé ensuite entre la mairie et Mériadeck pour déposer un dossier à l'antenne administrative située entre les deux, je me suis retrouvé en sortant au niveau de la tête de cortège, qui venait de pénétrer dans le tunnel où je me suis engouffré à mon tour. La manifestation a suivi son cours tout-à-fait normalement jusqu'à destination et ce n'est effectivement qu'APRÈS l'arrivée à la préfecture et même le début de la dispersion que le bruit a commencé vraiment à se répandre que le "cortège jeune" avait été bloqué par la police dans le tunnel.
Dès lors, de nombreuses personnes, syndicalistes ou non, ont relayé l'information et un certain nombre d'entre elles sont alors retournées vers le pont en rebroussant chemin (militants SUD/Solidaires, FSU/SNUipp et NPA notamment) ou en prolongeant tout droit pour revenir par l'arrière, côté rectorat (Cégétistes et autres). C'est visiblement cette arrivée de part et d'autre et les protestations de plus en plus massives qui s'en sont suivies qui ont décidé les autorités à mettre enfin un terme à leur stupide provocation, aussi scandaleuse qu'inutile... sauf à provoquer des incidents qui, apparemment, n'arrivaient pas assez vite au goût de la Préfecture !
De fait, même si on peut donc déplorer que la CGT (et FO) n'ai(en)t pas appelé publiquement (et illégalement) à poursuivre derechef la manifestation jusqu'au tunnel pour "libérer nos camarades" (mais qui peut décider, en quelques secondes, pour une organisation qui a des statuts, des instances, etc... et pour les autres organisations ?), il n'y a donc de procès à faire en particulier qu'à l'autorité publique, éhontément dévoyée une fois de plus pour servir les petites manipulations de la basse stratégie gouvernementale (ou de la haute trahison, au choix) .
Pour le reste, c'est à chacun ses pratiques et ses responsabilités et il n'y a pas davantage à délivrer de brevets de manifestant qu'à stigmatiser telle ou telle organisation en particulier (à part les absentes évidemment, CFDT en tête) qui serait à elle seule l'Alpha et l'Oméga de toutes les défaites sociales et de tous les renoncements à la confrontation. Les débats - et les divergences - sont légitimes et chacun, avec sa tradition et son histoire propre, se reconnaît et se rattache à tel ou tel courant, telle sensibilité ou pratique militante... mais chacun y est légitime dès lors qu'il a pris la parti de la rue : dans la lutte, c'est chacun à sa place et une place pour chacun...
Sans la CGT (et FO, la FSU), il n'y aurait clairement ni mobilisation ni manifestations ni blocages économiques. Sans la jeunesse, Nuit Debout et le "pôle radical" (CNT, NPA, CIP...), il n'y aurait ni dynamique ni énergie ni actions parfois salutairement "coup de poing" qui démultiplient, étendent et prolongent la lutte. Et sans une organisation comme SUD/Solidaires pour assurer la jonction et un pont entre tous, à l'image de ce qui s'est passé devant le tunnel, pas de mobilisation d'ensemble ni d'actions réellement collectives. Dont acte...