Trois mois après le début du mouvement contre la loi travail, les militants bordelais restent mobilisés. Samedi 11 juin, à 11h, un appel a été lancé pour réaliser une action de blocages économique. L’initiative vient du Collectif lutte 33, l’ancien collectif rive droite. A la station de tram la Gardette (Lormont), lieu de rendez-vous de l’action, ils sont presque une centaine.
Beaucoup étaient déjà là en 2010 : le collectif rive droite est né durant les mobilisations contre la réforme des retraites. D’autres ont rejoint le mouvement cette année. Certains sont militants syndicaux, d’autres issus des manifs étudiantes, d’autres encore militants autonomes. Beaucoup gravitent autour de Nuit Debout et du mouvement #OnVautMieuxQueÇa. Tous sont convaincus de la nécessité de mener des actions concrètes.
« Les blocages économiques sont les étapes supérieurs de la mobilisation », explique Fred (pseudo). Pour lui, s’attaquer à des structures économiques a une haute valeur symbolique. Il s’agit de montrer leur désaccord avec le projet de loi El Khomri, mais, surtout, de porter une revendication plus large : celle d’un autre modèle de société.
« On lutte contre la loi travail, bien sûr, mais aussi son monde. »
Dans la bouche des militants, ce monde, c’est celui de l’ultra-libéralisme. Le mouvement fédère des revendications multiples : politique, économique, mais aussi sociétales, « contre un Etat de plus en plus sécuritaire ».
« Putain ils sont une armée »
Deux actions sont envisagées pour aujourd’hui : bloquer un péage ou faire un pique-nique dans un supermarché.
« On fait une assemblée générale et on décide de ce qu’on fait », annonce un membre du collectif.
Mais, avant même que le débat commence, la police arrive – une voiture et quatre ou cinq camionnettes débarquent en trombe, sirènes hurlantes.
« Putain, ils sont une armée là-bas », crie quelqu’un dans la foule. De l’autre côté de la rue, une ligne de gendarmes mobiles bloque l’accès. « On bouge. » Une partie des militants s’enfuient. Les autres tentent de rejoindre leurs voitures garées non loin. Les policiers hésitent. Ils sont venus pour disperser un rassemblement non autorisé sur la voie publique. Et, justement, le rassemblement est déjà dispersé.
Les ordres tombent :
« On bloque, on prend les identités, lance à la volée un gradé. On va mettre les véhicules au milieu, pour les empêcher de sortir. »
Les camions sont mis au milieu de la rue tandis que les petits groupes de militants sont encerclés par des agents de police, bien plus nombreux. Rapidement, les agents passent à l’action. Ils réunissent les manifestants dans une nasse impénétrable : d’un côté un grillage, de l’autre des camions. Dans les espaces, des gendarmes en tenue d’intervention.
Si le dispositif est impressionnant, les policiers sont calmes. Pas de coup, pas de gaz, pas un mot plus haut que l’autre. Trois agents, en civil et brassards sur le bras, interrogent les rares journalistes :
« Vous avez une carte de presse ? Non, vous êtes indépendant. D’accord. »
Reste que quelques minutes plus tard, un gendarme nous demande de reculer, nous empêchant par la même de faire des images, bien qu’une circulaire de 2008 stipule que « les policiers ne peuvent donc s’opposer à l’enregistrement de leur image lorsqu’ils effectuent une mission ».
Des poulets à la boulangerie
Dans la nasse, les militants s’ennuient. Certains s’assoient.
« On sait pas combien de temps ça va durer, autant prendre son aise », relativise un membre du collectif 33. « On est parqués comme des animaux », enchaîne un autre. « Reste à savoir de quel côté de la barrière sont les animaux », lance Thomas, étudiant à l’Université de Bordeaux.
Les forces de l’ordre, elles, se détendent. L’attente se fait longue, les militants plaisantent, passent quelques appels ou jouent avec des cailloux. Une femme demande à aller aux toilettes. « Pas de problème, mais revenez, s’il vous plait », répond un gendarme, sourire amical et formidable moustache en brosse. Un camion revient, deux policiers en sortent un militant pour rejoindre la troupe. La foule applaudit.
« On a vu des flics arriver, du coup on est entré dans une boulangerie. Ils sont venus nous chercher un par un », explique-t-il.
Devant la boulangerie en question, il ne reste que quelques policiers. On s’approche.
« Monsieur, venez ici s’il vous plaît », lance un membre des forces de l’ordre.
Pas de problème, on obtempère.
« Vous êtes journalistes ? Montrez-moi votre carte professionnelle. »
Être journaliste ne signifie pas avoir une carte de presse. Pour l’obtenir, il faut entre autre justifier en tirer au moins 50% de ses revenus. Mais les policiers, eux, ne semblent pas au courant.
« On l’embarque comme les autres. »
Fouille du sac.
« Votre casque, là, ça fait très casseur. »
Si ce n’est l’énorme inscription « presse » à l’avant et à l’arrière.
« A mardi »
Contrôle d’identité et portrait serré.
« Pour qui travaillez vous ? Rue89 Bordeaux ? Non, on ne veut pas le numéro de votre rédacteur en chef. »
Dans le camion, entouré de deux policiers, le tutoiement est de rigueur. Tant pis si le code de déontologie de la police précise que les relations entre policiers et usagers doivent être « empreintes de courtoisie » et requièrent « l’usage du vouvoiement ». On doit rejoindre l’intérieur du groupe de manifestants, et nous retrouvons retenus avec eux.
« Ceux qui sont en véhicule peuvent partir, un par un », explique, vingt minutes plus tard, un gendarme.
Peu à peu, les militants partent. « A mardi », lance l’un d’entre eux, hilare. Le 14 juin, une nouvelle manifestation contre la loi travail est prévue à Bordeaux.
La Coordination des intermittents et précaires (CIP) Gironde a cependant dénoncé des « abus policiers » dans un communiqué, faisant état de « coups et d’insultes homophobes prononcés par un policier à l’égard d’un fuyard immobilisé » :
« S’il n’y a eu ni garde à vue ni interpellation, nous dénonçons avec vigueur les méthodes de plus en plus brutales des forces de l’ordre, la disproportion entre les intentions militantes et les réactions policières, et la répression au seul motif d’un rassemblement, y compris si ce rassemblement a pour objet une action qui n’a même pas commencé. »
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