Le quai des TER est blindé ce samedi 6 août gare Saint-Jean. De nombreux passagers attendent le Bordeaux-Arcachon de 11h05. Une annonce vocale leur rappelle que ce train est interdit aux vélos (sauf s’ils sont pliés ou démontés), ainsi que le TER (train express régional) de 13h05.
C’est le cas tous les week-ends et jours fériés depuis le 9 juillet et jusqu’au 28 aout sur cette ligne. « Face à l’afflux de cyclotouristes à bord des trains desservant la façade Atlantique du Sud-ouest l’été », l’objectif est, selon la SNCF et son commanditaire pour les TER, le conseil régional, d’ « améliorer le confort des voyageurs lors des pics d’affluence traditionnellement recensés ».
Cependant, quelques cyclistes slaloment entre les valises et rentrent avec les deux-roues dans la rame bondée. Plusieurs voyageurs leur font poliment observer le règlement et leur rappellent que la SNCF met à leur disposition une camionnette pour transporter les vélos :
« Je l’ai su trop tard, et il arrive ¾ d’heure après le train, or je dois récupérer mon fils à Arcachon », plaide le cycliste.
12 places vélos pour 600 voyageurs
Coup de chance : aucun contrôleur ne lui impose de redescendre, et il arrivera sans encombre à destination. Eric, lui, n’a pas eu cette veine.
« Il y a un mois, on m’a refusé l’accès à Pessac, j’ai du attendre le prochain train. Déjà qu’il n’y avait pas énormément de places pour les vélos dans les trains, on voit clairement que ce n’est pas leur priorité. »
Nous rencontrons Eric le dimanche 7 août, dans le Arcachon-Bordeaux de 20h04. Les deux trains précédents sont interdits aux vélos – d’après la SNCF, 40% des 6500 montées vélo par semaine l’été, se font entre 16h et 20h, au retour des plages.
Aussi, à Arcachon, les cyclistes embarquent en nombre dans le premier TER de la soirée. Alors qu’une rame peut accueillir entre 3 et 12 bicyclettes, pour 330 places assises (deux fois plus assis-debout), elle en transporte parfois 35, comme dans ce fameux 20h04… Eric a donc du mal à trouver un coin pour son VTT sans gêner les passagers.
« On se gêne les uns les autres »
Une dizaine de vélos s’entassent dans l’emplacement réservé. Pour leurs propriétaires, c’est la panique à chaque arrêt lorsqu’il faut les dégager à temps pour descendre – contrairement aux anciens TER, les bicyclettes ne sont pas suspendues à des crochets, mais rangés les uns contre les autres.
« L’autre jour, une dame s’est retrouvée coincée dans la porte alors que le train démarrait, il y a failli y avoir un accident, râle Irina, qui file un coup de main aux voyageurs, et envisage d’écrire à la SNCF. On se gêne les uns les autres, ce fonctionnement nous pousse à abandonner le vélo. C’est insensé de ne pas favoriser ceux qui font tout pour ne pas polluer avec leurs voitures diesel. Les cyclistes seraient prêts à payer un peu plus pour pouvoir embarquer leurs vélos, comme dans les trains Intercités. »
L’été, la SNCF enregistre dans la région plus de 6500 montées vélo par semaine, à plus de 10% sur la ligne Bordeaux-Hendaye (concernée elle aussi par des restrictions d’accès, pour les trains en partance du Pays Basque à 11h39 et 13h39 les week-end et jours fériés), et 40% sur le Bordeaux-Arcachon – soit 2600 cyclistes par semaine, à comparer aux 8000 voyageurs par jour sur la même ligne.
Mais il n’y a pas que des vacanciers dans le lot. Véro, elle aussi montée avec son vélo à bord du train Arcachon-Bordeaux de 20h04 ce dimanche, ne digère pas les restrictions imposées. Femme de ménage, elle fait l’aller-retour entre le Teich et Arcachon pour nettoyer les logements loués aux vacanciers, et s’est embrouillée avec des voyageurs un jour où elle a pris son biclou dans un TER interdit.
« On m’a dit qu’il fallait penser au confort des touristes, car c’est grâce à eux que j’ai du travail. Mais ce ne sont pas les touristes qui payent mon loyer ! Il faut bien que j’aille travailler. Le contrôleur m’a toutefois dit que les vélos sont tolérés pour ceux qui travaillent s’ils présentent une attestation. »
Solutions à l’amiable
Interrogée par Rue89 Bordeaux, la direction régionale de la SNCF assure que « le but n’est pas de sanctionner mais bien de permettre aux voyageurs de circuler dans les meilleures conditions possibles. (…) La plupart des litiges trouvent une solution douce par le dialogue, et nous mettons à disposition des voyageurs pour les quelques trains interdits aux vélos des kits (outillage pour démonter etc.). Néanmoins, en cas de refus, les contrevenants s’exposent à une contravention de 4e classe » (jusqu’à 375 euros).
Vélo-Cité n’a pas eu vent de telles amendes, mais signale avoir reçu « pas mal de plaintes de [ses] adhérents qui prennent le vélo quotidiennement, ou pour faire du tourisme le week-end » :
« On ne peut que se réjouir de l’augmentation de la fréquentation des TER, et on comprend que la SNCF ne peut pas multiplier à l’infini les trains, souligne Eric Leroy, secrétaire de l’association bordelaise de défense des cyclistes. Le problème c’est que si les TER peuvent accueillir deux fois plus de monde que les anciens matériels, le nombre de places vélos est exactement le même. Or de plus en plus de gens l’utilisent pour leurs trajets quotidiens, il faudrait leur offrir plus de possibilités. On redoute que, au contraire, ces interdictions ne soient un ballon d’essai, et qu’elles soient étendues le reste de l’année – il en a déjà été question au conseil régional (financeur et donneur d’ordre de la SNCF pour les TER, NDLR). »
La SNCF veut rassurer : « l’interdiction des vélos aux heures de pointe en semaine n’est pas pour l’instant un sujet d’actualité ». Mais leur présence à bord des trains est « une tolérance », précise-t-elle :
« La montée des vélos peut être limitée voire interdite sur des trains supplémentaires si le contrôleur estime qu’il y a un risque pour la sécurité des voyageurs (encombrement des couloirs ne permettant pas la circulation des passagers et/ou blocage des sorties). »
Trains quotidiens
La politique de la compagnie consiste bien à favoriser le transport multimodal, mais en gares, pas dans les trains, poursuit son service communication :
« A partir de septembre 2016, nous allons recentrer nos efforts sur l’implantation de nouveaux abris vélo sécurisés sur les lignes Bordeaux-Arcachon et Bordeaux-Agen, afin notamment d’offrir des solutions complémentaires à l’embarquement des vélos. »
Pour ceux qui veulent vraiment pédaler jusqu’à la plage, la SNCF propose cet été un forfait « TER & vélo à l’arrivée », soit un voyage aller/retour depuis Bordeaux ou Pessac à -40%, plus une location chez Insercycles, près des gares du Teich et de la Teste.
Si vous voulez combiner train et deux-roues, mieux vaut donc avoir deux vélos, un au départ et un à l’arrivée, un ou deux abonnements à des services de vélos en libre service, ou encore un vélo pliant. Un brin discriminante – les cyclistes qui ont les moyens prendront le train –, cette politique a pourtant le soutien de la FNAUT, la fédération nationale des usagers des transports.
« La SNCF gère la misère et doit faire des choix cornéliens, considère Christian Boucaret, président de la FNAUT Aquitain. Est-ce qu’on fait du volume ou de la qualité ? Aujourd’hui elle doit faire du volume, en particulier sur la ligne Bordeaux-Arcachon, extrêmement tendue avec un aller-retour par heure, et sept minutes de battement en gare. Le moindre retard sur le trajet désorganise toute la noria des trains. Or monter et descendre des vélos, c’est plusieurs dizaines de secondes dans chaque gare, et potentiellement des allers-retours supprimés. Il y a aussi des contraintes de sécurité, des vélos non attachés peuvent être des projectiles en cas de freinage d’urgence ».
État du réseau, choix des matériels roulants… Les cyclistes qui voyagent en train et la SNCF payent aussi des orientations politiques qui les dépassent.
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