Selon une vaste enquête à laquelle ont répondu 5 218 habitantes de la métropole bordelaise, 83% d’entre elles déclarent avoir subi au moins une fois dans l’année écoulée des faits de harcèlement lors de leurs déplacements.
L’étude n’est pas forcément représentative de la population bordelaise : la participation ne se faisait pas en fonction d’un panel, mais sur la base du volontariat. Ce sont donc les femmes les plus sensibilisées au problème qui ont pu y répondre, comme en témoignent la surreprésentation des étudiantes (54% des personnes interrogées) ou le pic de réponses enregistré le 22 juin, lendemain de match de l’Euro de foot à Bordeaux et de fête de la musique.
Et ce phénomène n’est pas spécifique à Bordeaux – l’étude présentée ce vendredi corrobore des enquêtes menées au plan national sur le harcèlement sexiste dans les transports -, souligne-t-on du côté de Bordeaux Métropole, à l’origine de cette enquête :
« Il n’y a pas plus de problèmes à Bordeaux, peut-être moins qu’ailleurs si on regarde les chiffres de la criminalité, estime Marik Fetouh, adjoint au maire de Bordeaux et conseiller métropolitain en charge de la lutte contre les discriminations. Mais ce qui compte, c’est l’ampleur d’un phénomène qu’il n’est pas possible de passer sous silence. »
Les chiffres sont en effet « absolument significatifs et statistiquement robustes », note Arnaud Alessandrin, un des trois sociologues ayant mené ce travail.
Interrogées sur leurs mauvaises expériences dans les transports (marche à pied pour 1801 des participantes à l’enquête, dans le tram pour 1579 autres, puis en bus, en voiture et à vélo), ces femmes ont évoqué des faits de gravités diverses : « des regards insistants, une présence envahissante, des sifflements » pour 25% d’entre elles ou « des commentaires non désirés sur l’apparence » (19,2%).
Harcèlement banalisé
18,6% disent avoir subi « des contacts physiques non souhaités et/ou attouchements » (mains aux fesses, frottage…), 13,2% des « insultes ou des menaces », 6,5% ont dû être les témoins de masturbation ou d’exhibitionnisme. Quelques interviewées ont été victimes de viols.
Seules 17,6% des femmes de ce panel répondent ne jamais avoir été confrontées à ce type de situation. En revanche, les deux tiers des participantes à l’enquête qui disent avoir été harcelées l’ont été entre 2 et 9 fois sur l’année écoulée, et 15,7% plus de 10 fois !
« Nous sommes donc face à une répétition massive de ces phénomènes, qui sont banalisés quand ils arrivent aussi fréquemment et finissent par être relativisés par les victimes et les témoins », déplore Lætitia César-Franquet, sociologue à l’université de Bordeaux.
Un des principaux enseignements de l’étude, c’est en effet que 88,6% des témoins de faits de harcèlement ou de violence n’ont aucune réaction.
« L’effet spectateur est conséquent, poursuit Lætitia César-Franquet. Plus il y a de témoin autour, plus on se déresponsabilise. »
Plaintes contre la police
Mais près de 87% des Bordelaises interrogées n’ont pas non plus cherché de soutien face à cette situation, par « lassitude face à la répétition des faits » ou, plus grave, par « peur de la non reconnaissance » :
« C’est difficile d’aller déposer une plainte, car souvent la police la refusera si elle juge qu’il n’y a pas de motif assez important comme des violences », témoigne Lison Herdelan ce vendredi à l’hôtel de métropole lors de la présentation de l’étude. « Que faire lorsqu’une personne vous suit jusqu’à votre domicile, par exemple ? » interroge la fondatrice d’une antenne bordelaise de l’association Stop harcèlement de rue. «
La jeune femme parle d’expérience, puisque, lorsqu’elle était étudiante à Poitiers, les policiers ont refusé d’enregistrer sa plainte contre un salarié du CROUS qui la harcelait par mails, la menaçait et frappait à la porte de sa chambre de cité U… Un problème qu’a reconnu Marik Fetouh, adjoint au maire de Bordeaux en charge de l’égalité et la citoyenneté :
« Nous avons des discussions avec la police car nous avons des remontées récurrentes sur des remarques de policiers visant des femmes, style « votre problème se résoudra ce soir sur l’oreiller », ou stigmatisantes vis à vis des homosexuels ou des personnes racisées. C’est difficile d’intervenir sur la formation et la sensibilisation des agents quand il s’agit de la fonction publique d’État, nous essayons de le faire dans une logique partenariale avec le préfet ».
Davantage du ressort des pouvoirs locaux, l’aménagement urbain des lieux les plus redoutés – et évités – par les femmes sera examiné par Bordeaux Métropole, comme un meilleur éclairage du parking relais de la Buttinière.
Affichage coup de poing
Alors que Lison Herdelana pointe la situation du campus, qui compte plusieurs « no man’s land » mal éclairés, Christophe Duprat, vice-président de la métropole en charge des transports, indique que ces voiries « appartiennent à un syndicat du domaine universitaire de Bordeaux », sur lesquelles l’agglomération « a beaucoup de mal à intervenir » :
« On ne manquera pas de les associer à nos travaux, même si les étudiantes se font d’abord agresser dans les lieux festifs, comme la Victoire », ajoute le maire de Saint-Aubin.
Alors que le rapport des sociologues formule 25 propositions, l’agglomération envisage d’ores et déjà d’instaurer une ligne d’appel d’urgence, qui pourrait être mobilisable par SMS, donc plus discrètement. Et elle va prochainement démarrer une campagne d’affichage comme celle menée l’an dernier à Paris dans le réseau RATP.
« Cette campagne coup de poing était très bien faite, on peut s’appuyer dessus, mais elle n’a duré qu’un mois, cela n’a pas de sens, estime Monique Nicolas, du Collectif Bordelais pour les Droits des Femmes. Il faudrait un affichage permanent dans les bus et les trams, comme ce qui est fait contre la fraude, de manière à ce que les femmes et les témoins de harcèlement aient toujours sous les yeux un numéro, et savoir comment réagir. »
Aubade, ô désespoir, ô pub ennemie
Monique Nicolas demande aussi une intervention sur la publicité :
« Quand on est assis à un abribus à côté d’une femme à poil Aubade directement « consommable », cela crée un sentiment d’insécurité. L’appel d’offre pour le marché de l’affichage devrait comporter des conditions pour imposer des publicités non sexistes. »
Christophe Duprat s’est dit d’accord sur ce point, indiquant qu’il pourrait figurer dans l’appel d’offre pour le renouvellement du contrat pour les abris voyageurs en 2019,
« Une clause de lutte contre les discriminations va être insérée dans les marchés publics, affirme Marik Fetouh. On ira le plus loin possible malgré les limites juridiques, puisqu’un tel dispositif n’est pas encore prévu par la loi. »
Chargé de mission égalité femmes-hommes à l’université Bordeaux Montaigne, Yves Raibaud voit une solution simple : imiter Grenoble, qui va purement et simplement éliminer la publicité dans la rue. Cela ne supprimera sans doute pas le harcèlement du jour au lendemain, mais cela calmera peut-être certaines pulsions.
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