Rexhino Baci se dit « triste » et « inquiet ». Originaire d’Albanie, le jeune homme – 20 ans – est installé depuis plus de deux ans en France, mais il est aujourd’hui sous la menace d’une expulsion.
« Je suis bien intégré, j’ai tous mes amis et ma famille ici, confie-t-il. Cette décision de la préfecture de Gironde m’empêche de vivre normalement. Dès que je vois des policiers dans la rue, je me sens coupable, alors que je n’ai rien fait de mal ».
Son seul tort : être majeur et sans titre de séjour, alors que la présence sur le sol français de sa mère et de son petit frère Brendon (15 ans, et élève au collège Edouard Vaillant de Bordeaux) est pour l’instant tolérée. Aussi, Rexhnino a comparu ce mercredi devant le tribunal administratif de Bordeaux pour contester l’obligation de quitter le territoire français (OQTF) qui lui a été envoyée par la préfecture le 18 juillet 2016.
Une dizaine de membres de son comité de soutien – enseignants, parents d’élèves FCPE du lycée Alfred Kastler de Talence, où Rexinho est élève, mais aussi du lycée Montaigne de Bordeaux -, sont aussi présents.
« Outre le fait que sa scolarité se passe bien, notre recours est fondé sur deux motifs, indique son avocat, maître Jean Trebesses : un différend familial fait qu’il ne peut pas repartir en Albanie, et l’administration française a reconnu sa mère comme étrangère malade, qui ne peut pas être soignée dans son pays. »
V pour vendetta
Irena, qui travaille actuellement comme femme de ménage, est arrivée en France avec ses deux fils en juillet 2014, après avoir quitté précipitamment leur domicile – « On a fait faire nos passeports en 24h », glisse Rexinho.
« La maman est partie car elle était gravement menacée par son père, et garde des séquelles de violences qu’elle a sans doute subi, détaille Patrick Guerra, du Réseau éducation sans frontière (RESF). Sa famille l’a répudiée, ils n’ont plus aucun contact avec elle. L’Etat français argue qu’il n’y a aucun souci en Albanie actuellement, mais il fait fi de ce qui peut se passer entre hommes et les femmes, notamment les vendettas (régies par le kanun, un code coutumier qui encadre la vie quotidienne, NDLR). »
Pourquoi la France ? « Parce que c’est la patrie des droits de l’homme et des droits des femmes », répond (en albanais, traduit par son fils) Irène, bouleversée par la perspective de voir son aîné éloigné.
Ainsi que l’a résumé Jean Trebesses devant le tribunal, « M. Baci est pris entre le marteau et l’enclume, il ne peut pas choisir entre son père et sa mère. Et il est le seul à pouvoir apporter aide et accompagnement à celle-ci » – elle maîtrise beaucoup moins bien le français que son fils, qui remplit tous ses papiers.
Et sa vie est désormais ici, plaide son comité de soutien :
« Première Pro SEN (Système Informatique Numérique) au lycée Alfred Kastler, Rexinho donne entière satisfaction à ses professeurs et se montre assidu lors des stages en entreprise. Nous souhaitons qu’il puisse rester au lycée afin de terminer toute sa scolarité et obtenir ses diplômes. »
« Intégrez-vous » disait-elle, c’était chose faite
Le tribunal contraindra-t-il la préfecture de Gironde à délivrer un titre de séjour ? La réponse sera connue le 14 décembre. Il devra aussi prochainement se prononcer sur des situations similaires, qui soulèvent aussi une profonde indignation, comme l’obligation de quitter le territoire visant Cristina.
Nous avions déjà évoqué le parcours de cette jeune maman d’origine albanaise. Arrivée il y a plus de deux ans en France avec son ex mari, qui fuyait son pays pour des raisons politiques, elle a passé plus de 6 mois à la rue avec sa fille Ajla, alors âgée d’un an et demi, avant de trouver refuge dans le squat du collectif du Sherby, à Blanquefort. Cristina est aujourd’hui accueillie temporairement dans un logement mis à sa disposition par la mairie de cette ville, où Ajla, 3 ans, est scolarisée.
Mais depuis lundi, elle est aussi assignée à résidence et doit pointer tous les lundi à la gendarmerie, avant son expulsion sous 45 jours. Une pétition demandant au préfet de Gironde Pierre Dartout des papiers pour Cristina et sa fille, et qui a recueilli 2832 signatures, n’a pas empêché l’Etat de rejeter trois fois sa demande d’asile.
Il n’a pas non plus voulu délivrer de papiers au titre d’accompagnant d’enfant malade – Ajla a un pied bot, une déformation très mal soignée en Albanie, qui ne compte que deux chirurgiens orthopédistes dans tout le pays.
« On ne comprend pas pourquoi la préfecture s’acharne contre Cristina, tacle Catherine Beziat Robien, membre du comité de soutien de la jeune femme. Elle a fait tout ce qu’on lui avait demandé : la mairie lui a trouvé un logement, elle a une promesse d’embauche (un CDI ans une société de nettoyage industriel à partir du 16 décembre), elle suit des cours d’alphabétisation pour apprendre à lire et à écrire, elle fait du bénévolat dans des associations caritatives, avec l’envie de rendre l’aide qu’on lui apporte. Bref, sa volonté d’intégration est très forte, en France et dans sa commune. »
Les conséquences seraient désastreuses pour elle, et surtout pour Ajla, poursuit la militante de RESF :
« Mes enfants sont à l’école avec Ajla, et c’est ce qui nous a alerté : il faut que cette petite fille ait droit à la scolarisation car elle ne parle pas albanais, elle n’a jamais appris que le français. »
Une dizaine de familles menacées
Aujourd’hui, RESF suit en Gironde une dizaine de familles d’enfants scolarisés « pour lesquelles la situation parait bloquée et dangereuse quant à leur maintien sur le territoire », selon Gérard Clabé, un des membres de l’association.
Jointe par Rue89 Bordeaux, la préfecture n’a pas souhaité s’exprimer sur des affaires en cours. Gérard Clabé évoque pour sa part une « impression de durcissement » de la politique de l’Etat, localement :
« Cela passe par des assignations à résidence, comme pour Cristina, et des pressions pour que les familles ou les personnes acceptent un retour dans leur pays. Même si ces familles ont déposé des recours, qui sont suspensifs, on leur a parfois confisqué les passeports. Et on n’héberge plus les familles qui ont des OQTF, certaines sont donc à la rue, ou sur le point de l’être. Je connais au moins une famille avec deux enfants scolarisés dans ce cas. »
RESF évoque aussi la menace d’expulsion visant une styliste nigériane, bien qu’elle atteigne presque les 5 ans passés en France ouvrant droit à la régularisation, selon la circulaire Valls, et dont la fille est scolarisée. Elle avait fui sa région, où le groupe islamiste Boko Haram a par la suite enlevé 500 femmes et enfants. Pour l’heure, elle fait profil bas en France.
« Sa fille fait du sport à l’école, mais ne participe pas aux compétitions, parce qu’elle ne pourrait pas présenter de papiers en cas de contrôle lors des déplacements », souligne Marie-France Grelaud Coq, de RESF.
Vivre sans papiers, c’est un parcours du combattant.
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