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« Le chemin de Macau » : l’état des lieux de Jean-Marie Planes

Le dernier ouvrage de Jean-Marie Planes, « Le chemin de Macau », vient de paraître. Une belle leçon d’écriture « pour que les morts ne meurent jamais ».

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« Le chemin de Macau » : l’état des lieux de Jean-Marie Planes

Jean-Marie Planes est un écrivain rare. A tous les sens du terme. Il n’encombre pas les tables des libraires d’une production annuelle. Et son écriture ciselée, qui fait le bonheur de ceux qui lisent ses chroniques littéraires dans Sud-Ouest Dimanche, est ce celles qu’on n’oublie pas.

Nous sommes nombreux qui attendions avec impatience depuis « Reste avec nous car le soir tombe » (éditions Mollat, 2004), cette belle méditation sur le corps du Christ, qu’il sorte de son silence. C’est chose heureusement faite avec « Le chemin de Macau » que publie Catherine Guillebaud (éditions Arléa).

Voyage vers les demeures anciennes

Qu’est-ce qui déclenche le désir d’écrire – lors même que la pratique de la critique littéraire finit par décourager de ce qui se nomme littérature et qui n’est si souvent que la répétition de recettes et la docilité à l’esprit du temps ? Un événement, banal en lui-même : la sommation d’avoir à quitter un appartement que l’on habitait depuis si longtemps qu’on avait fini par l’imaginer sien.

Les pièces qui ouvraient au rez-de-chaussée d’un immeuble de la rue d’Aviau sur un petit jardin privé que prolonge le grand jardin public ont été remplies, au fil des ans, de meubles, tableaux, bibelots, livres – des livres, tant de livres qu’ils faisaient comme un rempart autour du bureau et s’amoncelaient dans tous les coins et recoins de l’appartement et jusqu’en ses escaliers secrets ! – qui renvoient à un passé qu’ils ne cessent d’évoquer, mais aussi de joies, de peines, d’amours et de deuils qui y ont ajouté comme une patine qui brille doucement.

La perspective d’avoir à déménager, à « vider les lieux » au sens le plus strict de l’expression, entraîne Planes dans un voyage vers les demeures dans lesquelles il a vécu sans y pouvoir justement « demeurer ». Une place de choix est réservée à la propriété de ses grands-parents maternels à Macau – nous la connaissions déjà un peu, sa véranda du moins, par les premières pages de « Reste avec nous car le soir tombe ».

La musique des noms effacés

Qu’on ne s’attende pas à ce que l’on appelle « autofiction » et qui, si souvent, est l’impudique étalage de quelques parties intimes. Planes ne se complaît dans aucune confidence ; il joue, avec une belle maîtrise, des échos qui se répondent d’une strate à l’autre de sa mémoire. Et il sait désamorcer par un humour un peu triste, tout risque d’apitoiement. Il nous donne une belle leçon d’écriture avec une simplicité dépourvue de toute affectation et l’art de mêler les tons, les mots aussi (ah ! ce « bisoucaille » si bordeluche !).

Une belle leçon de construction également : les motifs s’entrecroisent, disparaissent quand ils risqueraient de devenir pesants, reviennent quelques pages plus loin – ce qui n’est pas une insistance mais une allusion réservée au lecteur attentif – par une incise ou une reprise en mineur. Planes sait ouvrir d’un mot une perspective abyssale dans une évocation qui pourrait sembler n’en rester qu’à l’éclat des choses.

Ainsi dans ces lignes consacrées à l’arbre-refuge de son enfance :

« Je n’ai jamais su le nom de mon arbre, bien visible, sur la pelouse centrale, un peu à gauche. Curieux arbre, dont l’essence pouvait être exotique, qui n’aspirait pas à la majesté du cèdre, mais était nanti d’une solide branche basse et horizontale (…) A califourchon, les jambes pendantes, j’y faisais de longs séjours (« il doit être encore sur son arbre »), perdu dans quelles rêveries, dans quels songes ? La singularité de cet arbre tenait à ses fruits : de grosses pommes granuleuses et lustrées. Au fil des mois, elles viraient du vert au rouge. Combien en ai-je tenu entre mes doigts, fasciné par le poids, la perfection sphérique, la structure régulière de leur peau épaisse ? Je ne reverrai jamais la cressonnière, ni le verger un peu perdu dans une forêt de chênes et de pins, ni les noyers, ni derrière les écuries, les lourds figuiers. Mais comme j’aurais aimé caresser une fois encore, prendre dans mes mains, cette énigme de satin grenu ! »

La tonalité du texte est, fort loin de l’auto célébration à laquelle tant d’autres se seraient livrés, une joie têtue, en dépit des souffrances et des fantômes qui le hantent. Sans doute a-t-il fallu passer par ces arrachements, ses dépouillements successifs pour parvenir à continuer chaque jour, d’ouvrir les volets sur le flamboiement des arbres et le chant des oiseaux. Et n’oublier ni les chansons ni les rires fous.

A la question qui est essentielle : pourquoi écrit-on ? Planes répond :

« Peut-être pour redire, pour nommer encore certains noms. Maman Paule, Atherbia, La Bidounette. Pour que les morts ne meurent pas, avec nous, une seconde fois. »

Et la réussite de ce livre est de ce qu’il fait renaître chez le lecteur la musique des noms effacés, croyait-il, qu’il a lui-même aimés.


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