Un potager place de la bourse et sur les quais. Des déchets transformés en pain de compost place Saint Christoly. 300 arbres installés dans le Hangar 14. Agora, qui a commencé ce mercredi, et consacré aux Paysages, met Bordeaux au vert. Aucun végétal n’est toutefois maltraité pendant le montage de la biennale.
Ainsi, les chênes et aulnes du Hangar 14 seront plantés sur la « Brazzaligne ». Construite sur une digue protégeant la rive droite des inondations, l’ancienne chemin de fer va devenir une promenade plantée de 5 espèces différentes, entre les futurs quartiers Brazza et Bastide Niel.
Le projet symbolise bien l’ambition de Bas Smets, dont le bureau éponyme a été sélectionné pour ce projet. Également commissaire de l’exposition « Paysages Augmentés », un des clous de l’exposition ouverte au public jusqu’à dimanche au Hangar 14, le paysagiste plaide pour une ville résiliente, s’appuyant sur les résistances qu’opposent la nature à l’homme :
« On ne peut pas construire plus sans concevoir les métropoles d’une autre façon. Bordeaux est une des villes qui a fait le plus confiance aux paysagistes, et ce qui a été fait sur les deux rives de la Garonne est magnifique. Il faut maintenant passer à une plus grande échelle pour imaginer plus de végétal dans la ville, pas seulement pour faire joli, mais pour garantir notre qualité de vie. »
Car la croissance démographique (10 milliards d’humains en 2050), la destruction de l’environnement et le réchauffement climatique vont en effet imposer de soutenir les services rendus spontanément par la nature – filtration de la pollution, stockage du CO2, climatisation par l’eau et les végétaux… Il faudra rendre à la nature toute sa place en ville, où vit déjà la moitié de l’humanité.
« Bordeaux peut par exemple se servir des jalles, méconnues et en grande partie canalisées, pour créer des continuités végétales », poursuit Bas Smets.
Le long de l’Indus et de la Peugue
Le Peugue est ainsi l’objet d’un des films projetés dans l’installation vidéo subjuguante, réalisés avec Christian Barani dans cinq villes du globe (et diffusés simultanément dans cinq versions différentes sur autant d’écrans). Avant de se jeter dans la Garonne au niveau du pont de pierre, la rivière prend sa source à Pessac, passe au Bourgailh, traverse Mérignac, où se trouve le moulin de Noës, puis se retrouve canalisée sous les artères bordelaises.
Les images sans commentaire de « Bordeaux, une amplification de la nature », comme celles tournées à Hong Kong, Hyderabad, Bruxelles et Singapour, n’apportent pas de réponses clé en main et n’érigent pas de métropole en modèle définitif. Elles se contentent de montrer comment le paysage est domestiqué par l’homme, ses constructions et ses usages, et c’est déjà édifiant.
Parfois douloureux – on frémit notamment à la vue des déchets déversés dans l’Indus, le fleuve d’Hyderabad, dans lequel plongent sans protection des habitants de la ville pour faire de la récup ou tenter de le nettoyer. Parfois harmonieux, à l’image de l’urbanisme articulé autour du paysage à Singapour, l’exemple à suivre pour Bas Smets.
La cité-Etat asiatique est un ensemble d’îles tropicales dont près de 50% de la surface est végétalisée. Car après l’indépendance en 1965, le concept de cité jardin, inventé chez l’ex occupant britannique, a été cultivé par Singapour « pour se construire une nouvelle identité nationale, fondée sur l’écologie et le verdissement », indique Bas Smets.
« Des bassins de retenue d’eau en béton ont été transformés en parcs accessibles, capable de stocker les pluies exceptionnellement fortes. Les réservoirs d’eau douce ont été reboisés et servent simultanément de refuge pour la faune sauvage et de parcs de récréation. »
Une ville trop minérale ?
Bordeaux est elle parfois critiquée pour être trop minérale – elle ne figure pas parmi les 10 villes les plus vertes de France selon un Observatoire dédié à ce sujet. Mais celui-ci souligne aussi qu’avec 49 euros par an an et par habitant, elle est une des villes de France qui consacre le plus de moyens au verdissement des grands projets d’urbanisme. La mairie revendique même le statut de vitrine pour l’aménagement des quartiers pavillonnaires, avec le plan guide de Caudéran conçu par Michel Corajoud et l’agence Grau.
Quant à la métropole bordelaise, elle souligne volontiers que la moitié de sa surface est aussi constituée d’espaces naturels (champs, forêts, parcs, zones humides…) – sillonnés à vélo et filmés de façon très spectaculaires dans deux films de l’a’urba, visibles au Hangar 14.
Plusieurs projets sont en cours pour installer des agriculteurs, notamment des maraichers dans la plaine de Bouliac sur des terres appartenant à Auchan, qui veut alimenter ainsi un circuit court. D’autres paysages vont être aussi restaurés, ou mis en valeur : la Brazzaligne, la zone humide Olives à Parempuyre, ou encore l’île d’Arcins, en cours de rachat à un propriétaire privé pour être bientôt ouverte au public.
Biodiversité positive
En 2012, le programme « 55000 hectares pour la nature » affichait la volonté de concevoir une stratégie pour préserver l’ensemble de ce patrimoine. Qu’en est il aujourd’hui ?
« Une politique globale est en train de se mettre en place suite aux 55000 hectares, notamment via notre stratégie biodiversité, relève Clément Rossignol-Puech, vice-président de Bordeaux Métropole en charge de ces dossiers. On revisite l’ensemble du PLU (plan local d’urbanisme) pour interroger l’ensemble des qualités environnementales des zones, qu’elles soient naturelles ou à urbaniser. L’objectif est de sanctuariser les zones à plus fort enjeu, et d’avoir ailleurs une stratégie « éviter, réduire, compenser ». Et si compensation il doit y avoir, que celle-ci conforte les trames vertes et bleues existantes (corridors écologiques pour la circulation des espèces végétales et animales, NDLR). »
A partir de 2020, la métropole ne veut même que des opérations d’aménagement à « biodiversité positive », c’est à dire contribuant au développement du vivant. Un objectif très ambitieux, qui pourrait se heurter frontalement aux ambitions de croissance économique de Bordeaux.
La question va se poser de façon aiguë dans certains territoires objets de nombreux intérêts (immobiliers, économiques), notamment les forêts de l’ouest de l’agglomération, et les zones humides de la Jallère, autour du nouveau stade.
Ce quartier, sur lequel planche actuellement le cabinet de Nicolas Michelin, a d’ailleurs fait l’objet d’un concours dans le cadre d’Agora (voir ci-dessous). Et les principales conclusions de la plupart des projets en lice sont sans appel : pour être bas carbone et résiliente, l’urbanisation devra se fondre dans le paysage, et non plier ce dernier à ses règles. Ce qui n’est pas encore la vision de tous les élus de la métropole, regrette Clément Rossignol-Puech :
« Il y a encore un gros travail à faire de compréhension et d’intégration des grands paysages métropolitains naturels. On a redécouvert la Garonne, pas encore la longue façade le long de la Dordogne dont on ne parle jamais. Mais on n’a pas encore pris conscience de l’atout que représentent ces grands paysages comme les jalles et la forêt sur la rive gauche, les coteaux sur la rive droite. Il faut que la métropole repense son projet urbain autour de ces atouts, et change son regard. Pour l’instant, c’est balbutiant ».
Agora pourrait semer le doute dans certaines certitudes.
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