« Vous savez qu’on est chez quelqu’un ? » demande la pétillante chanteuse du groupe Why Elephant aux quelques spectateurs venus assister à son concert. Bien sûr, tous le savent. Mais ce détail, entre deux morceaux, mérite d’être signalé tellement l’événement est rare et exceptionnel : un festival rock dans un appartement privé.
Speakeasy
Rendez-vous à 19h30 ce samedi au pied d’un immeuble bordelais cossu dans l’hyper-centre-ville. Rue Vital-Carles plus exactement. Un coup de sonnette et la grande porte cochère s’ouvre sur un hall spacieux où quelques plaques dorées et bien astiquées signalent des bureaux d’avocats au rez-de-chaussée. Trois quatre marches en haut du palier, un ascenseur mène jusqu’à « La Résidence Préfectorale », le nom donné par les colocataires de ce 200 m2 au dernier et 4e étage, en face de la (vraie) résidence du préfet de la Gironde.
Une soixantaine de Bordelais de tous âges sont là, entre la cuisine transformée en bar, la salle à manger et le salon :
« Je ne connais pas tout le monde, assure Manuel, un des quatre colocataires à l’origine de la soirée. Certains sont venus par notre page facebook et d’autres par celles de Terremoto et My Dear Recordings. Mais l’important pour nous est qu’il y ait une vraie ambiance speakeasy. »
Si My Dear Recordings, un label parisien créé en 2016, revendique quelques personnes présentes (surtout ses deux groupes parisiens à l’affiche), c’est la jeune maison d’édition bordelaise Terremoto qui a contribué à drainer du monde « secrètement invité ».
Pour assister à la toute « dernière création » de La Résidence Préfectorale, « après les bals ou les pièces de théâtre en appartement » indique la page facebook, il fallait débourser 5€ en prévente et 7€ sur place. A l’affiche, la Bordelaise Théa et les Parisiens Why elephant et Pamela Hüte, mais aussi la présentation d’Instrumental, l’autobiographie du pianiste James Rhodes fraîchement éditée par Terremoto, avec des CD, des livres et des goodies. Un vrai festival de rock indépendant !
Une expérience
C’est la Bordelaise Théa en solo qui démarre son set à 19h30 pétante. A 22 ans, après trois premiers concerts aux Trois baudets à Paris, Sortie 13 à Pessac et l’Iboat à Bordeaux, elle lance la première édition de Secretly Invites devant une trentaine de personnes. Sa formule guitare à la main, après une collaboration avec Cocoon, fait penser à Feist par les notes chaleureuses, douces et romantiques de sa voix. Si vous l’avez ratée ce samedi, un prochain concert est annoncé à Bordeaux le 7 octobre, en attendant la sortie de son premier album.
Comme pour tous, c’est son premier concert dans un appartement :
« C’est plus stressant que sur une scène parce qu’on a les spectateurs vraiment en face de nous », avouera-t-elle plus tard.
C’est également ce que diront les suivants, à commencer par Why Elephant.
Le temps de laisser le duo parisien s’installer dans l’alcôve, avec comme décor de fond une étagère de livres, une autre de CD et une autre de vinyles, quelques bières pressions coulent dans des éco-verres consignés, comme dans les vrais festivals. Et comme dans les vrais festivals, on trouve des petites bières et des pintes.
Devant la scène, des personnes patientent assises par terre, d’autres fument aux fenêtres à l’arrière qui donnent sur Saint-Christoly. Entre trois multiprises Leroy-Merlin, Melody Linhart et Julien Le Nagard sont prêts. Et dès les premières notes, et les premiers coups de baguette sur le tom et la boite à rythme, Why Elephant fait penser aux Kills. C’est bien fait, très bien fait même. Les accords de la guitare électrique résonnent bien et le son n’a rien à envier aux salles officielles. De bon augure pour présenter leur premier EP, Unknown Man of the Moon.
Comme pour le premier concert, pas de rappel. Tout est calé à la minute près. Julien Le Nagard reconnaît qu’ils sont « plutôt contents de vivre cette expérience ». On enchaîne, il faut que les concerts s’arrêtent à 23h.
Circuit court
Après un solo, un duo, l’alcôve accueille pour son dernier concert une formation complète, celle de Pamela Hüte : deux guitares, basse, batterie.
C’est la tête d’affiche et pour cause, la Parisienne de 35 ans roule déjà sa bosse depuis 2005. Après le Bataclan, l’Olympia, Taratata, et plusieurs passages à Bordeaux (L’Inca, Son’Art, Tatry…), elle pose ici ses amplis avec sa nouvelle formation – où il reste des deux premières le fidèle Ernest Lo à la batterie. Elle est venue présenter son troisième album, Highline, édité par son tout nouveau label qu’elle a créé en 2016 avec Julien Le Nagard, My Dear Recordings, après avoir mis fin à sa collaboration avec Tôt ou Tard du groupe Warner.
« Ça fait dix ans que je ne suis pas venue à Bordeaux », lâche Pamela Hüte l’air ravie d’être de retour. Les guitares sont nickel, pas une rayure, pas un autocollant. Un gros son qui pousse à avoir une pensée pour les voisins, et un rock indé propre qui fait penser à The XX côté guitare, côté ambiance voix il y a du Portishead, du Jeanne Added, et du Texas (mais pour le dernier, il ne faut pas trop lui dire !).
Tout se passe bien même quand ça se passe mal : quelques arrêts pour un ampli basse qui fait des siennes et pas un « remboursé » s’élève dans la salle, ou plutôt le salon. C’est ambiance rock mais « on est chez quelqu’un ». Les spectateurs sont heureux et rien n’interrompt leurs directs facebook.
Au fur et à mesure le son monte. Le plancher en pin des Landes commence à trembler. Quelques personnes se dodelinent mais les pieds restent collés au sol. Un rappel et les musiciens suent pour de vrai. Le concert a un final digne des grandes scènes, les effets stroboscopiques en moins. Le public est ravi. Et vous ?
« Il y a vraiment un plaisir de venir au contact du public, répond Pamela Hüte. Ce festival, c’est une sorte de circuit court ! »
Un festival en circuit court pour qui on souhaite que ça ne tourne pas court.
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