C’est le menu star de l’appli ! Alors dès que j’ai repéré la pastille verte sur le restaurant qui propose deux parts invendues, j’ai sauté dessus. Chouette ! Je me suis dit que, pour une première commande, ça commençait bien. Un plateau de sushi à 5€ au lieu de 15, ça valait le coup, même si la « portion surprise sera composée des invendus du jour et le contenu peut donc varier d’un jour à l’autre » (même phrase pour tous).
Sur Too Good To Go, la liste des « commerçants-partenaires » est longue et sa présentation plutôt bien fichue : l’utilisateur est géolocalisé, la liste présente les commerçants les plus proches en indiquant la distance à parcourir, une pastille verte indique s’il leur reste des invendus – elle est rouge dans le cas contraire, enfin sont affichés l’heure de collecte et le prix, sur lequel la plateforme prélève « minimum un euro » dixit Camille Colbus, contact presse de la branche nationale.
15000 repas « sauvés de la poubelle » en un an
A Bordeaux, les prix vont de 2 à 7€ la portion et représentent entre 50% et 30% du prix initial. Les commerçants sont des restaurants pour la plupart, mais aussi des boulangeries, des pâtisseries, des traiteurs, des maraîchers et des poissonneries, voire des hôtels et des supermarchés. Les heures de collecte sont en fin de service pour les restaurants (logique) et en fin de journée pour les commerces (logique aussi). Donc pour avoir un plat préparé, il faut attendre 14h/14h30 pour un déjeuner et 22h30/23h pour un dîner.
Ce que j’ai mis du temps à comprendre, est qu’un restaurant peut proposer une quantité de portions le matin tôt – voire même à minuit la veille –, pour le midi ou le soir (et autant vous dire que les portions partent vite). Parfois ses propositions sont programmées pour s’afficher à telle heure avant même de faire le constat d’invendus. De ce fait, à quelques minutes de l’heure de collecte d’un repas commandé, vous pouvez recevoir un sms ou un mail comme suit :
« Tout a été vendu !
Bidule [le nom du commerçant] nous signale que l’intégralité de ses produits a été vendue aujourd’hui. Inutile de vous déplacer ce soir, l’objectif est atteint : pas de gaspi’ !
Nous avons annulé votre commande, vous ne serez pas débité du montant de celle-ci.
Nous restons à votre disposition et vous remercions de votre présence à nos côtés dans cette démarche contre le gaspillage alimentaire. »
C’est ce qui est arrivé à mon plateau de sushis une première fois, et une deuxième fois… J’ai fini par lâcher le morceau. Mais que l’on se rassure, « 15000 repas ont été sauvés de la poubelle » depuis l’arrivée de Too Good To Go sur la métropole bordelaise m’annonce Camille Colbus.
Du bon poisson et une bonne visibilité
Je passe sur les sushis et je me repasse la liste des commerçants. Cette fois-ci, je suis sur la terrasse d’un café à Saint-Michel et, géolocalisation aidant, une poissonnerie aux Capucins est en haut de la liste. Sa pastille est verte et l’heure de collecte est raisonnable, entre 13h et 14h30. Je passe commande.
« Pensez à prendre votre propre sac afin de limiter l’utilisation d’emballages jetables », précise la présentation. C’est le cas pratiquement de tous et ce n’est pas pour me déplaire. Si le principe est de réduire les déchets tout en évitant le gaspillage, c’est tout bénéf pour la planète. Alors banco.
A 13h devant la poissonnerie, je croise Léa. Elle aussi est venue pour récupérer sa part. 26 ans, travaille dans le commerce international, Léa avait déjà utilisé l’appli deux fois et dit n’avoir jamais été déçue « même s’il n’y a pas beaucoup de parts mises en vente » :
« C’est surtout pour découvrir des plats. C’est une bonne initiative et c’est intéressant pour moi financièrement : c’est moitié moins cher qu’un restaurant et je mange comme au restaurant. »
Entre les mains de Léa trois paquets en papier thermocollés dans un sac plastique bleu. Je ne vois pas ce qu’ils contiennent et elle ne le sait pas non plus. « Ce sera la surprise ! »
A mon tour de récupérer ma portion. Elle était prête et au frais. Tout pareil, trois paquets en papier thermocollés dans un sac en plastique bleu. Question emballages jetables, on est servi ! « C’est du poisson, il faut un conditionnement hygiénique », m’explique le gérant. Il ajoute :
« J’ai ouvert mon commerce il y a un an, et pour me donner de la visibilité, j’ai décidé de travailler avec Too Good To Go. On fait plaisir aux gens et on parle de nous. Du gaspillage, on en a très peu et je n’ai pas vraiment besoin d’écouler des invendus. J’ai commencé un peu avant l’été, avec 10 parts par jour, mais c’est trop du boulot alors je suis passé à 5. A minuit, de manière automatisée, elles sont sur la plateforme. A minuit vingt, elles sont réservées. J’ai des statistiques, regardez : j’ai déjà vendu 64 portions ce mois-ci, 91 le mois dernier, et 325 parts en tout. Certains, même s’ils n’arrivent pas à avoir des parts nous le disent : “on vous a vu sur Too Good To Go”. C’est pas mal ! Dommage, ce sont toujours les mêmes qui en profitent. Pourquoi pas permettre à certains d’acheter du poisson à un petit prix ? Parce que, attention, c’est du bon poisson frais ! »
Une limande, un filet de sèche et une poignée de moule pour 4€, contre « 11€ au tarif normal ». Du bon poisson frais, sauf qu’il faut le cuisiner… avec une petite pensée pour Léa « comme au restaurant ».
Une bonne image pour l’établissement
Le lendemain, et pour varier les plaisirs, je réserve « une portion surprise » chez un salon de thé du quartier Gambetta qui affiche « une cuisine faite maison avec des plats du jour, des salades gourmandes et des pâtisseries ». Là encore, l’heure de collecte est raisonnable, de 18h30 à 19h. Le prix aussi, 3€50.
« Vous n’avez pas vos contenants ! » Je suis un peu embêté par la question. D’une, hier je les avais pris pour rien, de deux, ce n’était pas précisé sur leur présentation. L’employée regarde autour d’elle et me dit : « on va se débrouiller, il me reste une salade végétarienne et un cupcake. Je reviens dans 5 minutes. » Je demande alors à voir la responsable pendant ce temps : « elle revient dans 5 minutes », aussi.
La responsable arrive en même temps qu’un petit sac en papier avec une barquette et son couvercle plastique estampillés recyclable. Je suis rassuré sur ce point, mais pas sur la taille de la barquette, ni sur la taille du cupcake.
« Vous en avez normalement pour 9,50 € là », cherche à me consoler la patronne – en effet, sur le tableau, la salade est à 8€ et le cupcake (petit format) à 1€50.
« C’est pour la bonne image de l’établissement que je fais ça. J’essaie de mettre une part par jour, mais j’en annule une sur deux. Je n’ai pas beaucoup d’invendus et souvent j’en profite moi ou une de mes employées. Ce sont souvent les mêmes qui achètent nos portions sur la plateforme et c’est rare qu’on les revoit comme clients. »
Même si le cupcake est fait dans les règles de l’art américain et que sa crème au beurre ne manque pas de beurre, la salade elle manque carrément d’assaisonnement. Même assaisonnée, on reste un peu sur sa faim malgré les quelques tomates cerises, lamelles de carotte, de champignon de Paris, de choux blanc et d’avocat.
Gagnant-gagnant
A l’heure de collecte 17h30, très raisonnable pour un dimanche, il y avait déjà deux personnes venues séparément devant la porte de ce traiteur du quartier Saint-Seurin. Irène et Antoine sont étudiants et ont 21 ans chacun. Irène est inscrite à Too Good To Go depuis 24 heures et elle en est déjà à sa troisième portion. Sa première était la même que la mienne, chez le poissonnier des Capucins.
« Il a été très sympa avec moi, il m’a même donné quelques idées pour cuisiner le poisson. » Et pourquoi Too Good To Go ? « Je me suis dit pourquoi pas ? C’est de la bonne qualité et moins chère ! » Et anti-gaspillage ? « Ah oui bien sûr, pour ne pas gaspiller. » Et les contenants ? « Quoi les contenants ? »
En effet, pas besoin de contenants. Une barquette traditionnelle en plastique fournie sur place fera l’affaire. Pas la peine de faire la fine gueule, dans la barquette il y a de quoi. Un vrai repas de dimanche. Deux tranches de rôti de bœuf et ses légumes : des patates, des champignons, du poivron, du chou romanesco et des lardons. Le tout pour 5€ « au lieu au moins du double », avance l’employé de ce commerce qui a rejoint Too Good To Go depuis deux mois.
« Pour nous, être sur cette appli, c’est du gagnant-gagnant. Pour les clients qu’elle nous envoie, il n’y a pas de profil type, la moitié sont des jeunes, l’autre moitié il y a un peu de tout. Elle ne nous emmène pas des clients directs parce que ce n’est pas la même clientèle que nous avons d’habitude de voir. On se positionne haut de gamme, on a des tarifs assez élevés. Ceci dit, c’est vraiment pour ne pas gaspiller. Sinon, on aurait jeté ou réutilisé dans des terrines par exemple. »
Antoine apprécie l’appli et c’est son quatrième achat. Chez ce traiteur, c’est une première et il est satisfait par la quantité.
« C’est surtout moins cher et aussi parce que ça m’oblige à manger varié. Il y a des bonnes surprises et des fois des mauvaises surprises qu’on paie d’horriblement cher pour ce que c’est. Je suis sensible à l’anti-gaspillage et habituellement j’arrive avec mon sac et mon tupperware mais c’est vrai qu’on en n’a pas souvent besoin, c’est dommage. Je pense que certains commerçants font ça pour leur pub, pour inciter les gens à venir chez eux ou pour vendre plus. »
Voilà qui est dit. Antoine revendique cette philosophie pro-environnementale transmise « de famille » et pour le coup, il n’y va pas avec le dos de la cuillère.
Doggy-bag
Enfin, comment passer à côté de cette fameuse adresse bordelaise. Il était minuit quand la pastille verte s’est affichée sur sa photo, une proposition automatique probablement. Reste à espérer que la commande ne s’annule pas le lendemain car, j’avoue, je commence à fatiguer de pister les portions disponibles. Une vraie course qui rend accro !
L’heure de collecte, 23h à 23h30. Il ne faut pas s’endormir. Et je m’étais en effet demandé ce qui se passerait si une réservation payée n’était pas récupérée, sachant qu’une fois sur place, le commerçant confirme la livraison sur votre smartphone. Je n’allais pas tarder à le savoir.
J’arrive place Fernand-Lafargue à 23h25. C’est la fin du service dans ce restaurant asiatique qui tourne souvent à fond et où j’ai déjà goûté quelques plats de sa cuisine qualifiée de « street food ». Je me demandais justement si j’allais en découvrir un nouveau.
« Monsieur ? » me lance le serveur qui empile les chaises de la terrasse. Je lui explique et le suis à l’intérieur où il me présente au reste de l’équipe affairée « c’est Too Good To Go » (lui-même !). « Donne-lui les deux » lui ordonne une jeune femme qui a tout l’air de tenir la boutique en indiquant les deux portions prêtes à emporter. « Bonsoir, c’est vous la responsable ? »
« Nous avons rejoint la plateforme depuis la crise de Take Eat Easy. Beaucoup de plats commandés par les plateformes de livraison n’étaient pas livrés par manque de coursiers et on les avait sur les bras en fin de journée. La clientèle de la plateforme où on fournit 1 à 5 repas par soir est essentiellement jeune. Pour ces jeunes, qui nous connaissent pour la plupart, ils savent qu’on peut fournir des boîte en carton, comme celles pour emporter les restes en doggy-bag. »
Le serveur me tend un sac en papier en me disant que finalement, il n’y a qu’une part, sa collègue à la plonge venait de réclamer l’autre. J’étais assez content pour elle, noyée sous un tas de vaisselles sales, mais un peu déçu par la taille de la portion payée 5€ au lieu de 10. Surtout qu’à ce stade, le plat est considéré comme à emporter, donc avec une TVA presque divisée par deux, sans les frais de service, ni de plonge.
Dans la confusion, personne n’a confirmé la livraison et j’allais justement découvrir que, malgré cela, le paiement est débité !
Débriefing
« Si le consommateur réclame son argent quand il ne retire pas sa portion, et qu’il a une bonne excuse, on le rembourse, affirme Camille Colbus. Sinon, on ne peut pas se permettre de voir des portions réservées pour rien. On veut rendre le consommateur responsable de son achat parce qu’il prive quelqu’un d’autre d’un repas. »
Ça se tient. Et pour la présence à des fins publicitaires des commerçants sur la plateforme ?
« Je m’étonne que des commerçants vous disent ça, ils ne doivent pas être nombreux. Ils viennent chez nous parce qu’ils ont en marre de travailler pour rien et de voir qu’une partie de leur travail est jetée à la poubelle. »
Qu’en est-il de la réduction des déchets que pratiquement tous revendiquent sur leur présentation ?
« Nous reconnaissons hélas que des commerçants fournissent les repas déjà emballés. Mais la lutte pour la réduction des déchets en France est une idée récente. Elle met du temps à avancer, même chez les consommateurs. C’est pour changer les mentalités qu’on l’évoque dans la présentation. Nous faisons régulièrement un travail de sensibilisation auprès des commerçants. »
Dernier détail que je n’ai pas évoqué et qui mérite un intérêt : il est possible de donner 2€ pour des repas à des sans-abris. Comment ça se passe ?
« Nous récoltons des sommes et nous organisons des maraudes. Sur Bordeaux, nous en avons fait peu parce que nous n’avons pas encore d’association partenaire. »
A bon entendeur, salut.
Chargement des commentaires…