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Ces députés passés derrière les grilles de la prison de Gradignan

Surpopulation carcérale, vétusté, travaux à venir : les trois sujets clés à la maison d’arrêt de Gradignan n’ont guère changé depuis des années. Courant novembre, trois députés girondins ont visité le centre pénitentiaire, dont la rénovation tarde à se concrétiser, et où un détenu sur trois attend toujours son procès.

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Ces députés passés derrière les grilles de la prison de Gradignan

« Il y a un taux d’encombrement chronique » au centre pénitentiaire de Gradignan, affirme André Varignon. Le directeur de l’établissement le dit lui-même au député de Gironde Loïc Prud’homme, et avec un certain naturel :

« On est habitué depuis des décennies. »

Avec 707 détenus hébergés dans ces locaux pour 450 places, le calcul est vite fait. Il a fallu improviser durablement des lits. La loi demande qu’il y ait uniquement un prisonnier par cellule. Chimère : dans les chambres de 8,44 m², ils sont deux presque partout – voire même trois quand un matelas est posé au sol (une « triplette » dans le jargon de la maison).

Élu sous la bannière France Insoumise, Loïc Prud’homme a fait valoir son droit de visite ce lundi pour entrer dans les locaux et passer les sas et grilles avec une poignée de journalistes. Sa venue fait suite à celle (sans la presse) de deux députés girondins de la majorité, Florent Boudié et Eric Pouillat (République en Marche).

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Pendant plus de deux heures, le député bordelais passe par le quartier (on devrait dire le couloir) des nouveaux arrivants, le quartier (ou plutôt l’impasse) disciplinaire, l’atelier de production (voir notre encadré) et le bâtiment décrépi accueillant les femmes détenues.

Incendie criminel

Le directeur admet qu’il existe ici, chez les femmes, trois cellules « triplés ». Mais jamais notre petite délégation n’a croisé de matelas au sol ou quelconque trace de surpopulation. Dans le quartier des nouveaux arrivants, l’un des surveillants présente une cellule : deux lits superposés, une fenêtre grillagé par un caillebotis, un interphone, une douche. Un des deux matelas est sale, porte une grosse tâche. Le surveillant avoue qu’il n’a pas eu le temps de changer ni de nettoyer.

Huit cellules composent le quartier disciplinaire. Une seule semble occupée d’après le tableau de service. On y entre pour des trafic ou de la consommation de stupéfiants, pour des violences physiques, pour des refus d’obtempérer, pour des insultes.

La pièce est encore plus spartiate : un lit, une chaise, une table, un toilette (sale), un évier (sale). Tout est scellé. Beaucoup de grillages : devant les toilettes et au niveau des fenêtres, un soupirail est installé en hauteur.

Une cellule est hors-service depuis qu’un incendie s’y est déclaré en juillet dernier. Un détenu, brûlé à plus de 60% et ayant ingéré massivement de la fumée, a failli y passer. L’enquête est en cours mais sur le scellé, il est déjà indiqué : « incendie criminel ».

Dégueulasse

Durant la visite, aucune voix de détenu n’atteint nos oreilles, hormis quelques rires gras ou cris au loin. Chez les hommes, la cour n’est que béton entouré par des murs et surplombée de filets pour éviter les projections venant de l’extérieur. Dans le quartier des femmes, il y a une cour avec de l’herbe et des arbre. Les détenues y rient. L’une d’elles voit notre attroupement et, une fois le directeur passé, commente à voix haute en regardant le mur :

« Vous allez visiter les cellules les plus nickels, pas les plus dégueulasses ! »

C’est le seul moment de la visite où un témoignage vécu vient faire contre-point au discours officiel. Difficile également pour le député de discuter sereinement avec le personnel pénitentiaire, sans doute du fait de notre présence ainsi que de celle du directeur.

Vitre ou vie brisée à Gradignan ? (XR/Rue89 Bordeaux)

Une surveillante apporte toutefois quelques infos quand elle indique que les prévenus peuvent attendre un à quatre ans en cellule avant que leur procès n’ait lieu ! Or la part de ces prévenus, détenus encore non condamnés, donc, représente 29% des pensionnaires de Gradignan. Ce chiffre, qui serait dans la moyenne nationale des établissements pénitentiaires, démontre ainsi que la surpopulation cancérale est plus le fait des lenteurs proverbiales de la justice française que de l’insécurité réelle.

Pour y faire face, 202 autres détenus de Gradignan sont d’ailleurs en placement extérieurs, ces alternatives à la prison, sous contrôle de bracelet électronique.

Mais les capacités de la prison vont tout de même être augmentées, pour atteindre 600 places. André Varignon rappelle ainsi que tous les quartiers de l’actuelle maison d’arrêt sont voués à être détruits, puis reconstruits. La phase d’études de marché est en cours. Les travaux pourraient débuter dans deux ans. Un atelier, une zone de sport, des cellules plus grandes (11m²) accueillant une douche privative sont prévus. Deux bâtiments seront construits : l’un sur une forêt avoisinante, l’autre à la place d’un édifice existant de la prison.

Démolition, construction, confusion

Les bâtiments qui resteront en place n’accueilleront plus le centre pénitentiaire mais le directeur « ne connaît pas les détails » de leur devenir. Il faut dire que les années passent, mais que le projet n’avance guère. En 2015, les travaux étaient promis pour 2016. Aujourd’hui, officiellement, le nouveau centre ouvrira en 2024.

« Et pendant ce temps rien ne sera fait pour l’entretien des locaux existants, rétorque la chargée de communication de l’OIP (observatoire international des prisons) que nous avons pu joindre. On investit juste dans la sécurisation mais pas dans la rénovation de l’existant. »

En 2014, la coordinatrice Sud-Ouest de l’OIP notait sur France Bleu Gironde que le projet de constructions de nouvelles places avaient par exemple stoppé les travaux de réfection de l’électricité.

L’immeuble du quartier des détenues de Gradignan (XR/Rue89 Bordeaux)

En 2024, si le nouveau centre pénitentiaire de Gradignan voit le jour, il aura 600 places, 150 de plus qu’actuellement. Ce serait de fait toujours insuffisant pour éviter la surpopulation carcérale.

Pis, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté, instance nationale indépendante, rappelle que la France est particulièrement mauvaise élève européenne puisqu’au-delà des conditions de vie dans ses prisons, le pays est le seul pays d’Europe « où le nombre de détenus continue à augmenter. »

Constat partagé

Le 6 novembre dernier, près de 40 députés issus de la commission des lois de l’Assemblée Nationale tous bords confondus se rendaient dans les prisons de France. Les députés girondins de la République En Marche, Florent Boudié et Eric Pouillat se chargeaient de Gradignan.

Le premier, qui admet n’avoir pas « pris la peine ni la curiosité » de s’y rendre lors de son précédent mandat (alors PS), parle d’une « prise de conscience physique » de la vétusté et de la surpopulation. Lors de la tenue de sa commission, il critique les gouvernements précédents pour leur « inconséquence » et loue le travail politique en cours :

« Nous démarrons le quinquennat avec une ambition de 15000 nouvelles places. Notre rôle sera de peser lourd. Aussi, écoutons les professionnels des centres pénitentiaires. La lutte contre la récidive implique des alternatives à l’incarcération. Ce n’est pas une question idéologique. Nous devons aussi être vigilant d’échapper à une sorte de démagogie où le sécuritaire l’emporte le plus souvent aux dépens de l’efficacité de la lutte contre la récidive (…). »

Plus de places et plus de peines alternatives sont les deux leitmotiv du discours du président de la République et de la ministre de la Justice. Loïc Prud’homme nuance :

« La réforme de la loi qui arrive voudrait baisser les seuils d’accès aux peines aménagées et alimenter ce cercle infernal de la surpopulation carcérale. Ce n’est pas en construisant des prisons et des prisons qu’on va régler le problème de la récidive. »

Course au tout-carcéral

En audition devant les députés de la commissions des lois, la Contrôleure des lieux de privation de liberté estime que construire à nouveau des prisons est une « fausse bonne idée » :

« Car on ne peut pas se résoudre au fait que les prisons restent dans cet état là. Mais la course au tout carcéral est une fausse bonne idée parce que dès lors qu’on construira des places de prisons, elles seront remplies. En 25 ans, on a doublé le nombre de places de prisons. Il y en avait 30 000 places, il y a en a 60 000 aujourd’hui pour 70 000 détenus. Et ce, alors même que la délinquance grave n’a pas augmenté. (…) Il faut intégrer la loi de 2009 : l’incarcération doit être le dernier recours. »

Elle aussi vante les peines aménagées : contrôle judiciaire, sursis-mise à l’épreuve, travaux d’intérêt général, libération conditionnelle. Le délégué SNP-Force Ouvrière de Gradignan, Hubert Grataud, va aussi dans ce sens.

Tout le monde d’accord  ? L’analyse de 27 associations et syndicats met à mal ces discours en les confrontant au projet de loi de finances votés fin octobre par les députés LREM. Les vivres pour des solutions alternatives ont été coupées. Exemple :

« Les fonds dévolus au placement extérieur, mesure reconnue pour être la plus adaptée aux personnes condamnées isolées et fragilisées, car elle permet un hébergement social et un suivi global et individualisé par les services pénitentiaires et le secteur associatif, diminuent de 26,3 % par rapport à 2017. Une baisse qui fragilise encore un peu plus les associations chargées de porter cette mesure – déjà sous financée – et empêchera indéniablement son déploiement. »

Sur les murs de la bibliothèque de la prison, quelques citations imprimés en gros sur des feuilles A4 ont été scotchées. Elles sont signées Confucius, Daniel Pennac, Pierre Dac ou Lénine :

« Là où il y a une volonté, il y a un chemin », déclarait le dirigeant bolchévik.

Tout un programme pour les détenus comme pour les politiques.


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