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Harold Bernat critique « l’avènement Macron » et « la simulation politique »

Harold Bernat est professeur de philosophie à Bordeaux. Son dernier livre, Le Néant et le politique, étrille une classe politique qui a anéanti le savoir pour mieux neutraliser toute velléité de contestation.

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Harold Bernat critique « l’avènement Macron » et « la simulation politique »

(DR)

Dans l’avalanche d’essais consacrés à Macron – et certains poids lourds n’ont pas hésité à pondre leur petite lecture personnelle de l’irrésistible ascension de notre président, tels Jean- Noël Jeanneney (Le moment Macron) ou Régis Debray (Le Nouveau pouvoir), pour ne parler que des derniers arrivés sur les tables des libraires – le livre d’Harold Bernat va faire tache. Le titre déjà décoiffe : Le Néant et le politique, avec en sous-titre, Critique de l’avènement Macron (Editions l’Echappée).

« Critique »

Il ne s’agit pas de ressasser les mêmes éternelles anecdotes qui ont fait vendre la presse people et les magazines et jusqu’au livre de Philippe Besson, Un personnage de roman (Julliard) qui n’en est que la mièvre resucée, mais de construire une critique philosophique de ce moment de l’histoire de nos sociétés dites démocratiques qui a vu Macron accéder à la Présidence.

« Critique » est un mot clé pour Bernat, professeur de philosophie à Bordeaux, qui avait écrit, en 2012, Vieux réac ! Faut-il s’adapter à tout ? charge bienvenue sur l’obsession de nouveauté à laquelle cèdent nos contemporains et, en 2006, Le poujadisme hédoniste de Michel Onfray, saine diatribe contre le vide réel du « philosophe des médias » ; Bernat tient un blog intitulé « Critique de la critique » dont je conseille la lecture à ceux qui n’ont pas encore cédé au sommeil. « Critique », concept et méthode philosophique qui ont leurs lettres de noblesse et représentent l’arme essentielle de l’activité rationnelle, faut-il le rappeler ?

La disparition du savoir

Nous sommes entrés dans l’ère de la fin du politique. « Ce qui a disparu du champ politique, faisant s’effacer le champ politique lui-même, c’est le savoir. Non pas celui des soi-disant experts techniciens, ils sont légion, mais celui de la conscience critique. » Qui en est responsable ? les médias, bien sûr, et leur entreprise de décérébration ; l’oligarchie toute-puissante qui est aux commandes ; les intellectuels qui, pour l’essentiel, ont abandonné leur mission de veilleurs et d’éveilleurs, contre un strapontin dans les émissions de « divertissement » – on n’ose se montrer cuistre et appeler Pascal à la rescousse !

En désignant ainsi des responsables, on croit pouvoir en faire des adversaires que nous pourrions combattre ; on rend mal compte de ce qu’ils ont produit : une vraie « bouillie », dit Bernat, une mixture insipide dans laquelle nous pataugeons, tout est mêlé : consensus mou à la place du conflit, mort des idéologies autres que celle même qui domine et qui a pour elle l’évidence des propos vides de sens, rejet comme dépassés des symboles autour desquels se structuraient nos sociétés et en particulier de l’opposition entre la gauche et la droite – « en même temps », illustration même de cette bouillie. « Bouillie » est le concept de l’absence de concept, répété ad nauseam.

Ce rien qui advient, il est vain de croire que ce n’est qu’un épisode qui pourra être dépassé. Il a été préparé de longue date par la nécessité pour les puissants de neutraliser toute velléité de contestation. Il y eut bien des penseurs pour tirer la sonnette d’alarme (Bernat se réfère souvent à Jean Baudrillard), mais ils ont échoué.

« Un monde unilatéral »

Les mots ont perdu leur sens, ceux-là même dont la charge critique était grande ont été récupérés par les bavards officiels, les officines de communication, les stratèges publicitaires – ainsi celui de Révolution. Ah ! ces publicités où l’on voyait Marx vantait les performances d’une quelconque institution bancaire…

Nous sommes entrés dans une période de régression qui n’a pas d’égale dans le passé, Bernat parle d’un état infra-politique qui est celui du règne du simulacre et de la simulation.

« Représenter des idées politiques, un parti, s’inscrire dans une histoire, une filiation idéologique, autant de risques que notre temps ne veut plus courir. » (p. 99).

Nous vivons désormais dans « un monde unilatéral dans lequel les gagnants retirent aux perdants les mots de leur propre révolte. » (p. 104)

Bon, alors, qu’est-ce qu’on fait ? Y a-t-il d’ailleurs encore quelque chose à faire ? La critique du « Marais », de ce ventre mou que serait le centre et qui sort finalement toujours victorieux des combats politiques est une vieille histoire. Même si Bernat parle à la suite d’Alain Deneault de cet extrême-centre qui finit par occuper l’ensemble du champ « politique », on ne sort pas de cette prise de conscience que les dés du jeu dit « démocratique » sont pipés. Le pire est le soupçon angoissant que le travail de critique que l’on a entrepris soit lui-même avalé, digéré par la terrible machine à fabriquer de l’insignifiance insipide.

Un espoir de résistance

Mais Bernat lui donnera du fil à retordre. Il a la dent dure, et là est bien l’espoir de résistance qui lui reste ; un style qui peut faire mal – quand il dénonce le recours par Macron et ses conseillers à une banque d’images pour gommer l’image du banquier qu’il a été :

« Le clip du candidat Macron, réalisé par cette agence messianique [au doux nom de Jésus et Gabriel…] a pour fond sonore une fraîche musique de galerie marchande, alors que le spot de campagne nous présente un imagier de la France en marche. Y sont montrés des retraités en pèlerinage, un couloir d’école primaire ou encore trois buveurs de pintes de Coca-Cola. Sans pouvoir en reconnaître aucun précisément, nous connaissons déjà ces clichés. Ces visages qui nous sourient sur l’écran de l’indifférenciation, heureux de soulever des palettes dans un centre de tri mondialisé ou de remplir des tubes à essai, nous les avons déjà vus mille fois dans des publicités de constructeurs automobiles, de crédits en ligne ou de téléphonie mobile. » (p. 51)

Ou encore quand il se moque de l’image du Président-philosophe et de sa prétendue filiation avec Ricœur.

« Quand le travail de représentation et d’élaboration symbolique est rendu impossible par le néant aplatissant de la simulation politique intégrale, il est nécessaire, patiemment, de retrouver le chemin de l’écriture et de la création de sens. » (p. 148)

Je ne suis pas sûr que cela suffise. En tout cas, cet appel à retrouver l’usage critique de la raison est un préalable absolument nécessaire.


#Emmanuel Macron

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