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La viticulture avide de biopesticides

Halte aux « pesticides CMR » : la viticulture veut des « biopesticides ». Face à la pression des riverains et consommateurs, les viticulteurs et les labos sont à la recherche de produits « naturels » et tout aussi efficaces pour traiter la vigne contre ses maladies. Problème : malgré l’espoir placé dans les micro algues d’ImmunRise, par exemple, il n’en existe pas à l’heure actuelle.

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La viticulture avide de biopesticides

Cet article vous est offert par Revue Far Ouest.

C’est une sorte de bouillie couleur vert pesto, en plus liquide. Quand on la renifle, voilà les souvenirs de l’été sur la plage qui remontent. Vous savez, ce moment où vous allez vous baigner et enjambez la laisse de mer, algues et autres débris ramenés par la marée. Il s’agit d’un produit pesticide mis au point à base d’extraits d’une micro algue.

« Une agréable odeur ou une mauvaise odeur ? C’est selon. En tous cas mes voisins l’ont sentie quand j’ai traité. Mais ils n’ont pas eu peur », raconte Christophe Brandy.

Gérant d’une propriété viticole familiale dans le Cognac, ce vigneron a pu testé la nouveauté durant sa campagne 2017 « ImmunRise biocontrôle », un « bio-pesticide », développé depuis deux ans par la société du même nom basée à Pessac.

« Biopesticide », ou « pesticide de biocontrole », c’est le nom donné à « des agents et produits utilisant des mécanismes naturels dans le cadre de la lutte intégrée contre les ennemis des cultures » d’après le ministère de l’agriculture. Pour ImmunRise, la molécule active provient d’une micro-algue, baptisée « extrait D », qui permettrait de protéger la vigne contre le mildiou (la maladie la plus fréquente dans le bordelais). Son avantage : « La molécule active et ses adjuvants sont biodégradés au bout de trois jours » affirme Laurent de Crasto, co-fondateur de la société.

« Y’a pas à tortiller, ça marche »

Alors que les pesticides issus de la chimie de synthèse sont critiqués de toutes parts, les biopesticides sont attendus par beaucoup de viticulteurs. Car des pesticides « naturels », ça semble tout de suite bien plus sympa que la « chimie ».

Pourtant, il est difficile de faire des généralités. « La morphine et la cocaïne, c’est naturel » signale Cédric Bertrand, professeur à l’université de Perpignan et président de l’Académie du biocontrôle et de la protection biologique intégrée. « De l’extrait d’ail, on sait que ça ne va pas être dangereux, car c’est un produit alimentaire. Mais pour une plante exotique jamais rencontrée, il faut faire attention. » Les produits de biocontrôle sont donc soumis aux mêmes obligations (analyses d’écotoxicologie) que les autres.

ImmunRise n’en est pas encore là. Début octobre, Laurent de Crasto présentait les résultats de tests en plein champ effectués cette année afin de se rendre compte de l’utilité du produit. Bilan : encourageant. Les trois viticulteurs-testeurs ont relevé une réelle efficacité préventive contre le mildiou. Selon eux, « ImmunRise biocontrôle » marche aussi bien que les produits chimiques conventionnels (qu’ils utilisent par ailleurs). Ces tests en plein champ ont également permis d’observer un effet stimulant sur la croissance de la vigne, entrainant une nette augmentation du degré d’alcool : + 1,2° par rapport au raisin traité en conventionnel !

« Y’a pas à tortiller, ça marche », soutient Christophe Brandy. « Et ça tient mieux que le cuivre » poursuit-il. Il a plu jusqu’à 78 mm d’eau entre deux applications du produit (espacées de 10 jours), mais les feuilles n’ont pas été contaminées par le mildiou. « Un bio traitant au cuivre aurait dû faire 4 fois plus de passage que moi. »

Le viticulteur charentais ressort donc très enthousiasmé par ces résultats. « Moi je n’aime pas traiter. Alors il y a longtemps que je teste plein de produits alternatifs. Mais jusqu’ici rien ne marchait, » avoue-t-il. De grands châteaux se montrent intéressés, comme de plus petits.

Dominique Techer, installé en bio à Pomerol, suit ces questions de près : « Aujourd’hui, je mets du cuivre sur mes vignes, à des doses les plus faibles possibles. Mais c’est un pis-aller » reconnaît-il. Homologué comme un pesticide de biocontrôle, utilisé en bio comme en conventionnel, le cuivre a un gros inconvénient : il s’accumule dans le sol (sans jamais se dégrader), le rendant infertile.

Même Syngenta fait du biocontrôle

Aujourd’hui, le biocontrôle a le vent en poupe. « Le marché est en croissance de 15 à 20 % par an. Et la réglementation incite à utiliser ces produits » atteste Cédric Bertrand. Il semblerait même que les grandes firmes phytosanitaires (Syngenta, Monsanto, Bayer, BASF, Dow) s’y mettent. Elles sont membres de l’association internationale de producteurs de biocontrôle (IBMA).

Pour protéger la vigne du mildiou, Syngenta commercialise par exemple des biopesticides à base de « COS-OGA » : il s’agit de molécules issues de la carapace de crustacés et de pectine de fruit, qui, selon l’industriel, miment une attaque de mildiou. Ce qui amène la plante, qui croit être attaquée, à renforcer ses défenses en amont de la véritable attaque.

« Le COS-OGA fonctionne, mais pas suffisamment. Donc il faut le mélanger avec des fongicides de synthèse conventionnel, et tout ça finit par coûter cher », témoigne Christophe Brandy.

Lui a bien une autre solution : un produit distribué par l’entreprise bretonne Gaiago, à base d’algues également. Or il ne dispose pas d’autorisation de mise sur le marché en tant que pesticide. Il est donc classé comme un « engrais foliaire ».

« J’obtiens les mêmes résultats avec ce produit qu’avec ImmunRise. Mais ils n’ont pas le droit d’en faire la publicité en tant que pesticide, alors ça reste confidentiel. »

Des biopesticides impuissants face au mildiou

À l’Inra, l’unité de recherche Save (Santé et agroécologie du vignoble) travaille sur ces questions. Denis Thiéry, son président, rappelle qu’il n’y a pas que le mildiou qui inquiète les viticulteurs. Leurs vignes sont confrontées à bien d’autres maladies et ravageurs, face auxquels certains biopesticides ont montré leur efficacité. La bactérie « bacillus thuringiensis », commercialisée depuis les années 1950, est l’insecticide le plus utilisé en bio. Contre le vers de la grappe, ce sont des petites guêpes qui sont utilisées pour aller parasiter les larves.

Autre exemple décrit par Denis Thiéry :

« La méthode de biocontrôle la plus utilisée aujourd’hui dans le vignoble français, c’est la confusion sexuelle. Des phéromones, odeurs de femelles, désorientent les insectes mâles, qui meurent sans s’être accouplés ».

Mais pour le mildiou, toujours pas de solution miracle.

« Il y a beaucoup de recherches faites pour trouver des alternatives au cuivre. Notamment avec des extraits de plantes, de vigne (notamment de pépins), ou d’algues, poursuit Denis Thiéry. Récemment nous avons mené un gros projet de recherche au niveau européen, intitulé « Copper free » (sans cuivre) : très peu de choses ont marché. Seules quelques-unes ont été retenues et sont actuellement en phase d’expérimentation. Souvent on a de bons résultats en labo. Mais en grandes surfaces, personne n’est arrivé à contrôler le mildiou », assure-t-il.

« À court terme, il n’y a pas d’alternative très crédible » selon lui. « Mais il peut sortir quelque chose de très acceptable dans les années à venir. Beaucoup de petites start-up travaillent là-dessus, avancent de manière confidentielle. » La société ImmunRise, elle, a préféré communiquer sur ses recherches. Pourtant, un long chemin l’attend encore avant que son pesticide à base d’algue se retrouve à disposition des viticulteurs.

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