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Nucléaire : des citoyens portent plainte à Bordeaux contre l’État

Retour sur une action surprise intervenue ce samedi matin à Bordeaux : les policiers du commissariat de Mériadeck ont du enregistrer trente plaintes de citoyens contre l’Etat et EDF. Cette action nationale faisait suite aux révélations d’un rapport commandé par Greenpeace, alarmant sur la sécurité des réacteurs nucléaires et des piscines d’entreposage du combustible usé.

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Nucléaire : des citoyens portent plainte à Bordeaux contre l’État

Les piscines d’entreposage de combustibles usés des centrales nucléaires françaises ne seraient pas assez sécurisées. C’est le constat du rapport commandé par Greenpeace à des experts indépendants et internationaux en 2015, et résumé ici. Remis au gouvernement et à l’Autorité de Sécurité Nucléaire en octobre 2017, ce rapport vise à donner quelques recommandations d’action à EDF dans le cadre des visites décennales de sécurité qui interviendront dans les prochaines années pour les 58 réacteurs nucléaires de l’Hexagone.

C’est dans ce contexte que samedi 2 décembre 2017, près de 200 citoyens se sont emparés du sujet et ont déposé une plainte dans les commissariats de cinq villes françaises : Bordeaux, Thionville, Lyon, Colmar et Dunkerque. Tous ont porté plainte pour « délit de risque causé à autrui », contre EDF, l’exploitant des centrales et contre l’État. Plus précisément contre le Ministre de la Transition écologique et Solidaire et contre le Premier Ministre.

« Un risque nucléaire à moins de 20 km de chez moi »

Sur les marches du commissariat de Bordeaux, ils sont une trentaine à attendre pour déposer plainte contre l’État après avoir été avertis sur les réseaux sociaux par d’autres citoyens et plusieurs associations anti-nucléaire, telles que Greenpeace, le réseau Sortir du Nucléaire ou encore Tchernoblaye et même des jeunes écologistes.

Certains sont venus de Toulouse, d’autres de Tours et des Parisiens ont même profité d’un week-end à Bordeaux pour venir déposer leurs plaintes dans la capitale girondine. L’occasion de partager leur engagement avec les personnes présentes pour des démarches au commissariat de Bordeaux. « L’enjeu est d’être visible. Nous avons toute la matinée pour ça », précise James Cleaver, le responsable communication de Greenpeace du groupe local de Bordeaux venu en son nom propre.

Alain, 63 ans, était étudiant quand la centrale du Blayais s’est installée à Braud-et-Saint-Louis.

« Il faut mettre l’État face à ses responsabilités, affirme cet habitant de Parempuyre. Cette action citoyenne permet de montrer qu’il n’y a pas que des grandes organisations qui se sentent concernées par ce sujet. Même si ce que l’on souhaite c’est l’arrêt du nucléaire, si déjà les centrales sont sécurisées, c’est un début. »

Alain, 63 ans, anti-nucléaire et habitant de Parempuyre, veut « mettre l’État devant ses responsabilités » (MTN/Rue89 Bordeaux)

Le commissariat de Bordeaux est à 71 kilomètres de la centrale nucléaire du Blayais, 46 kilomètres à vol d’oiseau. Magalie habite à une vingtaine de kilomètre et est aux premières loges en cas d’incident nucléaire. Cette militante trentenaire est tellement convaincue de la dangerosité de la centrale qu’elle a même changé de fournisseur d’électricité pour un autre qui ne distribue que de l’énergie renouvelable.

« J’habite Saint-André-de-Cubzac et j’en ai marre d’avoir ce risque nucléaire à moins de 20 km de chez moi. J’ai subi la tempête de 1999 et l’inondation de la centrale du Blayais. J’étais chez moi, mais je n’avais ni la télévision, ni la radio pour m’informer. C’est plus tard que j’en ai entendu parler. Ma ville, ma famille auraient pu être rayées de la carte à cause de ce qui s’est passé. Nous ne sommes pas assez prévenus des risques que nous encourrons. Nous ne savons même pas exactement comment réagir en cas de catastrophe nucléaire. »

Retraitée, habitant à 25 kilomètres de la centrale de Braud-et-Saint-Louis, Martine est anti-nucléaire depuis son adolescence :

« Pour que cela change, la force ne peut venir que du bas, souligne Martine. On doit être protégé et c’est à l’État de le faire. C’est par ce type d’action qu’on risque enfin d’y arriver. »

Martine, retraitée habitant à 25 km de la centrale du Blayais : « On doit être protégé et c’est à l’État de le faire » (MTN/Rue89Bordeaux)

Un rapport alarmiste ?

Forcément le rapport de Greenpeace d’octobre dernier n’a en rien rassuré les militants :

« En 1999, c’était le réacteur, cette fois, on sait qu’il y a des risques avec la sécurité des piscines, souligne James. Des associations ont alerté les autorités et aujourd’hui il faut que l’état réagisse. J’espère que le procureur ouvrira une information judiciaire. »

Tout comme 63 piscines des 58 centrales nucléaires françaises en activité, celle de Braud-et-Saint-Louis est également mal protégée selon Greenpeace (58 réacteurs soit 58 piscines + 4 dans la centrale de la Hague + 1 dans celle de Creys-Malville).

Ces piscines d’entreposage du combustible usé assurent à la fois une fonction de protection radiologique contre la réactivité dégagée par le combustible usé, et de refroidissement de ce combustible, qui présente une charge thermique importante, bien que décroissante avec le temps. Des experts considèrent qu’elles constituent des cibles idéales d’actes de malveillance, comme le révèle ce documentaire d’Arte.

« Dans le contexte actuel, je suis très inquiet, estime Jean-François, un bordelais, non militant. On connaît la force de frappe et la détermination des terroristes. Une centrale nucléaire, c’est comme une bombe à retardement. Quand on voit ce qui s’est passé sur Tchernobyl, Fukushima, le vol des drones au-dessus d’une centrale nucléaire et que plusieurs activistes ont prouvé qu’on peut entrer dans une centrale, j’ai l’impression qu’ils jouent à une sorte de loterie, qu’ils jouent avec la vie d’autrui. »

Jean-François, un bordelais non militant, s’inquiète de « la détermination des terroristes » (MTN/Rue89 Bordeaux)

Pour se prémunir, le rapport préconise un niveau de sécurité au moins égal à celui des réacteurs de type EPR. C’est-à-dire au moins 1,50 m de béton d’épaisseur pour le confinement des piscines et au moins un toit dans une autre matière que du métal. Cela coûterait entre 1,6 et 2,4 milliards d’euros par piscine.

Ces préconisations sont faites dans le cadre des visites décennales de conformité de l’ASN. A la Centrale du Blayais, âgée de 36 ans (mise en service entre 1981 et 1983), la dernière visite décennale a eu lieu en 2015 pour les unités de production 3 et 4.

Le scénario redouté par les experts du rapport commandé par Greenpeace est celui d’une catastrophe comme Fukushima en 2011 :

« Une perte durable de refroidissement, en lien avec une brèche dans les confinements d’une piscine du combustible usé, entraînant une déperdition plus rapide que le rythme auquel celle-ci peut être renouvelée, conduisant à un découvrement partiel ou total du combustible. Ce qui aurait pour conséquence son échauffement jusqu’à sa fusion et au relâchement d’une fraction significative de sa radioactivité. Une catastrophe qui fait penser à celle du Fukushima en 2011 : des retombées radioactives significativement supérieures à la radioactivité naturelle projetée jusqu’à 250 km de la centrale et en grande partie dégagée par les piscines. »

Le rapport insiste :

« Compte tenu de l’absence de plan d’urgence et de protection des populations à cette échelle et de la désorganisation des secours que l’attaque externe risqueraient d’engendrer, les conséquences radiologiques d’une telle situation seraient potentiellement sans précédent. »

Le périmètre de sécurité bientôt élargi autour du Blayais ?

C’est en tout cas ce qui ressort du Plan particulier d’intervention (PPI) de la centrale nucléaire du Blayais, présenté par la Commission Locale d’Information Nucléaire (la Clin), et confirmé par la préfecture de la Gironde en juin 2017. De 10 km, l’extension passerait à 20 km, soit de 23 à 80 communes, et de 26 000 à 90 000 habitants. Un changement qui va peser sur les épaules de la Clin de la Gironde.

« La population concernée, la diversité des interlocuteurs, l’éloignement de certains territoires n’ont plus rien à voir avec le champ d’intervention du PPI actuel, estimait Alain Renard, président de la Clin et conseiller départemental de la Gironde en juin 2016. »

Malgré tout, la transparence espérée par la loi du 13 juin 2006 n’est pas à l’ordre du jour, ce qui complique d’autant plus la mise en place de ce nouveau périmètre. En novembre 2017, le président en remet une couche dans son édito rappelant les demandes de 33 présidents de CLI dans une lettre ouverte au Ministre de la Transition Écologique et de l’Énergie, Nicolas Hulot.

« La loi du 13 juin 2006 relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire a fixé le cadre de l’autonomie financière et institutionnalisée en matière nucléaire : elle confirme le rôle des CLI et prévoit qu’elles soient dotées d’un budget indépendant, calculé à partir d’un pourcentage du chiffre d’affaires réalisé par l’établissement nucléaire de leur département. Nous entrons prochainement dans une nouvelle année et, entre 2006 et bientôt 2018, cette mesure n’a pas été mise en œuvre. [Nous demandons] que les CLI aient les moyens de fonctionner sans le soutien d’une collectivité et en toute indépendance vis-à-vis d’EDF ou de l’ASN. »

Une demande a été faite au Préfet de la Gironde pour savoir quand débutera le travail de révision du PPI à 20 km.

Mais le combat des citoyens et des associations anti-nucléaire qui se sont mobilisés samedi est toujours la fermeture des centrales nucléaires française.

« Le risque nucléaire me fait franchement peur, souffle Alain. On s’enfonce dans le vieillissement des centrales. On s’aperçoit qu’EDF est au bord de la faillite et on peut se demander comment ils vont réussir à entretenir ces centrales. Sans parler des problèmes écologiques et économiques liés aux démantèlements. »

Une table ronde sur le nucléaire civil en Gironde est organisée par la Revue Far Ouest ce jeudi 7 décembre 2017 à la Librairie L’autre Passeur à Darwin en présence de Patrick Maupin de Greenpeace Bordeaux.


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