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Mathieu Riboulet, témoin des années 70, d’espoir, de lutte et de sexe

Au lendemain d’un mai 68 qui a ouvert les champs des possibles, des luttes s’engagent et certaines deviennent armées. Jeune témoin de ces temps, Mathieu Riboulet s’ouvre à la politique, mais aussi au désir et au sexe, et l’écrit dans « Entre les deux il n’y a rien ». Cinquième et dernier coup de cœur de notre série « Pages à plages ».

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Mathieu Riboulet, témoin des années 70, d’espoir, de lutte et de sexe

Page 48 :

« Sa langue dans ma bouche, fraîche et tendue, curieuse, exploratrice, ses dents sur mes lèvres, puis dans l’instant suivant, et sans rupture de ton, debout, parfaitement nus, Martin à mes genoux me prenant dans sa bouche, sens aux aguets, esprit curieux, Et si je mets ma main là c’est bien aussi ? »

Page 77 :

« Je vais vous dire, moi, ce qui est contre nature, après quoi je vous laisserai aller vous faire foutre : c’est la mort des hommes abattus dans la rue comme des chiens dans des pays en paix. »

De la sensualité et de la rage, entre les deux, il y a Mathieu Riboulet. Son ouvrage paru aux éditions Verdier en 2015, « Entre les deux il n’y a rien » est l’avant dernier que l’auteur a signé avant de succomber à un cancer le 5 février 2018 à Bordeaux.

Ce livre n’est certes pas un livre facile – que l’on emporte l’esprit léger en vacances, que l’on dévore d’un trait emporté par une intrigue policière ou une romance amoureuse –, il figure cependant parmi nos coups de cœur pour rendre définitivement hommage à un auteur unique dans le paysage littéraire français.

Violence et conscience

En juin 2017, La Machine à Lire et La Librairie Générale organisent une rencontre littéraire exceptionnelle sur le bassin d’Arcachon. Sur un convoi de plusieurs pinasses, les éditions Verdier sont invitées à présenter des ouvrages en présence de leurs auteurs. Mathieu Riboulet est là. En pleine bataille contre la maladie, il livre avec force un extrait du livre dont le sujet est marqué par la lutte.

 

(DR)

« Entre les deux il n’y a rien » est un récit majeur dans l’œuvre de l’auteur, qui dit être parvenu à une écriture aboutie en phase avec sa pensée. Ce n’est pas chose aisée quand il s’agit d’une réflexion sur l’usage de la violence en politique et, avec la même verve et le même engagement, de défendre une conscience homosexuelle à la sortie de l’adolescence.

Né en 1960, Mathieu Riboulet avait 16 ans : « En 1976 nous refusons que notre avenir de pédés ce soit la geôle de Reading ou la plage d’Ostie… » Une référence à Oscar Wilde condamné à deux ans de prison en raison de son homosexualité, et une autre à l’assassinat de Pier Paolo Pasolini dont l’homosexualité affichée et le discours anticonformiste dérangeait l’Italie de l’après guerre.

Comme des chiens

Le désir, le corps, et l’amour portent le récit au cœur des mouvements de contestation des années 1970, dans une Europe révoltée dans le sillage des événements de mai 1968, « la chienlit que la droite a prise sur la gueule sans l’avoir vue venir ». Mathieu Riboulet veut ainsi réhabiliter l’esprit révolutionnaire, en France, mais aussi en Italie et en Allemagne, prenant le risque de déplaire avec des luttes parfois sanglantes et souvent décriées.

« Nous cherchons à penser comme des hommes mais il arrive encore qu’on nous abatte comme des chiens parce que parmi les hommes il s’en trouve toujours qui se sentent supérieurs aux chiens », écrit-il.

De l’assassinat de Pierre Overney, ouvrier maoïste tué par un vigile de Renault en 1972, à celui d’Aldo Moro, homme d’état italien enlevé et tué par les Brigades rouges en 1978, Mathieu Riboulet dresse une liste des « abattus comme des chiens » : Walter Alesia 20 ans, Thomas Weisbecker 28 ans, Georg von Rauch 24 ans, Philippe Mathérion 26 ans, Gilles Tautin 17 ans, Pierre Beylot 24 ans, Francesco Lo Russo 25 ans, Petra Schelm 20 ans… Benno Ohnesorg 27 ans, étudiant pacifiste de Hanovre tué par un officier de police de la République fédérale d’Allemagne, jalonne le récit, en italique, des insertions cinématographiques, influences des premières études de l’auteur.

Le lecteur, jeune de surcroît, aura du mal certes à se retrouver dans ces événements que l’Histoire évoque discrètement. Mais la force de l’écriture l’emporte ; une écriture anarchique où la chronologie n’est pas de mise. Maniant une libre ponctuation, l’auteur compile les flashbacks des attentats de Munich, la bande à Bader, la chute du mur de Berlin, la Bulgarie et la Roumanie post Ceausescu et Jivkov. Sans oublier l’arrivée de la « maladie des 4H : Haïtiens, homosexuels, hémophiles, héroïnomanes » ; le sida.

Avoir la paix

Originaire de la Creuse, Mathieu Riboulet a vécu à Paris avant de s’installer à Bordeaux. Repéré à ses débuts par Maurice Nadeau, critique littéraire et éditeur, il est l’auteur d’une quinzaine d’ouvrages, essentiellement édités chez Verdier, qui lui confèrent un statut d’auteur militant et sulfureux.

Inclassable, et faisant fi des tendances, il éclabousse ses écrits de ses propres tourments mêlés aux injustices de la société, à la charnière de l’autobiographie, du documentaire et de la fiction.

Parmi ses ouvrages, le roman « L’Amant des morts » (Verdier 2008), sur la douloureuse reconstruction d’un jeune homme après les assauts incestueux de son père, reçoit un prix de la Société des gens de lettres et le prix de l’Estuaire. « Prendre dates » (Verdier 2015), co-écrit avec Patrick Boucheron, aborde les attentats de Paris en janvier 2015 et leurs dimensions historiques avant l’heure – « Il faut prendre soin de ceux qui restent et enterrer les morts ».

Chaque regard porté par l’écrivain sur un événement suffit pour changer le nôtre.

« Ça quitte les livres et ça vient dans le corps, et pour avoir la paix il faut que de nouveau ça parte dans les livres, c’est pour ça qu’on écrit. »

Au grand regret des corps et des livres, Mathieu Riboulet n’écrira plus.


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