En mai dernier, Muriel Rodolosse signait une double exposition solo à Bordeaux entre la galerie 5UN7, rue de la Rousselle, et la galerie Silicone, rue Leyteire. A la première adresse, une œuvre centrale occupait la pièce principale. A la deuxième adresse, une exposition-installation invitait le spectateur à un parcours minutieux. Les deux expositions portaient le même nom, Vertigo, un double hommage à l’état sauvage de la nature.
Pour relier les deux lieux, Muriel Rodolosse a donné un rendez-vous au public pour prendre part à une performance collective et participative. Le 10 du mois, il était invité à rejoindre une cordée évoluant dans un milieu difficile et hostile que représente la voie publique, une métaphore inversée de l’impact de l’homme sur la nature.
Des expositions agrémentées par des performances, c’est la signature de l’artiste bordelaise qui évoque le procédé comme « une invitation à déchiffrer le travail exposé ». On est tenté de croire que Muriel Rodolosse trouve les sources de cette pratique dans le théâtre, une discipline qu’elle a longtemps pratiquée avant de faire un choix crucial et définitif en 1986 au profit des arts plastiques.
Un moment charnière
Née d’un père charpentier et d’une mère foraine dans le Lot, dans la petite commune de Pern, Muriel Rodolosse trouve son influence intellectuelle chez son voisin, Georges Coulonges, écrivain et scénariste. Cette « deuxième famille » lui transmet le goût des arts et de la culture. Depuis l’école primaire, elle se tourne vers le théâtre, discipline qui l’accompagne jusqu’aux années lycée au collège de Castelnau-Montratier.
A 16 ans, elle décroche une bourse AJIR pour l’écriture d’une pièce de théâtre, « La petite fleur ». Elle rencontre Kamel Benac, comédien et metteur en scène, avec qui elle crée La Troupe en boule. Son texte est mis en scène ; une fable écologique avant l’heure sur fond de critique urbaine. Après une cinquantaine de représentations, la compagnie s’attaque à d’autres textes, comme « Exercices de style » de Raymond Queneau.
L’affaire tourne plutôt bien avec un calendrier assez chargé et des cachets permettant quelques revenus. Jusqu’à ce jour où une remarque sévère sur sa pratique théâtrale claque comme une gifle. Cet épisode du début des années 1980 est fondateur et ne manque pas de bouleverser Muriel Rodolosse à chaque évocation. Dans son esprit, le moment est venu de « sortir de la médiocrité » :
« Finalement, je n’étais pas comédienne dans l’âme. Cet épisode m’a fait sortir de ma bulle, de mon enfance en quelque sorte. Je me suis retrouvée face à la réalité. Je ne pouvais plus monter sur scène. J’ai pris conscience que ce n’était pas ma vie, que j’étais plus plasticienne que comédienne. »
L’éponge est jetée en pleine tournée et plusieurs contrats en cours. « Un moment charnière » pour l’artiste qui rappelle que l’expérience théâtrale a néanmoins servi sa pratique artistique, « surtout pour faire des choix ».
Engloutir la peinture
En suivant, Muriel Rodolosse s’installe à Toulouse pour des études d’histoire de l’art. Elle abandonne au bout de 3 mois – « J’ai détesté ». L’année suivante, elle se retrouve à l’école d’art de Tarbes et débarque finalement à Bordeaux pour étudier simultanément à l’école des Beaux-Arts et à la fac d’Arts plastiques, « pour un apport théorique ».
Dans une école marquée par une approche conceptuelle, Muriel Rodolosse confie : « Je faisais de la peinture et je n’étais pas à ma place. » Une première exposition à la galerie Start, une deuxième à la galerie Zoographia (deux galeries bordelaises aujourd’hui disparues), elle enchaine les expos « au coup par coup » et montre des peintures sur des panneaux en bois :
« Je n’ai jamais voulu peindre sur une toile, c’est trop ambitieux. Une toile est une référence lourde de sens dans l’histoire de l’art. Sur le bois, j’ai travaillé la frontalité et la profondeur. Avec du recul, j’ai essayé de passer à travers la surface. »
En 1996, Muriel Rodolosse est sélectionnée pour une résidence de six mois à la fondation John David Mooney à Chicago. « Elle va y réaliser une quarantaine de tableaux, soit un tous les quatre à cinq jours, ce qui dénote une bonne productivité », écrit Pierre Brana dans l’introduction de son catalogue de l’exposition au Château Lescombes à Eysines (2017).
Sur les bords du lac Michigan, après une autre résidence au Lakeside studio, Muriel Rodolosse salue « la chance de se confronter à une nouvelle culture ». Une étape décisive dans sa carrière qui confirmera son choix pour un support emblématique de son travail, le Plexiglas. Après avoir exploité les deux côtés de la transparence, elle ne peindra plus que sur le verso pour une lecture de l’œuvre au recto.
« A partir de 2000, j’ai radicalisé le geste. J’ai coincé la peinture dans un endroit qu’on a du mal à saisir. Une fois que la peinture est faite, elle est engloutie. »
Peindre la réalité
Peindre à l’envers se révèle une prouesse. Ce procédé exige un travail définitif des premiers plans car il exclut tout repentir après le passage des seconds plans. Muriel Rodolosse dit « peindre la réalité » :
« On peut lire par quoi j’ai commencé. Ça emmène le spectateur à être actif dans ce qu’il regarde. Il suit mon travail pour comprendre ce que j’ai fait en premier. Partir du détail pour aller vers le fond, une manière d’inverser la perception. »
Les années 2000 apportent leur lot de consécrations pour cette démarche artistique : Grand Prix du Jury du Salon d’art contemporain de Montrouge en 2002, Grand Prix de la biennale d’Issy-les-Moulineaux en 2005. Mais surtout une première exposition institutionnelle, « Ancora ! », a lieu en 2007 au Centre d’art Chapelle Saint-Jacques à Saint-Gaudens sur l’invitation de sa directrice Valérie Mazouin qui, lors d’une visite à son atelier en 2003, lui témoigne d’un grand soutien.
La pratique artistique trouve sa forme la plus aboutie, mais également son fond. La peinture de Muriel Rodolosse affirme son écriture dans des compositions « surréalisantes » où se juxtaposent nature et architecture, silence et présence, créatures homme/femme et humain/animal. L’imagerie raconte des récits mythologiques imaginaires nés des rapports multiples et complexes dans « l’interdépendance des êtres vivants ».
En mai 2010, « no Taxinomi(e) », une œuvre phare de Muriel Rodolosse datant de 2006, fait la couverture d’Art Press, une revue de référence pour l’art contemporain. La regrettée journaliste Anne Dagbert parle de « son univers empreint d’images pseudo-enfantines, avec une visée féministe » et souligne « son désir de ne pas établir de hiérarchie entre l’humain, l’animal et le végétal ».
Démarche globale
Quinze ans après sa première exposition à Bordeaux, Muriel Rodolosse signe une exposition personnelle au Frac Aquitaine en 2011. « X degrés de déplacement » scelle le statut de l’artiste sur la scène locale et nationale, voire internationale. L’espace au Hangar G2 est divisé en deux parties pour accueillir d’un côté une rétrospective de ses travaux et, d’un autre côté, des œuvres réalisées pour l’occasion en résonance avec le passé industriel et portuaire des Bassins à flot.
Muriel Rodolosse sera parmi les six premiers artistes présentés dans les Documents d’artistes Nouvelle-Aquitaine en 2012. Elle s’impose sur la scène bordelaise avec deux autres expositions personnelles, une en 2016, « Centralia, la grande faille », à l’Institut culturel Bernard Magrez, et une autre en 2017, au Château Lescombes à Eysines. Sa production est prolifique. Elle s’y consacre totalement aussi bien dans son atelier parisien que dans celui où elle vit à Bordeaux.
« La démarche d’un artiste est globale. Si on s’intéresse à mon travail, je voudrais qu’on s’intéresse à l’ensemble. Poser un regard consumériste sur une œuvre, ça me gêne. Il y a ceux qui comprennent qu’un artiste n’est pas quelqu’un qui conçoit des produits et les autres, parmi ces derniers des touristes de l’art contemporain. »
Travailleuse infatigable – « plus de 16 heures pas jour » –, Muriel Rodolosse expose actuellement à Gordes jusqu’au 4 novembre, « Le dialogue des cimes », et du 9 septembre au 14 octobre à Vitry, « L’armoire aux possibles ».
Par ailleurs, en attente de soutiens, elle porte un projet d’exposition en 2020 au Musée d’art contemporain de Téhéran. La plasticienne vient justement de séjourner dans la capitale perse en 2018, à la résidence d’artistes Kooshk Residency, où elle a signé une exposition à la Shirin gallery intitulée « The opposite Balance » qui lui a valu des éloges dans la presse spécialisée iranienne.
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