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« On achève bien les éleveurs », des paysans résistants sur le grill

L’auteure Aude Vidal et le dessinateur bordelais Guillaume Trouillard livrent dans « On achève bien les éleveurs » les propos rares et tranchants d’une dizaine d’éleveurs, de chercheurs et de militants contre l’industrialisation de l’agriculture, et notamment le puçage électronique des animaux. Quatrième coup de cœur de notre série « Pages à plages », publiée chaque jeudi de cet été.

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« On achève bien les éleveurs », des paysans résistants sur le grill

(DR)

Deux balles dans le dos. Le 20 mai 2017, Jérôme Laronze est abattu par un gendarme près de Sailly (Saône-et-Loire). Cet éleveur de 36 ans était recherché depuis le jeudi 11 mai, date à laquelle des agents de l’administration étaient venus contrôler sa ferme, accompagnés de plusieurs gendarmes. Après une série de visite destinées à vérifier si ses vaches étaient bien identifiées par une boucle d’oreille, ils entendent saisir le troupeau. Jérôme Laronze les aurait alors menacés avec son tracteur, avant de s’enfuir.

Depuis, si le gendarme a été mis en examen, l’enquête piétine. « Aucune situation d’irrégularité administrative en agriculture ne peut justifier qu’un paysan soit abattu comme un criminel », lançait la Confédération paysanne, à laquelle appartenait Jérôme Laronze, et qui demande que justice soit faite.

« Mon cas illustre l’ultra-réglementation qui conduit à une destruction des paysans », déclarait l’éleveur peu avant sa mort.

« Tout se passe comme si ce troupeau ne lui avait été jusqu’à présent que prêté par l’Etat qui en restait le vrai propriétaire », écrit Xavier Noulhianne, agriculteur du Lot-et-Garonne qui dans la préface d’ « On achève bien les éleveurs » (éditions L’échappée) érige le drame de Sailly en exemple extrême. Une issue dramatique à l’avalanche de normes et de réglementations dont les agriculteurs sont l’objet, et qui en poussent beaucoup à la retraite, voire au suicide.

Lignes rouge et verte

Mais peu osent ainsi faire le lien avec l’industrialisation du secteur depuis 1945, et moins encore résister, comme la dizaine de paysans, chercheurs (les agronomes Jean-Pierre Berlan et Jocelyne Porcher) et militants (le groupe Marcuse) interrogés dans ce livre. Les entretiens sont exhaustivement retranscris par Aude Vidal (une ex des revues écolos EcoRev’ et l’An02), et magnifiquement illustrés par le dessinateur et éditeur bordelais Guillaume Trouillard.

Comme Fabrice Jaragohyen (Pays Basque), Stéphane Dinard (Dordogne) ou les fermiers du Pic-Bois (Isère), Xavier Noulhianne flirte avec la ligne rouge réglementaire (ainsi qu’il l’explique dans un ouvrage passionnant, « Le ménage des champs », aux éditions du bout de la ville). Le puçage électronique des ovins et des caprins en vigueur depuis 2010 en a, il est vrai, fait tiquer plus d’un : il pousse très loin le flicage des éleveurs, et touche en particulier une catégorie – le jeunes et/ou néo ruraux, petits éleveurs de chèvres ou de brebis particulièrement épris de liberté.

« J’ai une carte bleue et un téléphone, je ne peux donc pas dire que je suis contre les puces : il y en a dans ma vie, raconte Baptiste, de la ferme du Pic-Bois. En revanche, on nous l’impose alors qu’on en a pas besoin, ou juste pour les autres : industrie, abattoir… Qu’une certaine catégorie d’éleveurs dise qu’il faut faire ça et qu’on l’impose à tout le monde, je trouve ça dégueulasse. […] Nous on a d’autres moyens d’identifier les animaux. On leur met des colliers, ils ont des prénoms, on se sert un peu des numéros mais pas souvent. »

C’est pour eux la phase ultime d’un système de contrôle de leur production, principalement basé sur les subventions.

« Depuis une bonne quinzaine d’années que je suis installé, je fais à peu près la même production : plus ou moins 200 brebis sur une trentaine d’hectares, un nombre d’agneaux variant entre 160 et 180, une production laitière fluctuant selon l’année, témoigne Fabrice Jaragohyen. Mais je suis plus dépendant des primes qu’il y a 15 ans. C’est un marché de dupes qui m’oblige à passer plus de temps à essayer de respecter les critères administratifs et bureaucratiques, plutôt qu’à m’occuper de ce que je produis et de la façon dont je le fais. Grâce aux subventions, l’État a réussi là où les économies planifiées avaient échoué : faire accepter individuellement la planification. (…) En mettant des subventions là où on veut orienter la production (que ce soit en quantité et qualité ou en critères d’ »image » de terroir, environnemental, etc.), le centralisme d’État capitaliste parvient à régenter l’agriculture plus efficacement qu’aucun autre système de l’a fait. »

Entre deux feux

Avec l’enjeu commun pour l’Etat et l’agro-industrie de faire baisser les prix agricoles pour dégager du pouvoir d’achat et pousser à la consommation dans d’autres secteurs. Mais avec la dénonciation tous azimuts de l’élevage par L214 et le mouvement végan, les paysans attachés à leur métier comme à leurs animaux sont « pris entre deux feux », écrit Aude Vidal dans l’introduction :

« D’un côté, le souci légitime de l’impact écologique et sanitaire de la production industrielle de viande et de produits d’origine animale rejoint le refus de maltraiter – voire tuer – les animaux. De cela émerge une remise en cause profonde du geste d’élevage. Est-ce là un progrès pour notre humanité ou un nouveau stade de l’ “administration du désastre” ? De l’autre côté, les éleveurs sont dépossédés de leur métier par des procédures toujours plus rigides et intrusives : puçage RFID des ovins et caprins, chantage aux primes agricoles, bureaucratisation croissante, reproduction artificielle… Décriés d’un côté, ils sont administrés de l’autre – en attendant que disparaisse la possibilité même d’élever des animaux autrement qu’en les concentrant dans de gigantesques usines. »

Pour l’auteure écologiste, « ces menaces qui pèsent sur l’élevage sont un des symptômes de la soumission toujours plus grande de toutes et tous à la société industrielle. Le monde se referme alors que la liberté s’efface devant le contrôle systématique : au fond, ce que nous faisons subir aux animaux, nous nous l’infligeons également à nous-mêmes ».

Condamner en vrac les petits éleveurs ou pêcheurs sans dénoncer le système qui les prive de terres, d’autonomie ou de ressources halieutiques revient selon les intervenants de ce livre à cautionner un système. Et à accentuer la tendance actuelle et mortifère de concentration des exploitations agricoles d’un côté, de l’humanité dans des métropoles déconnectées de la nature et des animaux de l’autre. « On achève bien les éleveurs » est de ce point de vue un rappel salutaire.


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