Quelle place pour le vin bio dans l’Entre-deux-Mers ?
A l’occasion des Belles Goulées, journée organisée sur le site des Chantiers Tramasset au Tourne, Rue89 Bordeaux organise une table ronde sur la question « Quelle place pour le vin bio dans l’Entre-deux-Mers ? » avec :
– Audrey Gleonec, géographe (auteure de cet article)
– Diala Younes Lavenu, présidente de l’Association des œnologues de Bordeaux
– Laurène Amiet, négociante en vin bio et naturel
– Gwenaëlle Le Guillou, directrice du Syndicat des vins bio en Nouvelle-Aquitaine
– Pascal Peyverges (vigneron bio) et Arnaud Burliga (vigneron), membres du Syndicat viticole AOC Entre-deux-Mers
On peut dire qu’Alexandra Martet dénote quand on la croise les mains dans ses vignes au milieu de ses ouvriers, on est loin de la châtelaine guindée issue de la bourgeoisie du bouchon. Il faut dire qu’elles ne sont pas nombreuses dans le Bordelais à avoir choisi de remettre en question le modèle productiviste et conventionnel sur lequel repose le vignoble familiale.
À la tête du Château Lavison, elle n’a rien de l’héritière fière de la réussite familiale, se gargarisant d’un discours marketing bien rodé sur la tradition, le terroir, et l’assise historique du domaine. Pas de faux-semblant chez cette femme engagée, à la forte personnalité, pour qui il y a urgence à changer les pratiques dans la viticulture bordelaise.
En effet, Alexandra Martet développe très tôt une conscience écologique :
« C’est au lycée que j’ai commencé à m’engager. Avec mes amis on avait tous la carte du Parti Vert, comme eux je soutenais le mouvement écologiste. Pour moi ça a été le premier élément déclencheur. C’est ce qui m’a amené vers la bio. »
Il est bio mon château
On est alors au milieu des années 90. La jeune femme, encore inexpérimentée, doit faire ses preuves et convaincre un père qui ne veut pas entendre parler de la viticulture biologique :
« Mon père, lui, est de la génération productiviste. La bio, il ne voulait pas en entendre parler. Il n’était pas d’accord et pensait que ça ne marcherait pas. J’ai été obligée de me heurter à lui. »
C’est sa mère qui la soutient, et pour cause, elle tombe malade suite à l’épandage d’un herbicide sur le domaine. Un accident qui lui fait prendre conscience qu’il faut aller vers une autre viticulture. Dès lors, elle suit une formation chez Agrobio33 et, en 2010, amorce la conversion du vignoble en bio.
Le contexte institutionnel est alors porteur. C’est la période de lancement du plan Barnier (soutien à l’agriculture biologique). Parallèlement la Chambre d’agriculture de Gironde lance le Plan Bio 2008/2012 pour soutenir le développement de la bio sur quatre ans. Alexandra Martet affiche ainsi d’emblée sa détermination et sa sensibilité pour les questions environnementales, loin de tout opportunisme.
Aujourd’hui les résultats sont là. Elle vinifie un rouge tannique et harmonieux, labellisé AB. Ses blancs, labellisés également, sont la très belle expression d’un terroir qui a retrouvé la santé et la vie qu’apportent des pratiques viticoles saines, et respectueuses de l’environnement.
« On a perdu le vrai goût du vin »
Alexandra Martet travaille de manière totalement transparente. Elle nous reçoit chez elle un jour d’épandage et n’hésite pas à nous amener dans ses hangars pour ouvrir devant nous les sacs et bidons des remèdes qu’elle utilise pour soigner la vigne. Ce sont uniquement des matières naturelles, rien de chimique ou de systémique. Tous sont autorisés par le cahier des charges bio.
En viticulture biologique, en effet, la prévention a une importance capitale. Son arrière-cour tient plus de l’arrière boutique d’apothicaire avec des poudres de kaolin (argile blanche naturelle ), des terpènes de pin, aux senteurs d’huiles essentielles, macérât d’écorces d’oranges. Si elle utilise du cuivre, l’on peut dire que c’est à dose homéopathique, pour aider les pieds de Merlot à se défendre contre le mildiou.
Ce jour-là, elle pulvérise une bruine de kaolin sur les grappes de raisin et les feuilles de vigne. Cette méthode dépose une fine pellicule blanche et modifie la reconnaissance de la plante par les insectes. Ses engrais : un mélange à base d’algues fabriqué localement. Les sols sont également travaillés pour que la vie s’y développe, et favoriser la santé des pieds de vigne.
Si Alexandra Martet défend le modèle bio, c’est aussi pour retrouver le vrai goût du vin. Elle explique en effet que peu de consommateurs savent que les pratiques intensives de la viticulture conventionnelle maltraitent les sols et altèrent les qualités gustatives du raisin. Les produits phytosanitaires détruisent les champignons sur la vigne certes mais aussi les bonnes levures qui donnent au vin ses qualités gustatives.
La thermo-vinification, une pratique encore confidentielle dans le milieu viticole
Seuls 5% des viticulteurs en bio y ont recours, cela est plus systématique en conventionnelle. La technique consiste à chauffer la vendange à 70-75 degrés, voire plus, pendant 30 minutes, à la pressurer et ensuite à la vinifier. Elle permet d’enlever les mauvais goûts, y compris ceux donnés par les résidus de pesticides. Elle donne des vins moins riches en polyphénols (tannins) qu’une vinification classique.
Le produit final est un jus pasteurisé. On réintroduit ensuite des levures de laboratoire qui donnent aux vins des notes aromatiques artificielles exagérément identifiables (fruits rouges, épices ou encore pamplemousse pour les rosés par exemple).
Sa démarche est de rigueur jusque dans le chais. Pour vinifier, elle refuse la thermo-vinification (voir encadré), pourtant autorisée par le cahier des charges bio. Lorsqu’on lui en parle, elle s’exaspère :
« Je me demande comment est-ce qu’on peut revendiquer le terroir quand on met autant de chimie et de technologie dans son vin. Si on ne se casse pas un peu la tête pour travailler ses vins et permettre la meilleure expression possible du terroir à quoi bon faire ce métier ! »
La thermo-vinification, rares sont les viticulteurs qui acceptent d’en parler. Alexandra Martet précise :
« Ce qui me dérange, outre le fait de faire bouillir le vin à plus de 75 degrés, c’est que ça linéarise les goûts. Par ailleurs, le bilan carbone de la bio étant déjà pas brillant, aller consommer encore de l’énergie pour vinifier, je trouve cela dommage. La bio devrait encore plus refléter le terroir que la conventionnelle. »
Prendre soin de l’équipe
Enfin au Château Lavison, la dimension humaine du travail n’est pas en reste. Alexandra Martet emploie à l’année trois ouvriers agricoles. Elle les a elle-même formés et rien ne se fait sans qu’ils soient englobés dans les processus de décision :
« Il peut arriver que l’on soit en désaccord mais dans ce cas, je prend toujours le temps de leur expliquer mes choix. Il n’est pas question de leur imposer les choses sans qu’ils soient convaincus. On ne peut rien construire de grand sans une équipe autour de soi. Moi toute seule, ici, sans eux, je ne fais rien.
Pas d’autoritarisme, mais la reconnaissance du travail bien fait :
« La bio a aussi une composante sociale, il ne faut pas l’oublier. La viticulture bio est deux fois plus consommatrice de main d’œuvre que la conventionnelle. Peut-être est-ce une piste pour enrayer les problèmes de chômage. Le consommateur devrait aussi penser à cela quand il achète un vin bio. »
Entre mildiou et oïdium
Alexandra Martet dénonce l’attitude velléitaire de certains viticulteurs qui ont peur de franchir le pas et de prendre les risques que suppose une conversion. Beaucoup disent vouloir se convertir mais estiment qu’ils devraient avoir la possibilité de repasser en conventionnel les années difficiles et s’autoriser de temps en temps le recours à des traitements chimiques !
Des viticulteurs pour qui il est plus confortable de surfer sur la vague bio et de verdir leurs pratiques par une astucieuse opération de marketing sans toutefois se mouiller. On pose des hôtels à insectes le long des parcelles, ou quelques ruches, on laisse des herbes hautes envahir les vignes mais on continue d’épandre des produits phytosanitaires. C’est en somme le « greenwashing » de la viticulture, des pratiques qui trompent le consommateur :
« Ou on est bio ou on ne l’est pas. En bio tu as des pertes, il ne faut pas se leurrer. Des années comme cette année, en huit ans j’ai rarement vu autant de pertes, sur certaines parcelles, elles atteignent 50%. Il est certain que ça va en dissuader beaucoup. Je les comprends moi aussi j’ai eu très très peur. Mais c’est comme ça, c’est la bio. En bio on nous a jamais promis des rendements extraordinaires. On fait pas ça pour être riche. »
Il est intéressant de rappeler que pendant des millénaires on a fait du vin sans avoir recours aux pesticides. Jusqu’au début des années 1900 dans les écrits et documents d’archives qui parlent de viticulture, on ne trouve jamais mention d’attaques de mildiou, et pourtant des phénomènes climatiques comme cette année, avec une pluviométrie anormalement élevée, ce sont déjà produits dans le Bordelais, notamment en 1816, en 1852, et en 1860 qui furent les plus mauvaises du XIXe siècle. Le mildiou de la vigne est apparu vers le milieu du XIXe siècle.
Nos cépages ce seraient-ils affaiblis à force de traitements chimiques et intensifs ? Une question que se posent de plus en plus de viticulteurs. Alexandra Martet fait partie de ceux qui envisagent de tenter d’avoir recours à des cépages plus résistants, des variétés anciennes ou importées plus adaptées au réchauffement climatique et moins vulnérables à la maladie – « Il faut arrêter le Merlot trop fragile ! »
Témoignage de Paul, ouvrier viticole au Château Lavison
[caption id="attachment_43497" align="alignleft" width="180"] Paul, employé viticole au château Lavison (AG/Rue89 Bordeaux)[/caption]
« Quand je viens ici, tous les matins, je me dit que j’ai de la chance. J’ai jamais eu l’impression de travailler ici, ce n’est que du plaisir, je profite du cadre sans inquiétudes. Au départ j’étais électricien de formation, c’est Alexandra et son père qui m’ont tout appris. Mais j’ai pas toujours connu ça. Dans l’exploitation en conventionnelle, où j’étais avant, on nous faisait manipuler des produits phytosanitaires à main nues, sans aucun équipement de protection. Mais à l’époque je n’avais pas conscience des risques. Personne ne m’a jamais payé de formation phyto pour apprendre à me protéger quand on utilise ces produits. Je me souviens d’une fois où avec les autres ouvriers, on s’est arrêté de travailler pour que le patron nous paye des gants ! Lui aussi manipulait les produits à main nues, il disait qu’il y avait pas de danger. Depuis il est mort. »
Comme Paul, les ouvriers viticoles, alertés par les médias sur des dangers des pesticides, herbicides, et fongicides demandent désormais en priorité à travailler dans les exploitations en bio.
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