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A Bordeaux, la manif des lycéens violemment dispersée par la police

200 à 300 lycéens se sont retrouvés sur le pont de Pierre pour manifester contre la sélection Parcoursup et la réforme du bac. L’intervention des forces de l’ordre soulève l’indignation des enseignants.

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A Bordeaux, la manif des lycéens violemment dispersée par la police

L’impulsion a, semble-t-il, été lancée par le syndicat lycéen UNL (Union nationale des lycéens). Vendredi 30 novembre, il appelait à la « revanche lycéenne », selon l’évènement publié par ce syndicat sur les réseaux sociaux.

Dans leur viseur : la loi ORE, qui a instauré la sélection à l’entrée de l’université et la plateforme Parcoursup l’été dernier. Mais aussi la réforme du bac et du lycée générale et technologique (qui supprime la distinction entre séries S, ES et L et diminue le nombre d’examen en terminale, la réforme), la réforme des lycées professionnels, et le service nationale universel (SNU) voulu par Emmanuel Macron.

« Notre droit à l’accès à l’éducation est attaqué. Notre droit à l’avenir est remis en doute. Notre liberté de choix est entravée. A travers ces réformes lycéennes, le gouvernement ne fait qu’accroître la reproduction des inégalités sociales, et appauvrir les lycéen.ne.s », écrit l’UNL.

Ras-le-bol

Dès vendredi, donc, et comme ailleurs en France, des lycéens bordelais se sont mobilisés, notamment ceux des lycées Saint-Louis et Beau-de-Rochas. Mais ce lundi matin, les manifestations ont pris une autre ampleur. Lorsqu’on interroge les jeunes sur le déclencheur de cette mobilisation, leur parole entre en écho avec celle de leurs aînés flanqués de jaune : « C’est l’accumulation, le ras-le-bol. »

« Aujourd’hui, on ne sait pas ce qu’on veut faire l’année prochaine, on n’est pas au courant de ce qui est en train de se passer, et les profs ne nous aident pas. Et même quand on a des idées, on a l’impression que ça va être tellement compliqué, tellement sélectif dans les écoles, qu’on ne sera accepté nulle part. On a peur de ne rien avoir l’année prochaine » explique Julien (tous les prénoms ont été modifiés), du lycée François Mauriac.

Ils voient également comment les choses se sont passées pour la promotion d’avant, les bacheliers de 2018 :

« Dans ma classe il y a plein de redoublants : ils ont eu leur bac mais n’étaient pris nulle part en formation, alors ils ont préférés retaper [redoubler, NDKR] », raconte Mathilde.

D’autres parlent du stress pour trouver un logement lorsque l’affectation se fait au dernier moment.

En vrille

Dès l’aube, deux lycées de la rive droite sont bloqués : François Mauriac et La Ruche. Les lycéens décident alors de se rassembler au niveau du Pont de Pierre. D’autres lycéens des lycées Tregey, Bremontiers (Nansouty), des Iris et Elie Faure (entre autres) les rejoignent.

« Les informations ont tourné sur Snapchat. Tout le monde est venu comme ça », témoigne un lycéen rencontré sur place.

Les lycéens, 200 à 300 selon les manifestants, forment une mini-barricade sur les voies du tramway afin d’en perturber la circulation, mais laissent passer les gens sur le trottoir. Puis les forces de police arrivent :

« Nous on voulait juste parler avec les flics. Mais quelqu’un leur a lancé une bouteille, et c’est parti en vrille » raconte Arnaud, venu du lycée La Ruche.

S’ensuivent une série de pluies de lacrymogènes, tirs de flashball, charges et coups. Après 2 ou 3 heures de confrontations, les manifestants qui reculaient petit à petit sur l’avenue Thiers se dispersent finalement. Pour beaucoup d’entre eux, c’est la première fois qu’ils assistaient et étaient acteurs d’un pareil spectacle (voir une vidéo ici).

« L’année dernière il y a eu des blocus, mais jamais rien de similaire à ça. C’était un truc de fou. Ça nous a refroidi : si c’est pour se faire gazer, on ne recommencera pas » estime Mathilde.

« On aurait dit Ronaldo »

Tristan raconte avoir été frappé par les policiers :

« J’étais assis à côté d’eux place Stalingrad, je ne faisais rien, et ils m’ont gazé à bout portant puis donné des coups de pieds. Le flic avait sa jambière de protection, on aurait dit Ronaldo qui tire un penalty. »

Selon les témoignages, deux lycéens auraient pris des tirs de flashball en pleine tête, et une dame aurait récolté un projectile. Plusieurs personnes ont été emmenées par les pompiers vers l’hôpital, tandis que d’autres (six selon Sud Ouest) étaient interpellées par la police.

Mais les lycéens que nous avons rencontrés regrettent la manière dont se sont déroulés les évènements :

« C’est vite devenu un affrontement entre ceux qui caillassaient et insultaient les flics, puis les flics qui répondaient par des lacrymos, et ça recommençait. Cette fois-ci, j’ai aidé les autres, mais si ça recommence de la même manière, et non de manière pacifique, je n’y retournerai pas » estime Thomas, venu du lycée Elie Faure.

A la mi-journée, le Pont de pierre était dégagé et occupé par la police (BG/Rue89 Bordeaux)

La réaction des enseignants

En fin de journée, des enseignants du lycée Mauriac réunis en assemblée générale (et soutenus par des parents d’élèves FCPE et AIPE) ont publié un communiqué de presse pour dénoncer « la violence policière que [les lycéens] ont subie et dont [ils] ont été témoins ».

« Nous avons alors vu des élèves chargés sans sommation, essuyé un usage intensif des gaz lacrymogènes, des coups de matraque et être visés, tout au moins, par des fusils flashball. […] Que peut justifier un tel traitement ? Manifester signifie-t-il désormais que l’on risque son intégrité physique ? »

Ces enseignants appellent leurs élèves à « ne pas se mettre en danger face à un pouvoir qui ne recule visiblement devant rien pour museler l’expression ». Tout en assurant ne pas vouloir être « complices de la volonté de les faire taire » :

« On ne peut pas nous demander d’enseigner la démocratie et les laisser vivre cette première expérience face au pouvoir sans s’indigner. Nous demandons que les élèves qui ont été arrêtés soient immédiatement libérés. Nous exigeons que leur sécurité soit garantie dans un espace public qui est aussi le leur, qu’ils puissent s’exprimer et manifester, ce qui est un droit. »

Des lycéens ont affirmé vouloir poursuivre le mouvement durant la semaine.


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