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Maître (de chai) Morain plaide pour les vignerons naturels

Auteur d’un « Plaidoyer pour le vin naturel », Eric Morain a défendu une centaine de vignerons aux prises avec des appellations tatillonnes ou en butte au maquis des normes. Pour l’avocat, qui débattra ce samedi au salon Sous les pavés la vigne, à Bordeaux, la France devrait penser à protéger ses agriculteurs plutôt qu’à les contrôler. Entretien.

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Maître (de chai) Morain plaide pour les vignerons naturels

Il a fait libérer récemment Michel Cardon, l’un des plus vieux détenus de France, et conseille l’une des accusatrices de Tariq Ramadan, entre autres. Ténor du barreau, Eric Morain est aussi l’avocat des vins naturels.

Au propre comme au figuré : il a défendu une centaine de vignerons en guerre avec l’administration ou leurs appellations – parmi eux : Sébastien David, sommé par la préfecture d’Indre-et-Loire de détruire 2078 bouteilles de vin bio jugé trop acide.

Eric Morain est en outre l’auteur de « Plaidoyer pour le vin naturel » (Nouriturfu, 2019), petit essai bien troussé en faveur de ces breuvages et des hommes et des femmes qui les élèvent. Il sera ce samedi à Bordeaux, lors du salon Sous les pavés la vigne, et débattra (à 15h au Garage Moderne) de « l’opacité des pratiques dans le vignoble français » avec la journaliste Ixchel Delaporte et les vignerons Pierre Carle et Alain Déjean, dont la préfecture de Gironde a arraché des vignes touchées par la flavescence dorée. Entretien.

Rue89 Bordeaux : Êtes vous tombés dans le vin naturel quand vous étiez petit ?

Eric Morain : D’abord buveur d’étiquettes, j’étais à l’origine d’un mouvement culinaire, Omnivore, qui a créé il y 15 ans un festival, d’abord au Havre, puis à la Mutualité à Paris. On est allé chercher des chefs qui militaient pour la Jeune cuisine, c’est à dire une cuisine débarrassée de plein de scories qui n’ont pas grand intérêt dans l’assiette.

Grenouillaient autour d’Omnivore un certain nombre de vignerons, et c’est comme ça que j’ai rencontré Nicolas Reau, qui a ouvert une cuvée Enfant terrible, un vin naturel d’Anjou. Il l’a servi dans des verres en pyrex, et cela a été mon chemin de Damas. Je me souviens toujours de cette première gorgée, et j’ai voulu savoir pourquoi c’était aussi étonnant, pourquoi ça me plaisait tant.

Comment êtes vous devenu l’avocat des vignerons « nature » ? 

Comme Nicolas Reau avait quelques soucis, il ma demandé d’être son avocat. Et de fil en aiguille, je suis devenu quasiment l’avocat de tous ces vignerons ! Cela a commencé avec Olivier Cousin (condamné en 2014 pour avoir inscrit « Anjou » et « domaine » sur ses bouteilles alors qu’il avait quitté l’appellation, et finalement dispensé de peine, NDLR). Quand un vigneron a un problème, un collègue lui passe mon numéro.

Jalousies

Certains affaires n’ont pas été médiatisées, d’autre si, comme celle de Sébastien David. La DGCCRF (direction de la répression des fraudes) avait trouvé son vin trop acide par rapport aux normes et voulait lui imposer la destruction de ses 2000 bouteilles, soit le tiers de sa production ! Finalement, en référé, la justice a temporisé et donné une sorte de sursis, et j’ai bon espoir pour ce qui va arriver par la suite (la préfecture a reconnu « l’absence de danger manifeste » et ordonné une contre-expertise, en attendant le jugement sur le fond, NDLR).

Une bien belle robe (DR)

Quel est le fil rouge (sans mauvais jeu de mot) entre ces affaires ?

Tous ces vignerons et vigneronnes font du vin autrement et différent. Ce n’est pas une mode – je pourrais vous en citer 30 qui font comme ça depuis plus de 30 ans. Mais comme ça plait de plus en plus, que ça se vend, attire la presse, et que leurs vins se retrouvent sur les plus grandes tables, cela a crée des jalousies. 100% des affaires d’envergure que j’ai eu à traiter provenaient de dénonciations…

Feu rouge

Des appellations sont très résistantes au bio et au vin naturel, et sont des regroupements de vignerons conventionnels. En outre, les syndicats locaux et les organismes de gestion ont à leur tête des propriétaires qui se passent le flambeau de père en fils. Ils font la pluie et le beau temps, squattent les commissions organoleptiques qui vont mettre un feu vert ou rouge aux vins de leurs concurrents.

C’est ce que j’appelle des baronnies. Face à cette réalité en France, il faudrait que l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité) reprenne la main localement. Pour des raisons budgétaires, elle s’est débarrassée de ses prérogatives au bénéfice d’associations de droit privé qui sont forcément le siège de conflits d’intérêt.

Certaines régions sont-elles plus rétives que d’autres ?

Cela bouge dans beaucoup d’appellations, même en Champagne. Je crois que le vent de l’Histoire a changé et que c’est irréversible. On va nécessairement vers des vins plus sains, et l’annonce du château Yquem de sa conversion au bio et à la biodynamie est un bon exemple. On sait que c’est mieux pour la planète, on a compris que les rendements étaient équivalents et que ça se vend.

La palette du bordelais

Les chiffres de conversion en bio en attestent dans des régions que l’on pensait infranchissable comme Bordeaux (une centaine l’an dernier dans le bordelais, qui compte désormais plus de 600 domaines en bio, NDLR).

Mais incontestablement ce mouvement vient de la Loire. Et aujourd’hui, la Corse est une région emblématique, où on a toujours eu l’amour de la terre : Patrimonio est la première grande appellation corse à avoir décidé de bannir l’utilisation de tout pesticide dans son cahier des charges. D’autres résistent : il y a beaucoup de travail dans l’appellation Pouilly, qui n’a toujours que deux exploitations en bio.

Et dans le bordelais ?

Les vignerons sont obligés de s’affranchir de l’appellation car ils ne sont pas obligatoirement dans les clous. Mais ils font des vins extraordinaires et on n’a pas fini de découvrir ce terroir bordelais qu’on estimait figé, délimité, « le saint-estèphe et le pomerol, ça doit être comme ça et pas autrement ». Une palette immense qu’on avait mis sous le boisseau va s’offrir aux vignerons.

Etiquette

Comment épauler ce mouvement ?

On va voter ce dimanche aux élections européennes, et la terminologie européenne pour les appellations, c’est AOP, appellation d’origine protégée. En France, on dit AOC, appellation d’origine contrôlée. Tout est dit : l’Europe protège, la France contrôle. Si on n’avait que les règles européennes à appliquer, cela allègerait considérablement la charge des vignerons. Mais on adore les mille-feuilles, ajouter des normes aux normes… Il faudrait réserver les contrôles, les poursuites et les condamnations à la lettre O de AOP, la fraude sur l’origine, si le raisin est vraiment fait ici, ou pas.

En prend-on le chemin ?

La nouvelle directrice de l’INAO, Marie Guittard, met de l’eau dans son vin. Elle dit vouloir « entendre et repérer les signaux des viticulteurs qui, bien que s’écartant des règles, sont des innovateurs, porteurs d’évolution pour leur appellation, sans pour autant la déjuger ».

Il faudrait désormais des assises nationales des appellations, avec tout le monde autour de la table, pas seulement le syndicat des appellations. C’est lui qui fait un lobbying considérable pour repousser toute échéance sur l’étiquetage obligatoire de la composition du vin. Repousser le droit à l’information légitime du consommateur, cela montre bien que certains ont des choses à cacher.

Quand nous aurons obtenu ça, peu importe le label vin naturel, difficile et compliqué à obtenir. Le consommateur qui sait lire les étiquettes, depuis l’affaire de la vache folle, verra bien la différence.


#Sous les pavés la vigne

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