1 – Le bordelais, « village d’Astérix » du bio ?
Le marché des vins bio progresse en moyenne de 20% par an depuis 2010 ans, tandis que « celui du conventionnel stagne », relève Gwenaëlle le Guillou, directrice du Syndicat des vignerons bio de Nouvelle-Aquitaine.
« Le mouvement, c’est que le bio est en train de tracer sa route, assure Gilles Davasse, du bar à vin le Flacon. C’est lié à la volonté quasi mondiale de mieux se nourrir et d’ingurgiter des choses plus naturelles. Et cela arrive lentement et surement à Bordeaux. »
Car, poursuit le patron du Flacon, Bordeaux a longtemps été « un village d’Astérix à l’envers » :
« C’est un lieu où la culture du vin est très marquée, mais très marquée par son classicisme, et où les produits de synthèse sont très utilisés. C’était un lieu de résistance : les grands domaines viennent de faire des annonces, comme Yquem (LVMH, de Bernard Arnault) qui va se convertir au bio, ou Latour (de François Pinault), qui vient d’être certifié. En Bourgogne, Romanée-Conti est en bio depuis 1985. »
« La girouette a tourné »
Ce qui ne veut pas dire que le bordelais était dépourvu de grands vins bio ou nature, au contraire, insiste Antonin Iommi-Amunategui, co-organisateur (avec Rue89 Bordeaux) de Sous les pavés la vigne, salon des vins actuels et naturels qui se tient le week-end prochain à Bordeaux.
« La girouette a tourné. Les grands groupes ont fait leurs calculs, et ont compris qu’ils pouvaient probablement s’y retrouver une fois que leurs vins seraient certifiés bio, même en perdant du rendement. La demande est là, et ils sont obligés de s’y mettre pour ne pas être has been. Mais la locomotive, ce sont les vignerons naturels, qui travaillent sur 5 ou 10 hectares, vivent avec un smic et le font par souci du goût. C’est une minorité, mais ce sont eux qui ont converti les consommateurs, avec des vins parfois meilleurs que ceux des grands châteaux, et 100 fois moins chers. »
2 – Quelles sont les figures locales des vins naturels ?
Rafael Bord, de la Cave d’Antoine, cite notamment le château Le Puy, dont la cuvée 2003 a été consacré comme une des meilleures du monde dans les Gouttes de Dieu, manga japonais culte :
« La famille de Jean-Pierre Amoreau pratique les mêmes modes de culture et de vinification depuis 1610. Il a fait la jointure entre la vieille bourgeoise bordelaise classe, qui aime les étiquettes avec des châteaux dessus, et celle qui apprécie les vins naturel. »
Le tout à des prix qui excède rarement les 30 euros. Et d’autres références mettent à mal les racines du « bordeaux bashing », enchaîne Gilles Davasse :
« Le “bordeaux bashing” vient surtout de Paris et de la mode de la bistronomie : on aime boire des vins frais et digestes au comptoir. Ce n’était pas le cas des bordeaux, puissants, boisés et qui se boivent à table. Mais des cuvées vont justement à l’encontre de ces reproches, comme la Closerie des Moussis. Les deux jeunes femmes qui en sont les propriétaires font des vins mûrs mais frais et digestes, avec une âme. Je trouve ça beau, d’autant qu’elles travaillent en agro-écologie dans des conditions pas évidentes, avec une humidité très forte dans cette région du Haut Médoc, entre l’océan et l’estuaire. Si Bordeaux suit cette voie là, il y aura un vrai renouveau gustatif. »
Par les lueurs
D’autres domaines montrent la voie : nos interlocuteurs citent ainsi, en vrac, Paul Barre, les Trois Petiotes, le domaine Ormiale, L’île rouge, le Clos 19 bis…
« Ce sont de vrais grands vins authentiques, relève Antonin Iommi-Amunategui. Le château le Geai fait par exemple des élevages en amphores, et travaille des cépages anciens du bordelais, comme le Carmenère. Cela donne des vins plus intéressants que la moyenne. »
Mais ils font moins parler d’eux que dans d’autres régions, estime le fondateur de Nouriturfu :
« Derrière les grands crus classés prestigieux qui prennent toute la lumière, on ne voit pas tous les jeunes qui s’installent sur des petites appellations (Blaye, Bordeaux supérieur…) et font de grands vins. »
3 – Qui sont les buveurs de vins bio et nature ?
Gilles Davasse les décrit ainsi :
« On a d’un côté une population jeune et urbaine, totalement convaincue par les vins bio et nature et les recherche, et de l’autre une population plus classique qui trouve beaucoup de défauts dans ces vins. Mais globalement les gens sont plus sensibles au bio, alors que quand j’ai ouvert il y a 5 ans et demi, personne ne me posait la question ! »
Une conjonction d’évènements a précipité la tendance, poursuit Gilles Davasse, notamment l’affaire de l’intoxication des écoliers de Villeneuve-de-Blaye, en 2014 (jugés en mars dernier par le tribunal de Libourne, les deux châteaux responsables ont été relaxés ; le parquet a fait appel) :
« Cela a énormément choqué les gens, à juste titre, et contribué à une prise de conscience que quelque chose ne va pas quand on utilise trop de produits. »
Plus loin que le bio
« Quand la carte des pesticides de Cash investigation est sortie, cela a fait très mal », ajoute Rafael Bord. Il retient aussi le travail de terrain mené par des activistes comme Marie-Lys Bibeyran ou Valérie Murat :
« Elles ont l’impression que personne ne les écoute, mais elles ont fait toucher du doigt à plein de monde – vignerons et consommateurs – que des gens peuvent choper des cancers parce qu’ils travaillent dans des vignes, ou vivent à côté. »
D’ailleurs, le caviste distingue plusieurs catégories parmi les consommateurs. La plupart se soucient bien sûr de l’environnement :
« Certains veulent aller plus loin que le bio car il ne présente pas forcément d’attache à la biodiversité (NDLR : l’agriculture biologique peut en effet utiliser des pesticides pour lutter contre les insectes ou les champignons, pourvu que les substances actives soient d’origine naturelle, comme le cuivre, et non de synthèse). »
Et « beaucoup le font pour leur santé » :
« Ils sont attentifs à la question des résidus de pesticides dans le vin, et certains, pensant qu’ils sont allergiques aux sulfites, optent pour les vins naturels. »
Cachez ces S.A.I.N.S…
Car la distinction entre vins bio et naturels, c’est que ces derniers sont totalement sans intrant – c’est-à-dire sans utiliser de souffre dans le chai, par exemple.
« Le vin naturel est totalement dépourvu d’artifice, quelque part », résume Gilles Davasse.
Aussi, la quête du goût anime les férus de vin nature, enchaîne Rafael Bord :
« Les vrais amateurs viennent au vin naturel pour l’excitation des nouveaux horizons. Ils vont vouloir des vins oxydés, voire super rustique. »
Impossible toutefois de les distinguer au premier coup d’oeil : il n’existe pas de label pour les vins naturels, contrairement à l’agriculture biologique (AB) ou à la biodynamie (Demeter). Si une charte a bien été constituée pour les vins S.A.I.N.S (sans aucun intrant ni sulfite (ajouté) sur toute l’exploitation vinicole), elle n’a pas de reconnaissance juridique.
4 – Où trouver du bon vin bio ou nature à Bordeaux ?
L’application Raisin permet de « trouver et partager les vins naturels où que vous soyez » : bar, restaurant, cave, vente directe chez les vignerons…
A Bordeaux, elles vous orientera sans doute vers l’un des trois établissements de la Cave d’Antoine ou une des deux adresses du Flacon, mais aussi du côté du Bon Jaja, de la CUV (Cave utile en ville), d’Autres châteaux, ou encore de Soif pour manger un bon petit plat avec son verre.
Bordeaux à petits prix
Et contrairement à l’opinion de l’ex directeur de l’Office de tourisme, selon lequel les restaurateurs bordelais ne proposent plus de bordeaux à leurs clients, ces adresses ont un rayon de bordeaux très copieux, et pas forcément chers.
« On donne l’image d’un vin pour les riches, pointe Rafael Bord, parce que les prix des grands crus ont explosé et qu’on a le cliché de l’œnotourisme dans des châteaux à Saint-Emilion où tu ne sais pas si tu as le droit de gouter du vin si tu n’arrives pas en Audi à vitres teintées ! Pourtant, chez nous, les bordeaux, c’est des petites prix. Pour l’équivalent d’un petit canon du Languedoc qui peut coûter 11 euros, on a l’équivalent en bordeaux à 6 ou 7 euros. Ce n’est pas vrai que c’est plus cher, sauf si bien sûr on vise du Haut Brion vendu minimum 250 euros. »
Les grands crus « cherchent à faire des produits de luxe, mais le goût du vin reste très figé », considère Antonin Iommi-Amunategui.
« Les vins naturels sont surprenants par essence. A Sous les pavés la vigne, nous aurons une douzaine de domaines bordelais qui font des super vins à partir de 9 euros, de façon artisanale. Ils habitent le même coin et font le même métier que les crus classés, mais ce sont deux mondes et deux produits différents. Avec ces vignerons là, on ne parle pas juste de boire un coup, c’est un engagement quasi politique. »
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